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désormais sans compensation; ainsi disparaîtra de la législation du pays une anomalie qu'aucun intérêt général ne justifie plus. Cette nouvelle conquête de l'égalité civile attestera de plus en plus l'harmonie des trois pouvoirs, et la sincérité de leur dévouement aux institutions libérales que la Charte de 1830 a données à la France. »

Conformément à ces conclusions, la Chambre adopta cé projet, sans modification'(6 avril), à la majorité de 214 voix contre 57, et la question fut ainsi définitivement résolue : il avait fallu quatre années pour arriver à ce résultat. Au reste, ce long débat avait été tout particulier aux deux Chambres; le gouvernement s'était abstenu d'y prendre part, et il n'intervint que pour convertir le projet en loi de l'Etat par la promulgation officielle.

Les travaux de la Chambre élective qui suivirent la première adoption de la proposition relative aux majorats furent pendant long-temps peu animés, et ne portèrent que sur des objets d'une importance secondaire. Elle rejeta successivement, dans les séances des 23, 24 et 27 janvier, diverses propositions: l'une, de M. Anisson-Duperron, renfermait des modifications au Code forestier; une autre que présentaient collectivement plusieurs députés tendait à changer la législation commerciale sur les mandats de'change; une troisième enfin, de M. Ganneron, avait pour but de modifier l'article 619 du Code de commerce, relatif au mode de composer la liste des notables commerçans. D'un autre côté, la Chambre adopta ( 26 et 30 janvier) un projet de loi qui fixait l'interprétation à donner à un article d'un décret de l'an XIII, concernant les contraventions en matière de contributions indirectes, et une proposition de M. Jaubert sur le classement des routes départementales : cette proposition, amendée par la commission qui l'avait examinée, et appuyée par le ministre du commerce, était une interprétation d'un article de la loi de 1833 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Portés à la Chambre des pairs, ce projet et cette proposition y furent approuvés ( 27 février), sauf quelques changemens de rédaction qui moti

vèrent leur retour à la Chambre des députés, où ils furent définitivement adoptés ( 5 mars et 8 juin).

Une discussion incidente qui s'engagea dans la séance du 22 janvier offrit un intérêt que n'avaient pas eu les questions dont il vient d'être parlé. Les journaux avaient donné l'éveil sur des réclamations pécuniaires adressées à la France par la Russie, au nom de l'ancien duché de Varsovie; et le public, que le traité conclu avec les États-Unis avertissait suffisamment de se tenir en garde, aurait pris d'autant plus volontiers l'alarme, que les prétentions de la Russie s'élevaient, disait-on, à des sommes énormes. Le Moniteur du 22, reconnaissant que des négociations étaient, en effet, entamées, déclara qu'il ne s'agissait que d'un apurement de comptes, dont il n'appartenait à personne de prévoir le résultat. S'appuyant de l'article du Moniteur, M. Isambert prit la parole, pour annoncer qu'il ferait à ce sujet des interpellations, et qu'il priait la Chambre, attendu la gravité de la question, de les ajourner à la séance du 26. Mais le ministre des affaires étrangères (M. de Rigny) donna tout de suite des explications dont il résultait que, par des articles annexés aux traités de 1814 et 1815, et par une convention de 1816, il avait été stipulé entre la France et la Russie, représentant la Pologne, qu'il serait fait une liquidation des créances que le royaume de France et le grand-duché de Varsovie pourraient avoir à exercer respectivement l'un contre l'autre; que diverses causes avaient empêché les négociations commencées à cet effet d'être conduites à terme; que le gouvernement les avait fait reprendre pour exécuter les traités, et parce que les intérêts du trésor et des intérêts privés étaient engagés dans cette affaire. Le ministre avait d'ailleurs le ferme espoir que la liquidation définitive ne constituerait aucune charge pour la France. M. Odilon Barrot répondit qu'il ne s'agissait pas d'examiner s'il y aurait perte ou gain pour la France : le traité du mois d'avril 1818 la déclarait entièrement et définitivement libérée au moyen des

sacrifices énormes qu'elle consentait; c'était là une fin de non-recevoir absolue et salutaire, qui s'opposait à toutes négociations et liquidations du genre de celles qui étaient entamées. Le ministre des affaires étrangères répliqua que la convention de 1818, quelque générale et absolue qu'elle fût, ne s'appliquait pas à la liquidation actuelle, dont le sort était fixé et réservé par des stipulations toutes particulières; il rappela que des pétitions pour demander cette liquidation avaient été présentées dans les sessions précédentes et renvoyées aux ministres par la Chambre elle-même.

La discussion sur cet incident ne fut reprise dans la séance du 26 qu'après un assez vif débat. MM. Abraham Dubois et Viennet voulaient qu'il ne fût point donné suite aux interpellations : suivant eux, la Chambre n'était compétente que relativement à des négociations consommées: s'immiscer dans des négociations pendantes, c'était un acte inconstitu tionnel et contraire à la Charte. M. Isambert et M. Dupin défendirent vivement le droit de la Chambre. Le ministre des affaires étrangères pensait bien que l'exercice de ce droit d'interpellations, appliqué à la politique extérieure, pouvait avoir des inconvéniens; mais dans le cas présent, et d'après la manière dont la question avait été înterprétée, tant dans la Chambre qu'au dehors, il semblait juger à propos de laisser les interpellations avoir leur cours : la Chambre décida qu'elles auraient lieu. Il s'ensuivit une longue discussion soutenue d'un côté par MM. Isambert et Odilon Barrot, et de l'autre par le ministre des affaires étrangères et par le ministre de l'intérieur. La Chambre n'ayant aucune décision à prendre, ces débats ne servirent qu'à rassurer l'opinion publique et à avertir le gouvernement de se montrer moins facile que dans la négociation du traité américain. Quant au point de constitutionnalité qui avait encore été discuté, le ministre de l'intérieur soutint que la prérogative constitutionnelle donnait au ministère le droit de refuser des explications sur une affaire qui était en voie d'exécution, et M. Odilon Bar

rot répliqua que le droit de la Chambre n'existerait nulle part s'il n'existait pas avec toute sa plénitude sur des questions de finance.

« Subissons donc, une fois pour toutes, disait-il, les inconvéniens comme les avantages du gouvernement représentatif; et soyez convaincus que dans cette discussion, qui réserve les droits et les intérêts du pays, vous pouvez puiser de nouvelles forces contre les prétentions de l'étrangers C'est surtout sous ce point de vue que cette discussion doit être considérée par vous. »

La discussion d'un projet de loi sur les faillites et les banqueroutes remplit la plus grande partie des séances de la Chambre des députés pendant le mois de février ( du 9 au 25). L'expérience d'un quart de siècle avait fait voir qu'il convenait de modifier les dispositions du Code de commerce sur cette matière. Le projet de loi présenté dans ce but par le garde-des-sceaux, le 1" décembre, tendait, en général, à adoucir les mesures rigoureuses, à corriger l'esprit fiscal du Code de 1807; mais la question était si vaste et si compli quée, que la discussion fut laborieuse, embrouillée, confuse et peu satisfaisante en définitive. Aussi, quoique modifié par de nombreux amendemens, le projet de loi, adopté par 193 voix, rencontra-t-il encore 78 opposans au scrutin secret. Plus d'un mois s'écoula avant qu'il fût porté à la Chambre des pairs (28 mars), où il ne fut pas discuté. Cette fois on n'avait pas beaucoup à regretter ce retard, qui annulait le pénible travail de la Chambre élective.

Parmi les pétitions dont la Chambre des députés s'occupa pendant la partie de la session dont nous avons rendu compte,

il

y a d'abord à remarquer celle qui demandait que les fortifications d'Huningue fussent relevées. Cette pétition fit encore une fois ressortir l'énergique et unanime opinion de la Chambre sur ce point d'honneur national. La commission proposait le renvoi de la pétition au ministre de la guerre : le colonel Paixhans demanda le renvoi au président du conseil, comme plus convenable en ce qu'il s'agissait non d'une question stratégique, mais d'une question de dignité nationale. Quoi qu'il ne semblat pas à l'orateur opportun de re

bâtir Huningue, il en voterait de suite la réédification, si une puissance quelconque osait prétendre l'empêcher. Jamais la France n'avait accepté la défense faite par les traités de 1815 de reconstruire cette place. « Je tiens à ce qu'il soit bien entendu en principe, s'écria de son côté le maréchal Clausel, que nous pourrons faire chez nous ce que nous voudrons et quand nous le voudrons. » Le renvoi de la pétition au président du conseil ministre de la guerre fut prononcé sans opposition.

Un rapport, attendu et annoncé déjà depuis quelque temps, fut présenté le 7 février à la Chambre sur plusieurs pétitions individuelles et collectives, tendant à une réforme électorale. La commission concluait unanimement à l'ordre du jour, par l'organe de M. Emm. Poulle, son rapporteur. Fortement appuyé par MM. Duvergier de Hauranne, Jollivet et Bugeaud, l'ordre du jour fut repoussé par MM. Pagès, de Laboulie et Garnier-Pagès, qui demandaient le dépôt au bureau des renseignemens; mais la Chambre adopta les conclusions de la commission.

Un pétitionnaire avait lié, à la question de la réforme électorale, celle de l'abrogation du serment politique. Cette proposition, soutenue par M. Dubois (de Nantes), qui trouvait le serment politique un contre-sens à l'égard de la constitution, et par M. de Laboulie, qui le jugeait surabondant on inefficace, eut pour adversaires MM. Duvergier de Hauranne et Jollivet, et la discussion causa quelque sensation dans l'assemblée. M. Dubois avait invoqué contre le serment politique l'expérience de cinquante années, et surtout la déconsidération où il semblait tombé aux yeux de la Chambre; il avait rappelé ce qui s'était passé dans la séance du 22 janvier, alors que M. le duc de Fitz-James, nommé député, avait été admis à prêter serment. L'accomplissement de cette formalité de la part de M. de Fitz-James, dont les opinions légitimistes étaient bien connues, avait été attendu avec une vive curiosité, et lorsque l'honorable membre cut prononcé d'une voix ferme le serment qui lui était imposé, des éclats

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