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su faire dans une situation favorable, la révolution de juillet l'avait fait dans des conjonctures critiques, au milieu des difficultés que la restauration même avait créées en échauffant l'ardeur du pays, en éveillant ses passions et ses inquiétudes; en lui rendant à l'intérieur la monarchie, à l'extérieur la modération envers les étrangers suspectes; en rendant la France difficile à gouverner. De vifs témoignages d'assentiment avaient plusieurs fois interrompu ce discours; et même un moment les marques d'approbation avaient été unanimes lorsque MM. Odilon Barrot et Glaiz-Bizoin avaient répondu à l'invitation qu'adressait le ministre aux membres de la gauche de suspendre toutes divisions et de se rallier contre l'ennemi commun.

2 janvier 1835. Détournée de son terrain par ces contestations incidentes, la discussion y fut ramenée par MM. de Golbery et Dugabé, Hervé et Robineau, qui prirent successivement la parole, les premiers pour combattre le projet en invoquant l'amnistie, les seconds pour soutenir l'opinion contraire. Mais il était difficile que les orateurs ne tombassent pas dans des considérations déjà présentées; aussi n'avons-nous guère à noter comme argument nouveau qu'une objection ainsi développée par M. Dugabé :

« Voyez, disait-il, l'étrange spectacle que vous offrira, dans quelques jours, la Chambre des pairs. Vous allez voter la loi; elle sera portée à ces magistrats législateurs, et ils devront, pour un jour, dépouiller leurs fonctions de juges pour voter comme législateurs la construction de la salle destinée à leurs séances judiciaires; ils voteront des subsides pour construire un tribunal à des accusés qui ne le sont pas encore. N'est-ce pas dire qu'après avoir voté une salle pour les accusés, il faudra qu'ils votent des accusés pour la salle?

La question était donc épuisée pour l'argumentation, et cependant la Chambre ne paraissait point se lasser. Elle écouta avec attention M. Salverte qui, après avoir reproduit les motifs favorables à l'amnistie et hostiles au projet de loi, concluait en ces termes :

• Je rejette le projet de loi, d'abord parce qu'il consacre un système qui Ann. hist. pour 1835.

me semble en opposition avec le caractère national. Je le rejette parce que je ne voterai jamais pour l'augmentation d'un jour, d'une heure de la captivité d'un condamné, d'un accusé, et encore moins d'un prévenu. Je le rejette enfin parce que je n'ai pas le pouvoir de voter une prolongation de captivité. Ce pouvoir ne m'est donné, ni par la charte, ni par le mandat de mes commettans; et s'il m'avait été déféré, je l'aurais refusé. »

M. Mauguin succéda à M. Salverte et reprit le débat où l'avaient laissé MM. Guizot et Odilon Barrot dans l'avantdernière séance. Il nia que le cabinet eût un système précis, arrêté ; il rappela que le ministre avait nommé le même système tantôt système de la modération, tantôt système de la résistance; il 'signala entre les ministres des paroles, des opinions, des déclarations contradictoires; il soutint enfin que le ministère était inhabile à défendre la révolution de juillet parce qu'il la considérait et la qualifiait comme une catastrophe, comme un fait antisocial, comme un malheur, et parce qu'il avouait que ses doctrines, ses sympathies, ses tendances étaient vers l'esprit, vers l'état de choses de la 'restauration.

Particulièrement atteint, en raison de ses antécédens, par cette dernière inculpation si souvent renouvelée, le ministre de l'instruction publique prit la parole pour présenter une justification toute personnelle. Ses amis politiques et lui n'avaient usé, disait-il, de l'autorité qu'ils avaient pu avoir sous la restauration, que pour fonder en France la monarchie constitutionnelle, réaliser la Charte et introduire dans le gouvernement la vérité et la sincérité. Répondant en même temps à M. Berryer, qui avait dit que les reproches adressés à la restauration devaient retomber sur des hommes actuellement au pouvoir, le ministre déclara que les actes de la restauration qui légitimaient ces reproches appartenaient à l'époque où ses amis et lui avaient été exclus du pouvoir. Ce qu'il avait fait, ce qu'il avait professé sous la restauration, M. Guizot, loin de renier son passé, ses principes, le faisait, le proclamait encore aujourd'hui. Obstinément attaché à la monarchie constitutionnelle, il la défendait aujourd'hui comme il l'avait défendue jadis.

La discussion, bien que vive et animée, s'était préservée jusqu'alors d'agitations tumultueuses; mais du moment qu'elle dégénérait en attaques personnelles, il devenait dif ficile qu'elle continuât à garder la même mesure. En effet, M. Charamaule ayant cité des passages d'un écrit publié, quatorze ans auparavant, par M. Guizot, pour prouver que le ministre de l'instruction publique, qui se disait conséquent avec lui-même, avait jugé absurde et barbare le principe de la souveraineté du peuple, sur lequel reposait l'ordre de choses émané de la révolution de juillet, un violent orage éclata dans l'assemblée. Les centres protestèrent contre ces personnalités, et demandèrent le complément des citations, qu'exigeait aussi M. Guizot, en déclarant qu'il persistait dans son opinion; les membres de l'opposition s'élevèrent à leur tour contre les interruptions et réclamèrent la liberté de la tribune. Le président, qu'on sommait de maintenir les débats dans les limites de la question et qui rappelait la latitude laissée jusque-là d'un commun accord à la discussion, vit son autorité compromise et impuissante à rétablir l'ordre. Les explications du ministre de l'instruction publique pour préciser la portée de son ancienne opinion sur le principe de la souveraineté du peuple, ne ramenèrent point le calme; le tumulte redoubla même lorsque M. Comte eut demandé qui avait préparé, qui avait voté la loi sur les cours prévôtales, comment et par qui cette loi avait été míse à exécution; et, quoique l'orateur fût ensuite revenu à l'amnistie, dont il déduisait la nécessité de l'accroissement des procès politiques, l'agitation durait encore au moment où la séance fut levée.

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3 janvier. M. Bérenger examinant dans cette séance la question de l'amnistie sous le point de vue de la constitutionnalité, se prononça, après une dissertation savante, contre l'avis de ceux qui jugeaient que l'amnistie ne pouvait éma ner légalement que du concours des trois pouvoirs. S'appuyant des autorités les plus respectées, et des faits accomplis

sous l'empire des Chartes de 1814 et de 1830, il pensait que le droit d'amnistie, identique sous ce rapport avec le droit de grâce, était une des prérogatives les plus nécessaires du monarque, une de celles que le pays était le plus intéressé à lui conserver, parce que, décrétée législativement, l'amnistie ne produirait plus les salutaires effets qu'on attendait de ce puissant moyen de pacification, de concorde et de protection. Quant à la question actuelle, M. Bérenger la tranchait en faveur de l'amnistie et contre le projet. M. Emmanuel Poulle réfuta l'opinion de M. Bérenger comme tendant à attribuer à la couronne une prérogative exorbitante, dont elle pourrait user pour couvrir tous les agens du pouvoir et les dérober à la responsabilité; et après que MM. Sauveur de la Chapelle et Glaiz-Bizoin eurent repoussé cette assertion, que les départemens de l'Ouest étaient contraires à l'amnistie, la clôture de la discussion générale fut prononcée à l'unanimité. Néanmoins elle sembla prête à se renouveler à la suite du résumé que présenta le rapporteur de la commission, M. Dumon. Celui-ci, qui persistait dans ses conclusions, ayant en outre longuement combattu l'opinion de M. Odilon-Barrot sur la compétence de la Chambre des pairs, et les paroles de M. de Lamartine sur l'amnistie, ces deux orateurs remontèrent à la tribune; mais la Chambre laissa retomber la discussion, et l'on arriva enfin au texte du projet de loi, qui avait été jusqu'alors beaucoup plus l'occasion que le sujet même des débats.

Attaquée par M. Delaborde pour avoir méconnu les droits de l'humanité, qui voulaient qu'on allât au plus vite; les intérêts de l'art, qui ne permettaient pas d'altérer un monument remarquable, et les considérations politiques qui dissuadaient d'attacher une date funeste à un édifice destiné a durer, la commission eut pour défenseur M. Ganneron. Cet orateur déclara que le ministre de l'intérieur avait promis que la construction d'une salle définitive n'amenerait aucun retard et que le crédit ne serait point dépassé. Le ministre

de l'intérieur expliqua alors que le gouvernement, ayant reconnu que la salle actuelle des pairs était insuffisante pour le procès qu'il fallait juger, sous peine de déni de justice envers la société, avait demandé un crédit destiné à la construction d'une salle provisoire; qu'il n'avait d'abord porté ce crédit qu'à 360,000 francs, afin de réduire la question aux termes les plus simples, et de ne la présenter devant la Chambre que comme une question de possibilité matérielle du procès; qu'ensuite, et dans la certitude qu'il n'en résulterait point de retard, il avait adhéré à la proposition de la commission dans des vues économiques, administratives, parce qu'il convenait mieux de dépenser 1,280,000 francs pour élever quelque chose de durable, que 360,000 francs, qui seraient ensuite perdus.

Après de nouvelles explications sur ce qui s'était passé au sein de la commission, et entre le ministre de l'intérieur et les commissaires, le projet de la commission fut mis aux voix et repoussé à une grande majorité. Restaient le projet primitif et les amendemens qui s'y rattachaient; l'un de ces amendemens, présenté par M. Moreau, était ainsi conçu : « Il est ouvert au ministre de l'intérieur un crédit de la somme de 560,000 francs, sur l'exercice de 1835, pour faire les dispositions nécessaires à l'instruction et, s'il y a lieu, au jugement du procès dont la cour des pairs est actuellement saisie. » Cette rédaction mesurée, qui annulait, moyennant la réserve s'il y a lieu, une des principales objections de l'opposition, fut d'abord adoptée par assis et levé, et ensuite au scrutin secret, mais seulement à la majorité de 28 voix (209 contre 181). Ce résultat, rapproché de la majorité (67 voix) qui avait emporté, un mois auparavant, l'ordre du jour motivé, fut presque considéré comme un échec pour le ministère.

Le projet de loi fut porté dès le 8 janvier à la Chambre des pairs, par le ministre de l'intérieur, qui se dispensa de tout exposé de motifs. M. le duc de Broglie, rappor

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