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Il faut cependant observer que les enfans des étrangers, quoique leur père n'ait pas obtenu de lettres de naturalité, lui succèdent lorsqu'ils sont régnicoles; mais le père étranger ne succède pas à ses enfans, et c'est un des cas où la règle de la réciprocité dans l'ordre des successions n'a pas lieu.

[ L'incapacité du père ne cesserait même point dans le cas où son enfant, né en France, aurait eu pour mère une femme française et décédée en France même. C'est ce qui a été jugé au conseil souverain d'Alsace, par arrêt du 15 décembre 1765, sur les conclusions de M. Müller, avocat-général. L'espèce en est rapportée par M. le premier président de Boug, dans le Recueil des ordonnances d'Alsace, tome 1, page 709.]

V. Ce que le roi fait par une grâce et une concession particulière en faveur d'un seul étranger, est souvent établi, avec plus ou moins d'étendue, par des édits, déclarations et réglemens, — ou en faveur d'une certaine classe d'étrangers, par des considérations relatives au bien de l'État; -ou en faveur de tous, soit par rapport aux priviléges attachés à certains lieux, lorsqu'ils y forment leur établissement, soit d'effets pour un certain genre dont le gouvernement se propose, par cette voie, de faciliter l'acquisition; — ou enfin, envers des puissances et nations étrangères, par des traités et conventions dont la réciprocité est la base. On va parcourir ces différentes exceptions au droit commun et général de

l'Aubaine.

VI. On a dit que la première exception est en faveur d'une certaine classe d'étrangers: on va en citer plusieurs exemples.

1o. Les marchands fréquentant les foires, jouissent, pendant leur voyage, leur séjour en France et leur retour dans leur pays, de l'exemption du droit d'Aubaine: ce privilége avait lieu des le temps des foires de Champagne, si célèbres dans notre histoire, et sur lesquelles nous avons plusieurs anciennes ordonnances denos rois.

Lorsque Charles VII accorda à la ville de Lyon le privilege de trois foires franches, il fut exprimé dans les lettres de concession, qu'elles étaient établies à l'instar de celles de Champagne, qui ne subsistaient plus. A ces trois premières foires, Louis XI, par des lettres-patentes du mois de mars 1462, en ajouta une quatrième : afin que les marchands étrangers fréquentent plus volontiers ces foires, et cherchent à avoir leur habitation et demeure à Lyon, l'art. 9 de ces lettres leur permet de tester et disposer de leurs biens ainsi que bon leur semblera; et veut que leur testament soit

valable en ce qui sera de raison, quoiqu'il ait été fait durant les foires, devant ou après, dans le royaume ou dehors, et qu'il ait son effet comme s'il eût été fait dans leur patrie; et que, dans le cas où ils viendraient à décéder dans le royaume sans avoir testé, ceux qui sont leurs héritiers, suivant les statuts, coutumes et usages de leurs pays, recueillent leur succession, comme si elle eût été ouverte par leur décès dans leur pays et domicile, sans que ces héritiers soient tenus de payer à ce sujet aucune finance, nonobstant tous édits et ordonnances à ce contraires.

Le prévôt des marchands et les échevins de la ville de Lyon obtinrent, sous Charles IX, le 27 août 1569, de nouvelles lettres-patentes, qui exemptèrent du droit d'Aubaine tous les étrangers fréquentant les foires de Lyon, demeurant, séjournant, ou résidant en cette ville, et négociant sous la faveur de ces priviléges, tant pour leurs marchandises et effets mobiliers, que pour leurs rentes constituées; mais l'arrêt d'enregistrement au parlement de Paris, du 4 février 1572, a excepté les rentes constituées, qu'il a sans distinction, déclarées immeubles à cet égard.

Lefèvre de la Planche, dans son Traité du domaine, prétend que ce privilége, dont le principal objet a été d'attirer les étrangers aux foires de Lyon, n'a lieu qu'en faveur de ceux qui les fréquentent, et non de ceux qui sont établis dans cette ville; il cite à ce sujet différentes lettres-patentes postérieures à celles que l'on a rappelées, et prétend que la jurisprudence y est conforme

Il paraît aussi que le droit d'Aubaine n'est point exercé dans toute sa rigueur à l'égard des marchandises et des autres effets mobiliers des marchands étrangers qui viennent trafiquer dans le royaume, avec le dessein de s'en retourner, et qui y décèdent.

20.

Lorsqu'il a été question, pour différens établissemens de manufactures, d'appeler les étrangers, soit pour y travailler, soit pour en avoir la conduite et direction, on a cherché à les attirer par différens privileges, dont l'exemption du droit d'Aubaine et les avantages dont jouissent les régnicoles, ont toujours fait partie.

Ainsi, en établissant, par son édit du mois de janvier 1607, des manufactures de tapisseries de Flandre, tant à Paris que dans d'autres villes du royaume, Henri IV anoblit les sieurs de Commans et de la Planche, étrangers chargés de la direction et de l'entreprise de l'ouvrage, ainsi que leur postérité; et il déclara naturels et régnicoles, les étrangers qui viendraient travailler à ces manufactures, sans

qu'ils fussent tenus de prendre des lettres de naturalité, ni de payer aucune finance; ce qui fut ordonné de même par Louis XIII, le 18 avril 1625, et confirmé par lettres-patentes de Louis XIV, du dernier décembre 1643.

Ces manufactures étant presque tombées, Louis XIV en établit une nouvelle de tapisseries de haute et basse-lisse, à Beauvais, sous la conduite de Louis Hinard, par lettres-patentes du mois d'août 1664, dans lesquelles il déclara régnicoles et naturels français, les ouvriers étrangers qui y auraient travaillé pendant huit années entières et consécutives, à la charge de continuer leur demeure dans le

royaume.

Par l'art. 5 de l'arrêt du conseil du 25 juillet 1722, concernant la même manufacture, les ouvriers étrangers qui y sont employés et qui professent la religion catholique, sont réputés régnicoles et naturels français, après dix ans de travail.

Enfin, par deux autres édits de Louis XIV, l'un du mois d'octobre 1663, portant établissement d'une manufacture de glaces, de cristaux et verres, comme ceux de Venise, l'autre d'une manufacture royale de meubles de la couronne en l'hotel des Gobelins, les mêmes priviléges furent accordés aux ouvriers étrangers, par le premier édit, après huit années, et par le second, après dix années de service.

30. Un édit du mois d'avril 1687 porte que les pilotes, maîtres, contre- maîtres, canonniers, charpentiers, calfats, et autres officiers, mariniers, matelots et autres gens de mer étrangers, qui s'établiront dans le royaume, seront réputés régnicoles, après avoir servi cinq années, à compter du jour de leur enrólement.

[4°. Il y a une ordonnance de François Ier, du 31 janvier 1554, qui étend la même grâce à tous les militaires indistinctement: « Sa majesté (porte-t-elle, art. 4) permet à » tous gendarmes et archers qui sont batards » ou étrangers, combien qu'ils n'aient obtenu » lettres de légitimation ni congé de tester, » de lui ni de ses prédécesseurs, que néan» moins ils puissent disposer de leurs biens, » et que leurs héritiers leur puissent succé» der ».

Cette loi est très-précise, mais elle n'a jamais été enregistrée qu'au siége de la connétablie; et dès-là, elle ne peut former pour les militaires un titre d'exemption des droits d'Aubaine et de bâtardise.

L'auteur du Code militaire,tome 5, page 62, tit. 3, dit, il est vrai, qu'elle a été observée en differentes occasions; mais si elle l'a été réellement, ce n'a pu être qu'à titre de grace

particulière, et une pareille exécution ne peut pas être tirée à conséquence.

Ce qui le prouve, c'est que les militaires étrangers ont sollicité, au commencement du règne de Louis XV, une déclaration qui les fit jouir d'un privilége que l'ordonnance de François Ier était reconnue ne pas leur donner. Cette loi fut en effet portée le 30 novembre 1715. Le roi, y est-il dit, pour récompenser les officiers et soldats étrangers qui, par leurs services dans les troupes de sa majesté, lui auront donné des preuves de leur affection à sa personne et pour le bien de l'État, ordonne que ces officiers et soldats qui auront servi pendant dix ans dans ses armées, et qui en rapporteront des certificats en bonne forme, seront réputés naturels français, jouiront de tous les droits et priviléges qui appartiennent aux régnicoles, et seront exempts du droit d'Aubaine, sans être tenus d'obtenir des lettres de naturalité.

Mais cette grâce est subordonnée à deux conditions sans l'exact accomplissement desquelles il est impossible qu'elle ait lieu. Il faut, 10 que les gens de guerre qui veulent en profiter, soient catholiques; 2o qu'ils fassent au greffe du présidial dans le ressort duquel ils sont établis, une déclaration qu'ils entendent toujours demeurer, vivre et mourir dans le royaume.

Aussi lorsqu'en 1721, il s'est agi de l'exécution du testament du sieur Stier, mort en France colonel réformé d'infanterie allemande au service du roi, mais qui n'avait pas rempli ces conditions, il ne fut nullement question de la déclaration du 30 novembre 1715; le prince lui-même décida, par l'organe d'un de ses ministres, qu'il y avait ouverture au droit d'Aubaine; et s'il y renonça, ce fut par pure gráce: il fit plus, il annonça alors qu'il projetait une loi qui rendit à celle de François Ier une sanction légale ; et comme cette loi n'a jamais paru, il est tout naturel de conclure de là que les militaires étrangers sont demeurés soumis au droit d'Aubaine, hors le cas marqué par la déclaration de 1715.

Tout cela est justifié par une lettre de M. le Blanc, ministre d'État, écrite de Paris le 13 juin 1721. En voici les termes : « Sur le » compte que j'ai rendu à son altesse royale » (M. le duc d'Orléans, régent), de la copie » que M. de Cany, major de Metz, m'a adres»sée de la lettre que M. d'Armenouville vous » a écrite sur l'opposition que le fermier du » domaine a formée à l'exécution du testa» ment de feu M. Stier, colonel réformé d'in» fanterie allemande, entretenu à Metz, dont » vous êtes chargé conjointement avec M. de

» Marion, sous prétexte que les effets qu'il » a laissés en mourant, étaient acquis au roi » par droit d'Aubaine, elle a trouvé que la » prétention de ce fermier n'était pas sans » fondement; mais comme elle est toujours »portée en faveur des officiers des troupes, » elle a bien voulu les distinguer des autres » étrangers, et a décidé que ceux qui décéde>>raient étant au service de sa majesté, auraient la liberté de disposer par testament » des biens qu'ils y auraient acquis, nonob»stant leur qualité d'étrangers. Cette déci»sion de son altesse royale sera plus particu»lierement expliquée par une ordonnance » qu'elle fait expédier à ce sujet, conformé »ment à une très-ancienne de François Ier, » qui n'avait pas eu une entière exécution jus» qu'à présent. Cependant elle m'a commande >> de vous faire savoir que son intention est que » vous acquittiez le legs dudit testament; et >> afin que vous n'y trouviez plus de difficultés » de la part du fermier du domaine, j'écris, » par ordre de son altesse royale, à M. de la » Houssaye, qui donnera les siens pour faire » cesser les poursuites dudit fermier ».

Les conséquences qui résultent de cette lettre contre la prétention dès militaires à l'affranchissement pur et simple du droit d'Aubaine, sortent encore avec la même évidence de celle que M. le comte d'Argenson, ministre de la guerre, a écrite le 18 novembre 1749, à M de Vannolles, intendant d'Alsace. Voici comment elle est conçue : « J'ai » reçu la lettre que vous m'avez écrite le 4 » de ce mois, en me renvoyant la lettre du » major de Landau au sujet de la succession » du sieur Gotchel, lieutenant colonel ré» formé, mort dans cette place, qui est ré» clamée par son frère, officier des troupes » de Hesse. Des le défunt était étranger que » non naturalisé, les biens qu'il a laissés sont » sans difficulté acquis aux fermiers des do»maines à titre d'Aubaine; et il n'est pas » possible de permettre à son frère de les re» cueillir à leur préjudice; c'est ce que je » vous prie de faire savoir au major de Lan» dau, afin qu'il agisse en conséquence ».

Même décision dans une autre lettre du même ministre adressée, le 21 avril 1750, au comte d'Apremont - Linden, colonel du régiment de Linden: « Je réponds à la » lettre que vous m'avez fait l'honneur de » m'écrire le 20 du mois dernier, pour ré» clamer les effets délaissés par le sieur Koes»terich, natif de Berlin, ancien capitaine » de votre régiment, lequel ayant été passer » le temps de son semestre à Haguenau, y est » mort au mois de mars dernier. J'aurais bien

» voulu pouvoir faire ce que vous désirez à » ce sujet; mais le sieur Koesterich étant dé» cédé aubain, et ces sortes de casuels ayant » été réunis au domaine du roí, sa majesté » ne s'est pas réservé la liberté d'en disposer, » et l'on ne peut empêcher le fermier d'en » faire le recouvrement ».

Enfin, la question a été jugée formellement par deux arrêts du conseil souverain de Colmar, au sujet de la succession même sur laquelle portait la deuxième des lettres de M. d'Argenson que nous venons de transcrire. Voici les faits qui y avaient donné lieu, et les moyens qui ont déterminé les magistrats.

Le sieur Jean-Frédéric Kosterich, né dans le pays de Brandebourg, entra au service de France dans le régiment de Linden, hussard.

Quoique l'époque de son entrée en France et au service ne fût pas bien certaine, ce qui l'était, c'est qu'il parvint au grade de capitaine, qu'il fut fait chevalier de l'ordre de Saint-Louis, et qu'il fut attaché au service pendant plus de vingt ans.

Il se lia d'amitié avec le sieur Perreau, qui avait servi comme lui dans un régiment de hussards, et qui s'était retiré à Haguenau, où il fut fait stattmeistre et acquit l'office de maître particulier des eaux et forêts.

Il prêta à ce dernier, sur son simple billet, une somme de 10,000 livres.

Étant venu passer son semestre de l'année 1749 et 1750 à Haguenau chez le sieur Perreau, il y tomba malade, et y mourut le 29 mars de cette dernière année.

Le procureur-fiscal requit `l'apposition des scellés sur les effets de la succession, et elle fut ordonnée par le magistrat.

Cette procédure ayant été communiquée au procureur-général du conseil souverain de Colmar, il demanda qu'il fût informé de l'extranéité du sieur Kosterich; et requit en concription de tous les effets et meubles laissés séquence la levée des scellés, avec la déspar le défunt. C'est ce qui fut ordonné par

arrêt du 22 avril de la même année.

L'information prouva que le sieur Kœsterich était né en Brandebourg.

Le commissaire nommé pour la confection de l'inventaire, y fit insérer, sur la réquisition du sieur Perreau, un testament fait en faveur de ce dernier par le sieur Koesterich, qui l'instituait son héritier universel; en consequence, le sieur Perreau s'opposa à l'opération du commissaire.

Cependant, malgré cette opposition, et sans avoir égard au testament, le conseil souverain, par arrêt du 17 juin suivant, faisant

droit sur les réquisitions du procureur-général, déclara la succession dévolue au roi par droit d'Aubaine.

Le sieur Perreau forma opposition à cet arrêt par requête du 1er juillet suivant, et réclama la succession, comme héritier testamentaire du défunt.

La cause sur cette opposition ayant été portée à l'audience du conseil, M. l'avocatgénéral Müller, conclut pour le roi à ce que le demandeur fût débouté de sa prétention, et dit qu'elle était contraire à nos maximes, aux ordonnances de nos rois, et aux lois fondamentales du royaume.

Il ajouta qu'elle présentait la question de savoir si un étranger a la capacité active et passive pour disposer et recevoir en France par acte de dernière volonté.

« Il faut remarquer (continua-t-il) que le sieur Koesterich n'a obtenu du roi aucune sorte de lettres qui lui donnent l'habilité de faire de pareils actes et de recevoir de cette manière.

>> Sans entrer dans l'époque et les motifs de l'établissement du droit d'Aubaine, la loi du royaume est, à cet égard, que tout homme qui n'y est point né ou qui n'a point été naturalisé, ne peut faire de disposition de derniere volonté; qu'il n'est pas non plus capable de recevoir par ces sortes d'actes ; et que, s'il y décède sans avoir acquis la faculté active et passive de tester, tous les biens qu'il y délaisse, appartiennent au roi comme un droit domanial.

» Cette maxime, qui est la loi de l'État, comprend tous ceux qui ne sont pas vrais sujets ou adoptés comme tels, soit par droit de conquête, ou en vertu de lettres de naturalité.

» Elle est générale ; d'où il suit que tous ceux qui n'en sont pas nommément exceptés, ou qui n'ont pas obtenu quelques privileges particuliers, soit par des traites publics, soit par des actes singuliers, ou par des lettres dérogatoires, y sont sujets, et en subissent toute la rigueur.

» Enfin, comme loi de l'État, il n'appartient pas aux juges qui ont droit de prononcer en conséquence, de créer une immunité ou un affranchissement qui n'est établi par aucune sorte d'actes.

» En appliquant à la cause ces principes, qui sont tirés des ordonnances et rapportés unanimement dans tous les auteurs, le sicur Koesterich a pris service dans les troupes du roi; il a mérité même, il est vrai, des honneurs militaires; mais il n'a point demandé la qualité de citoyen; il a toujours conservé

celle d'étranger, et il est décédé tel. Il n'a donc pu disposer par testament en faveur du demandeur.

» C'est aussi ce qui a été bien formellement décidé par deux lettres de M. le comte d'Argenson, ministre et secrétaire d'état ayant le département de la guerre; la première à M. de Vannolles, intendant d'Alsace, du 18 octobre 1749, au sujet de la succession du sieur Gotschel, lieutenant-colonel réformé et étranger de naissance, qui était mort à Landau, et dont le frère, officier dans les troupes de Hesse, avait réclamé la succession; la seconde, au sieur comte d'Apremont - Linden, colonel du sieur Koesterich, au sujet de la présente contestation.

» Enfin, ces décisions ont été rendues conformément à la loi qui exige, pour la validité des actes de dernière volonté, qui sont des actes du droit civil et de citoyenneté, que celui qui les fait, soit du nombre de ceux à qui le droit civil en a accordé la faculté : testamenti factio est juris civilis, et civibus tantùm testari permittitur. (Loi testamenti factio, D. de testamentis. ) Cette maxime est suivie dans tous les pays où le droit civil a été reçu, et doit l'être aussi parmi nous, parceque ce droit forme la loi commune de la province. Ainsi, et par une conséquence bien simple, l'opposition à l'arrêt qui adjuge au roi la succession du sieur Koesterich, n'est point fondée ».

L'avocat du sieur Perreau dit, pour établir son opposition, qu'un étranger qui vient offrir son sang, sa vie, toutes ses vertus, pour le service de l'État, mérite infiniment de considération et même de reconnaissance; que ces motifs avaient fait rendre une ordonnance en faveur des militaires étrangers d'origine, qui leur donne la faculté de disposer de leurs biens par actes de dernière volonté.

Cette ordonnance (ajouta-t-il) est celle de François Ier qu'a suivie celle du 30 novembre 1715....

Il invoqua ensuite les exemples des commerçans, des écoliers, des Irlandais-jacobites, des Suisses, des ambassadeurs, qui sont tous exempts du droit d'Aubaine.

M. l'avocat-général répliqua à ces moyens, « qu'il est vrai que le sacrifice qu'un homme fait à l'Etat, de son sang, de sa vie et de ses talens, mérite de la considération; mais qu'il n'y a jusqu'ici aucune loi qui ait décidé que ces sortes de sacrifices dispensent de l'aubanité.

» Pour ne citer qu'un seul exemple, si jamais services ont mérité de la reconnaissance,

ce sont assurément ceux rendus par M. le maréchal de Saxe; cependant, comme il était né en Saxe et non naturalisé, il lui a fallu, afin qu'il pût disposer de ses biens par testament, un indult que le roi lui a accordé, même à l'égard d'étrangers. Distinction bien décisive contre le demandeur.

» Il y a, en un mot, contre la prétention du demandeur, la loi de l'Etat qui est positive, et qui se trouve confirmée par les déclarations particulières, les actes exprès, les capitulations formelles, les traités spécifiques qu'il a fallu faire, lorsque le roi a bien voulu se relacher quelquefois du droit qui lui est dû en vertu de cette loi, ainsi qu'il l'a fait en faveur des commerçans, des écoliers, des Suisses, des matelots étrangers; mais il n'y a aucune dérogation pareille en faveur des sujets prussiens qui puisse servir de titre au demandeur.

» L'ordonnance de François Ier n'est pas dé cisive en sa faveur, parcequ'elle n'a été enregistrée qu'au siége de la connétablie, tandis cependant qu'elle a été faite dans un temps où, pour avoir effet, elle aurait dû être enregistrée au parlement de Paris, puisqu'elle ne renferme pas une simple discipline, mais une disposition dérogatoire au droit domanial. Aussi n'a-t-elle point eu d'exécution: témoin cette même lettre écrite par M. le Blanc en 1721, qui fait connaître que ce n'est que par des motifs de faveur que M. le régent a bien voulu agréer la disposition du colonel allemand, grâce particulière qui ne déroge point à la loi générale dont il n'est pas permis aux juges de s'écarter ».

D'après ces raisons, arrêt du 3 avril 1751, qui « faisant droit sur les réquisitions du procureur-général du roi, déboute le demandeur de son opposition ».

Cet arrêt, le précédent, et la lettre ministérielle du 21 avril 1750 prouvent bien évidemment que la déclaration au greffe est indispensable de la part de tout officier ou soldat étranger qui, après avoir servi le prince et l'Etat pendant dix années, veut acquérir la qualité et les priviléges de régnicole.

Combien donc se trompait ce jeune juris consulte, qui plaidant, en 1784, au parle ment de Paris une affaire de ce genre (dont il est parlé à l'article Anglais), disait que « l'essentiel pour jouir de la naturalisation, est d'avoir servi pendant dix années; en sorte qu'il est naturel de penser que le législateur a moins voulu exiger une déclaration au greffe après dix années de service, que déclarer inutiles celles qu'on pourrait faire avant d'avoir servi pendant dix années » !

Les mêmes décisions prouvent aussi que ce jurisconsulte se trompait encore, quand il soutenait que l'admission d'un officier étranger dans l'ordre de Saint-Louis, non-seulement suppléait au défaut de déclaration, mais était de nature à faire perdre à jamais, du moins relativement à lui, le souvenir de cette formalité.

On lui demandait comment il parviendrait à établir un pareil système.

« Il ne faut (répondait-il) que parcourir la formule du serment que prête tout récipiendaire entre les mains de la personne nommée par le roi pour lui conférer l'ordre.-10. Vous jurez (porte-t-elle), sur la foi que vous devez à Dieu, votre créateur, que vous vivrez et mourrez dans la religion catholique, apostolique et romaine; 2o que vous serez fidèle au roi, ne vous départirez jamais de l'obéissance qui lui est due, et à ceux qui commandent sous ses ordres; 3° que vous garderez, défendrez et soutiendrez, de tout votre pouvoir, l'honneur, l'autorité et les droits de sa majesté, et ceux de sa couronne envers et contre tous; 4o que vous ne quitterez jamais son service pour entrer dans celui d'un prince étranger, sans la permission et agrément par écrit signé de sa majesté; 5o que vous lui révélerez tout ce qui viendra à votre connaissance contre sa personne etcontre son Etat; et gardercz exactement les statuts et règlemens de l'ordre de Saint-Louis, auquel sa majesté vous a agrégé, et dans lequel elle vous a honoré d'une place;

60 que vous vous comporterez en tout comme un bon, sage, vertueux et vaillant chevalier est obligé de faire, ainsi que vous le jurez et promettez.

»Si, comme on l'a prouvé, la déclaration au greffe, indiquée par la loi de 1715, n'a eu pour objet que de s'assurer des véritables dispositions des gens de guerre qui ont servi pendant plus de dix ans, de les attacher plus étroitement encore à l'Etat, peut-on douter un instant que cette formalité n'ait été parfaitement suppléée par l'auguste cérémonie dont on vient de lire les détails? Peut-on même comparer une formalité obscure, étrangère à la religion, souvent ignorée de tout autre que de celui qu'elle intéresse, ensevelie dans la poussière d'un greffe, avec un serment solennel prêté entre les mains d'un officier-général qui représente le roi, en présence d'une foule de témoins, ou déjà revêtus de l'ordre, ou qui aspirent à l'honneur de le recevoir, sous l'appareil imposant de la religion et des armes, et dont le monument bientôt envoyé au roi, se conserve précieusement sous ses yeux ».

Ces considérations peuvent éblouir un ins

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