Page images
PDF
EPUB

et des populations qu'elles intéressent: des forces maritimes suffisantes étaient distribuées sur les stations les plus propres à protéger efficacement notre commerce; et aucun impôt, aucun emprunt nouveaux ne seraient nécessaires pour couvrir les dépenses de l'année qui venait de finir.

Plusieurs passages de ce discours avaient excité une vive sensation dans l'assemblée; ils n'en produisirent pas moins dans le public; ce fut bientôt l'objet de toutes les conversations, le texte de commentaires et de critiques dont les détails se trouveront à leur véritable place.

Quelques jours après, les deux chambres répondirent au discours du trône par des adresses (délibérées, celles des pairs le 1er avril, celles des députés le 3), qui n'étaient, selon l'usage, qu'une réproduction approbative des sentimens exprimés par la couronne, et des mesures annoncées comme devant être soumises prochainement à la législature. On remarqua seulement dans la réponse de la chambre élective deux paragraphes qui n'avaient été motivés ni directement ni indirectement par le discours du trône. Ils réclamaient pour le culte des lois protectrices, pour ses ministres une existence digne d'eux, pour l'éducation publique un appui nécessaire. Comme le culte est protégé par les lois, que ses ministres, objet de la sollicitude des législatures précédentes, n'ont point une existence indigne des fonctions qu'ils exercent, et que l'éducation publique, ayant un prélat à sa tête, n'est point soustraite à l'influence religieuse, le parti libéral vit dans cet acte d'initiative, resté sans résultat dans cette session, une première démarche publique en faveur d'un ordre religieux placé encore sous la disgrâce d'un arrêt solennel.

( 24 mars. ) Dès le lendemain de la séance royale, la chambre des pairs, s'étant rassemblée, nomma pour secrétaires MM. le baron de La Rochefoucault, le duc d'Uzès, le duc de Cadore et le marquis de Latour-Maubourg. La chambre des députés, provisoirement constituée sous la présidence d'âge de M. Chilhaud de La Rigaudie, procéda par la voie du tirage à la composition des bureaux. L'ordre du jour de la séance suivante était la vérification des pouvoirs.

De nombreuses difficultés devaient s'élever, si l'on en juge par la multitude de protestations qui avaient été signées dans les colléges électoraux, par les abus, les retards, les violences même dont s'étaient plaints une multitude d'électeurs, et par toutes les réclamations dont les colonnes des journaux avaient été si longtemps remplies. Mais l'opposition, réduite à un petit nombre de membres, sentait elle-même sa faiblesse, et devait avoir peu de confiance dans ses efforts. Cependant la vérification des pouvoirs occupa long-temps la Chambre, et donna lieu à des débats fort animés, où l'on vit quelques membres lutter avec opiniâtreté.

La première difficulté qui s'éleva avait pour objet la double élection du général Foy. Le rapporteur du premier bureau, chargé de faire connaître la validité des opérations du collége électoral de l'Aisne, annonçait que le procès-verbal était régulier; mais que, faute de pièces, l'admission du général paraissait devoir être ajournée, pour l'arrondissement de Vervins comme pour celui de St-Quentin. On répondait que les pièces étaient entre les mains du huitième bureau (chargé de vérifier les opérations des colléges de Paris), et qu'on aurait dû en demander la communication. Le rapporteur ajoutait que le premier bureau avait pris connaissance de ces pièces, et que le général Foy ne justifiait pas suffisamment de ses contributions personnelles et mobilières, nċcessaires pour compléter le cens d'éligibilité... En effet, d'après les explications données ensuite par le général Foy, par erreur ou par oubli, on n'avait pas porté sur les rôles de 1824 ces deux espèces de contributions qui se paient pour les militaires en activité de service au moyen de retenue sur leurs appointemens. Mais le ministre des finances, auquel le général Foy avait adressé sa réclamation à cet égard, y avait fait faire droit, en ordonnant qu'il fût rétabli sur les rôles, et les pièces qui constataient le cens d'éligibilité avaient été adressées au huitième bureau, sur le rapport duquel la triple élection du général Foy, qui opta ensuite pour Vervins, fut déclarée valide.

Une discussion plus vive s'engage ensuite au sujet de l'élection de M. de Saunac, par le collége de Dijon, contre laquelle il existait

une protestation signée par 150 membres du collége électoral, sur ce qu'un grand nombre d'électeurs de ce collége avaient été éliminés de la liste quoiqu'ils eussent droit d'en faire partie, tandis que d'autres individus y avaient été admis sans en avoir le droit. M. de Girardin demandait à faire lecture de cette protestation. M. Breunet s'y opposait, soutenant que la chambre ne pouvait s'occuper que de la validité des élections, et non de la rectification des listes électorales, question qu'on devait renvoyer aux autorités compétentes pour examiner les erreurs qui auraient pu être commises dans la confection des listes; doctrine qui fut vivement repoussée par M. de Girardin.

- Je ne pense pas, dit-il, que la chambre soit arrivée au point d'adopter sans examen les propositions qui lui sont faites. Il s'agit maintenant d'électious. Eh bien, notre devoir est de savoir si les élections sont régulières. Or, elles ne peuvent l'être qu'autant que tous les électeurs ayant droit de voter ont été admis à déposer librement leur vote : c'est un droit pour vous de discuter ainsi la validité des élections; et le jour où la Chambre consentirait à abdiquer ce droit pour le transférer à l'autorité, ce jour là il n'y aurait plus d'élections, et les droits de la chambre seraient anéantis... Comment, je vous prie, connaitrez-vous la validité d'une élection, si vous vous en rapportez exclusivement aux proces-verbaux, quand ces procès-verbaux sont rédigés par une majorité d'électeurs à qui l'on conteste le droit délire? Si la Chambre refuse d'entendre la protestation des cent cinquante électeurs du collège de Dijon, je dis que c'est un déni de justice, c'est nous courber devant l'arbitraire ministériel, et la France sait comment cet arbitraire s'est exercé : car les élections n'out été libres nalle part (murmures à droite ; — des voix de ce côté : Vous avez vos raisons pour parler ainsi). Il faut que la France sache que cet arbitraire a été général, et qu'il n'a pas porté sealement sur les membres de ce côté (gauche), mais qu'on en a été également frappé de l'autre côté. Partout on a attaqué les citoyens désagréables au ministère ; on a éliminé des électeurs ayant le droit de voter, pour leur snbstituer des individus qui n'étaient pas électeurs. Ce fait est constaté par la protestation que je vous présente... Si la chambre adopte la doctrine qui vient d'être proclamée, elle abdique tout gouvernemeut représentatif. Au reste, les élections présentes prouvent jusqu'à quel point il est anéanti. ›

A cette attaque accueillie par de fréquens murmures, M. de Berbis qui avait présidé le collége ou M. de Saunac avait été élu, rendit compte des faits qui s'y étaient passés.

Le premier jour de l'élection, dit-il, tous les électeurs ont voté dans les deux sections. Dans la première, le bureau a été confirmé à une majorité de soixante-dix-sept voix, et dans la seconde, à une majorité de soixante-dix-neuf voix. Quand ils ont vu cette majorité immense, les électeurs dont il s'agit maintenant, qui n'avaient rien dit, qui avaient voté comme les autres sans

faire entendre la moindre réclamation, ont protesté contre la formation des listes... Aucun électeur de l'arrondissement n'a été privé de son droit électoral, aucun individu n'a été admis illégalement, et, s'il y a en quelque erreur, elle n'a pas été connue de l'administration. Au surplus, il est une raison qui tranche toute difficulté. J'ai déjà fait connaître l'immense majorité qui s'était prononcée en faveur du bureau provisoire; eh bien, le lendemain de la formation du bureau, et quand les électeurs s'avisèrent de protester parce qu'ils se voyaient les plus faibles, et qu'ils se retirèrent, il resta quatre cent soixantequatorze votans, sur lesquels M. de Saunac obtint quatre cent quarante suffrages. Supposons donc, ajoute M. de Berbis, que la liste électorale de la Côted'Or fût restée dans le même état que lors de la première publication, sans que personne en eût été éliminé: elle était composée de huit cent vingt élec- teurs, et il y avait encore majorité pour M. de Saunac. Quelle valeur peut donc avoir la réclamation dont on vous occupe? La protestation ne prouve rien autre chose, sinon que, quand on est battu, on n'est pas content. »

[ocr errors]

- Voilà qui est admirable dans la bouche d'un des vainqueurs, réplique M. de Girardin; mais il faudrait connaître les moyens qu'on a employés pour battre ceux qui se plaignent; si ces moyens ont consisté à empêcher de voter ceux qui en avaient le droit, et à faire voter des hommes qui n'étaient pas électeurs, je dis qu'il n'y a pas majorité légale, qu'il y a influence coupable, qu'il y a même faux matériel; je sais que je parle à des victorieux, je sais qu'il faut se soumettre; mais je sais aussi que le droit du plus faible est de protester contre les victoires éphémères dont les vainqueurs pourront avoir eux-mêmes à se repentir; car, si vous amenez l'arbitraire, l'arbitraire vous menace, et il vous frappera... Enfin, si la Chambre ne veut pas entendre la protestation, je descends de la tribune; mais je déclare qu'il est constaté que les élections de la Côte-d'Or sont illégales.

[ocr errors]

Ici revient la discussion de la doctrine émise tout à l'heure sur la voie ouverte pour constater la régularité de la formation des listes et la légalité des opérations électorales. Et M. le ministre de l'intérieur ( comte de Corbière), exposa ce qu'il regardait comme les véritables principes.

« Sans doute, dit Son Exc., si par une malversation quelconque, un préfet pouvait substituer ceux qui ne sont pas électeurs à ceux qui le sont, en rayant les uns et inscrivant les autres, le droit d'élection ne serait qu'un fantôme ; il n'y aurait pas d'élections. Je dois dire aussi que la chambre, étant juge de la validité des élections, doit connaitre tout ce qui peut être allégué avec fondement contre les élections. Mais on m'accordera sans difficulté que la chambre est dans l'impossibilité de vérifier l'immensité des faits électoraux qu'on pourrait alléguer à cette tribune. Cependant, la loi a pris des précautions pour que vous ne restiez pas dans cette impossibilité. Lorsque les listes sont affichées et paraissent contenir des erreurs en plus ou en moins, ceux qui croient avoir à se plaindre peuvent se pourvoir devant le conseil de préfecture, qui est, dans ce cas, un tribunal institué par la loi. Si ce tribunal pouvait commettre une erreur, la loi ajoute qu'il y aura pourvoi ainsi que de droit. Vous voyez dans cette loi que pour tel cas on doit en appeler au conseil d'état, et pour tel autre aux tribunaux ordinaires...

[ocr errors]

Ainsi donc, sans être dans la nécessité de statuer sur l'immensité des faits

[ocr errors]

particuliers d'élection dont on vous entretient, vous avez le moyen de vous assurer que toutes les opérations ont été légales, parce qu'elies le sont toutes les fois qu'on ne s'est pas pourvu par la voie tracée dans la loi. La France et la Chambre ont donc été ainsi garanties de toute erreur comme de toute malversation. »

Quant à la question de savoir si la protestation devait être lue à la Chambre, ou seulement, comme M. Méchin se bornait à le demander, si elle devait être renvoyée au bureau, le ministre n'était pas d'avis de la première proposition, parce qu'il pouvait se trouver, dans la protestation, des choses qu'il ne conviendrait pas à la chambre d'entendre; mais il ne voyait point d'inconvénient à ce qu'elle fût renvoyée au bureau, ce qui fut adopté; et le rapport fait le lendemain conclut à l'admission de M. de Saunac, qui ne souffrit aucune opposition.

Une autre protestation fut présentée sur une querelle qui s'était engagée, au 3e arrondissement de la Côte-d'Or, entre le président et un électeur qui ne voulait pas ôter son chapeau en lui parlant : elle n'eut aucune suite; mais elle donna occasion de remarquer que, dans ce collége, composé, d'après les listes, de 300 membres, il ne s'était trouvé que 171 votans. D'ailleurs M. Sallier, candidat élu, n'en avait pas moins réuni la majorité, 165 suffrages. Il fut admis, sans réclamation.

Un fait, dont les détails semblent peu dignes de la gravité de l'histoire, mérite pourtant d'y être rappelé, parce qu'il touche à la liberté du vote électoral.

« Un électeur se présente dans un collége (de l'Isère), c'est encore M. de Girardin qui parle; il observe qu'il est impossible de voter secrètement d'après la disposition des lieux. Il apporte un carton pour dérober aux yeux des membres du bureau la connaissance de son bulletin. On lui objecte qu'il ne peut s'en servir; on veut le lui enlever, il résiste; on appelle la gendarmerie, et l'électeur est empoigné ( on rit beaucoup à droite); l'expression vous paraît gaie, poursuit froidement M. de Girardin, mais il s'y rattache un souvenir bien douloureux, et puisé dans le sein même de cette chambre (expulsion de M. Manuel); je ne puis concevoir que vous tolériez un pareil attentat. En Angleterre, on se connait mieux que nous en liberté; on éloigne des élections toute force armée; ce n'est pas avec des baïonnettes qu'on force les électeurs à sortir du lieu de l'élection. Ici, on convoque les électeurs dans l'endroit le moins peuplé du département de Visère, et les électeurs trouvent la gendarmerie en bataille... Dans un cas pareil, qu'ont dû faire les électeurs libres? Ils ont dû se retirer, en déclarant qu'il n'y avait pas de liberté. »

« PreviousContinue »