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qualités dans le talent trop inégal mais
souvent énergique de M. Delacroix,
plus on souhaite que ses amis l'exhor-
tent à considérer ce qui se passe au-
tour de lui. Le goût se modifie de jour
en jour, et nous sommes déjà loin du
temps où les brusques bizarreries du
style et du coloris suffisaient pour assu-
rer à de jeunes peintres les applaudis-
sements de la multitude. On n'accepte
plus comme des tableaux ce qui n'en
est que l'idée première, négligem-
ment jetée sur la toile. Sans vouloir
prescrire à la peinture les limites étroi
tes de l'ancien classique, on se croit en
droit d'exiger qu'elle termine ce qu'elle
commence, et qu'à la pureté du dessin
elle joigne, autant qu'il lui est pos-
sible, la vérité de la couleur. Ceux qui
ne connaissent l'amante de Marc-An-
toine que par la réputation de ses char-
mes vainqueurs, comme disent les
poètes galants, seront peut-être éton
nés du caractère de tète que le peintre
a prêté à cette femme celebre.. M. De-
lacroix n'a pas cru devoir suivre l'exem
ple des statuaires, qui en avaient fait
une beauté du grand style; el, en cela,
il est excusable, puisqu'il est vrai que
l'esprit, la grâce et la coquetterie fai-
saient le plus puissant talisman de Cléo-
pâtre, dont les traits étaient plus agréa-,
bles et plus piquants que régulièrement
beaux. La figure principale est peinte
avec un soin, une delicatesse dont ài. De-
Jacroix n'est pas coutumier. Les carna-
tions sont fraiches et vivantes; les con
tours sont flexibles et moelleux; et l'on
peut, à la rigueur, s'expliquer, par un
profond mépris de la mort, le regard
froidement tranquille que la reine
porte sur la vipere dont la morsure
doit la délivrer de la vie. Mais, sur les
deux figures essentielles dont se com-
pose son tableau, le peintre devait il
n'en terminer qu'une? Le payan qui
apporte le serpent dans un panier de
fruits, et qui occupe au premier plan
la moitié de la toile, semble n'avoir
été mis en regard de Cléopâtre que
pour faire, à l'avantage de celle-ci,
une opposition tranchante de formes et
de couleur. Il serait difficile d'imaginer
un dessin moins correct, des teintes
plus singulièrement confuses, un ton
plus dur et plus briqueté. Si c'est un
sacrifice que le peintre a cru devoir
faire pour rendre plus sensibles les

formes moelleuses et la bonne couleur de l'autre figure, on ne saurait s'empêcher de dire qu'uue licence si choquante n'est pas suffisamment rachetée par son résultat. En dernier examen néanmoins, cet ouvrage digne d'éloges confirme dans l'opinion que M. Delacroix est né coloriste, et que sa persistance dans un faux système est jusqu'a présent le seul obstacle qui l'em. pêche de satisfaire entièrement à sa vocation.

Les Aristarques de la peinture se sont vus forcés de convenir que M. Genod avait mis au Salon un ouvrage extrêmement remarquable: c'est la Fête da bisaieul, tableau de chevalet, dont le sujet a été pris dans une coutume du Beaujolais. Un vieux laboureur reçoit, le jour de sa fète, les compliments et les caresses de sa famille; grands et petits lui apportent des bouquets, accompagnés d'autres cadeaux; mais rien ne parait faire plus de plaisir à ce bon vieillard que de voir et d'embrasser un nouveauné, qui est l'enfant de son petit-fils. Un sentiment doux et patriarcal règne dans toute cette scène d'intérieur; elle est à la fois gaie et touchante. Que les gens de l'art reprochent au peintre le ton un peu roux de son coloris, et quelques formes trop arrondies, qui manquent peut-être de vigueur; on ue doit voir dans cet ouvrage que la vérité naïve des expressions, la délicieuse figure de la jeune mère, la satisfaction pure et cordiale de son mari, qui tient caché derrière lui une couple de lapereaux destinés ou banquet de famille; et, enfin, la part que chacun des assistants prend, sans la moindre affectation, au bonheur du vieux laboureur. Cette composition, sagement ordonnée, et dont l'exécution, quoique très-soignée, n'est ni froide, ni minutieuse, nous pa raît réunir, à un très-haut degré, les principales qualités du genre que Greuze a créé parmi nous. Aussi n'hésitons-nous pas à la signaler comme un des meilleurs et des plus utiles tableaux de l'exposition.

M. Court ne ressemble plus guère à ce qu'il était il y a douze ans : nous avions peine à reconnaître l'auteur de la Mort de César et même celui de Boissy-d'Anglas saluant la tête de Féraud, dans le très long et très-singulier

tableau qui représente la Fuite de Ben Aissa. Cette différence est-elle tout-àfait au désavantage de M. Court? Oui et non. Oui, si, parmi les ouvrages que cet estimable artiste vient de soumettre au jugement du public, on ne veut s'arrêter qu'à la fuite miraculeuse du guerrier arabe, tableau dont la forme et la composition disgracieuse sont loin d'ê tre suffisamment rachetées par le mérite technique de l'exécution: NON, si l'on regarde, de préférence, les portraits en pied du maréchal Vallée et de la jeune Suissesse de Brientz.

Ces deux ouvrages, franchement et solidement peints, font beaucoup d'hon neur au pinceau de l'artiste, qui n'avait montré, à son retour de Rome, ni une si grande pureté de teintes, ni une si grande vivacité de coloris. Moins scrupuleux aujourd'hui dans son style et dans son dessin, M. Court nous frappe davantage par la bardiesse de son pinceau, qui semble arriver, du premier coup, au ton le plus brillant et quelquefois le plas juste de la couleur locale. Mais comment ne pas tomber d'un excès dans l'autre, quand on se décide si promptement à changer de manière ? A force d'éviter les tons mats et lourds d'une touche laborieuse, M. Court n'a pas su s'arrêter au degré de vivacité au-delà duquel sa couleur devait être trop crue et trop éclatante. Il a su se préserver de cet abus dans son portrait en pied du maréchal Vallée, qui, au caractère d'une individualité bien sentie, joint celui d'une exécution presque irréprochable; mais, dans son portrait de la jeune Helvétienne, qui, d'ailleurs, a en un très-grand succès, l'artiste ne s'est pas assez défié de sa prédilection actuelle pour les tons brillants et fleuris. La tête de cette paysanne est charmante; on y admire, avec raison, un heureux mélange de naïveté et de coquetterie villageoises. Les bras et les mains sont de la plus belle chair; les ajustements sont du meilleur goût, quoiqu'an pea trop recherchés peut-être : néanmoins cette peinture si fraîche, et dont l'aspect est si séduisant, uous a semblé avoir, de près comme de loin, un éclat exagéré, qu'on trouve rarement dans la nature, et qu'il eût, au moins, falla éteindre ou adoucir par de légers glacis. Le bleu, surtout, y domine trop. C'est l'effet mal entendu d'un fond de

ciel sans transparence, où l'artiste nous a semblé avoir prodigué, outre mesure, d'épaisses couches d'indigo. M. Court est assurément l'un de nos peintres les plus distingués; mais, avare de demiteintes, il semble plus occupé de frapper fort que de frapper juste ; et comme cette disposition est presque toujours encouragée par les faux connaisseurs, il est à craindre que cet artiste ne se laisse entraîner beaucoup trop loin de la vérité.

On reconnaissait la main facile et expéditive de M. Mauzaisse dans une grande allégorie placée au Salon; c'était bien la pureté et la légèreté habituelles de ses teintes, et le ton fleuri de sa couleur générale. Jusque là c'est un sujet d'éloges; mais voici le revers de la médaille : ses figures sont d'un dessin trop négligé; la figure de la France manque de grâce et de noblesse; enfin, il y a des parties si mollement touchées qu'elles semblent appeler de nouveau le pinceau de l'artiste. L'allégorie, qui, suivant un de nos poètes, habite un palais diaphane, est, au surplus, un genre si faux et si froid, et ce genre est devenu si difficile depuis que la vieille mythologie des Grecs est mise à l'index, qu'on peut pardonner au peintre le plus habile de n'en tirer qu'un parti médiocre : autre temps, autre goût. Malgré tout le succès que M. Mauzaisse obtenait il y a quinze ou vingt ans eu peignant les plafonds du Louvre, il fera sagement d'abandonner les fictions emblématiques pour nos terrestres réalités. Son Arioste, qu'on a long-temps vu au Luxembourg, et sa Bataille de Fleurus, qui se fait honorablement remarquer dans le Musée de Versailles, conserveront long-temps le suffrage des ama

teurs.

Un homme qui fait admirablement le genre, quoiqu'il puisse appliquer son talent à des sujets même graves, c'est M. Granet. Les Funérailles des victimes de Fieschi aux Invalides prouvent de reste ce que nous avançons. Mais pour jouir de toute la bonhomie, de toute la finesse de ce peintre vrai et spirituel, il faut voir le Padre Pozzo, de la compagnie de Jésus, peignant entouré de religieux de son ordre, et d'autres compositions où le peintre a représenté, avec tant de gentillesse, le goût du repos et la friandise de ces bons beats

qui habitent les couvents de l'Italie. C'est une critique douce, quoique pleine de sel, où l'on reconnaît la double influence de l'homme d'esprit et du peintre de talent.

M. Tony Johannot, qui, de graveur de vignettes, est devenu par gradation peintre de genre et peintre d'histoire, a certainement une facilité aussi précieuse que rare; il doit être capable d'arriver au grand; mais des deux ouvrages qu'il avait exposés cette année. le plus petit. et sans doute celui auquel il attachait le moins d'importance, nous a para le meilleur; ce qui donne lieu de penser qu'avant d'entreprendre des ouvrages considérables, il a encore besoin de s'y préparer par une étude plus approfondie du dessin et de la couleur. Sa Mort de Julien d'Avenel, sujet tiré du Monastère de Walter Scott, est un tableau de chevalet, composé avec une louable simplicité. Les figures, touchées avec esprit, rappellent bien les caractères donnés par le roman; le ton général ne manque ni de finesse ni de ressort, enfin, c'est une production faite pour occuper honorablement sa place dans le cabinet d'un riche amateur. Quant à la Bataille de Rosebecque par le même auteur, quoiqu'elle ne représentât à nos yeux qu'un des épisodes de cette mémorable affaire, on y a trouvé de l'élan et une action vivement engagée; mais habitué aux petites dimensions, M. Tony Johannot n'a malheureusement pas proportionné la vigueur de sa touche a la grandeur des figures, et le ton gris-verdâtre de son coloris est entièrement privé de solidité. Cette composition enfin n'est pas large ment peinte dans la pâte, et elle rappelle trop les cartons gouachés d'après lesquels s'exécutaient autrefois les tapisseries des Gobelins. Néanmoins quelques retouches vigoureuses sur le premier plan sufliront pour donner a la bataille de Rose becque une bonne partie de la valeur et de l'effet dont elle est uniformément pourvue.

M. Henry Scheffer, frère de M. Ary, dont nous avons parlé plus haut, n'avait exposé cette année que deux ou trois portraits et un tableau de petite dimen sion, représentant le Conseil tenu par le Roi au château de Champlâtreux, le 11 août 1838. Les portraits nous ont paru excellents; mais ce genre de pein

ture n'intéresse que médiocrement le public, surtout quand on lui cache le nom des modèles. Le Conseil tenu par le Roi attirait beaucoup plus les regards de la multitude. La figure principale et celles des ministres sont très-ressemblantes, ou du moins très-reconnaissables; et le maintien de chaque personnage répond parfaitement, dit-on, à sa manière d'être habituelle. Voilà donc un ouvrage tout-à-fait historique, qui, en acquérant chaque jour plus d'intérêt, promet de passer à la postérité la plus reculée. Il est néanmoins à regretter que l'auteur n'ait pas pris le temps de donner à ses têtés plus de contour, et de mieux les détacher du fond sur lequel elles semblent avoir été découpées. Ce fond, qui avance beaucoup trop, est aussi d'un ton dur et lourd,qui réclame de légères modifications.

M. le comte de Forbin, qui, depuis quatre ou cinq ans, avait laissé reposer ses pinceaux, ou qui, du moins, n'avait rien envoyé à l'exposition, reparais sait avec six ouvrages que nous n'osions pas espérer. On reconnaît dans tous, au premier coup d'œil, le beau coloris de l'auteur. Il est vrai que les figures de M. de Forbin n'ont jamais été remarquables par la précision du dessin, et nous avouerons que, sous ce rapport, il prête plus que jamais à la critique; mais qu'on ait soin de placer ses tableaux à une certaine distance de notre œil, et ces mêmes figures, qui, de près, ne supportent pas l'examen, acquerront, comme par enchantement, une forme plus régulière. Ce n'est donc point par le fini de l'exécution qu'il faut juger M. de Forbin; c'est par ses ordonnances pittoresques et vraiment romantiques; c'est par les illusions mystérieuses de son clair-obscur; c'est par la force et l'harmonie de sa couleur; et, alors que toutes ces qualités ne se trouveraient pas réunies dans ses derniers tableaux au même degré que dans ceux de sa jeunesse, alors que sa main, long-temps oisive, n'aurait plus aussi puissamment secondé sa poétique imagination, il faudrait encore lui savoir gré de ses efforts, qui sont loin d'être infructueux et nous rappellent de brillants souvenirs.

M. Jollivet a montré ce qu'il y a de vrai et d'énergique dans son talent, en traitant une Descente de Croix. Si rien

de bien original ne se fait jour dans cette composition, on y retrouve un emploi intelligent des traditions des grands maîtres italiens du milieu du seizième siècle.

Le Charles-le-Téméraire entrant à cheval dans la cathédrale de Nesle pendant le sac de cette ville, est une peinture pleine de vérité, et très-habilement exécutée par M. E. Odier. Nous croyons même pouvoir dire que cet artiste a fait, dans ce que comporte le matériel de l'art, des progres qui le placent à un rang élevé. Mais, à propos du choix de ce dernier sujet, et même de celui de l'année derniere, nous lui adresserons quelques reproches. Ces actions, celle de Charles-le- Téméraire entre autres, manquent de ce genre d'intérêt qui fait qu'un ouvrage frappe l'esprit et touche l'âme. Dans la suite d'une histoire écrite, on est bien forcé d'y introduire tous les faits qui s'enchainent, quels qu'ils puissent être; mais dans un tableau, et dans un tableau de grande dimension, destiné naturellement à décorer un lieu public, il est nécessaire que l'artiste fasse choix d'un sujet qui ait un but précis et nettement moral, en ce sens qu'il fasse valoir l'action représentée où qu'il la blâme. Or, il y a une impartialité dans la composition de M. Odier qui pourrait plaire dans un tableau anecdotique de petite dimension, et destiné à orner le salon d'un amateur; mais qui blesse dans une grande composition qui ne trouverait raisonnablement pas de place dans une église, un palais ou un hôtel-de-ville, bien que ces grands édifices soient ceux qui pourraient matériellement les recevoir. Certes, il y a de l'inconvénient à trop donner à l'idée et à l'esprit quand on exerce la peinture ou la statuaire; cependant il ne faut pas non plus négliger la pensée, et M. E. Odier peut trèsfacilement répondre à cette double exigeance.

La Haine, par M. Brune, est une tres-bonne académie, une figure historice, comme se plaisaient à en peindre les élèves des Carrache. Le dessin, sans êne correct, a du caractère, et la manicre dont le torse est étudié classe l'auteur de cette figure parmi les habiles praticiens.

La Messe de saint Lucien, par M.Omer Charlet, a été comprise dans l'opéra

tion de revirement qui a terminé le mois de mars dernier.

La touche de l'artiste est un peu sèche, ses carnations pourraient avoir plus de vie; mais la scene représentée est disposée avec art, les figures ont de l'action et du caractère; en un mot, il suffit de cet ouvrage pour prouver que l'auteur a déja plus que des dispositions, et qu'on lui doit au moins des encouragements.

M. Petit (Jean-Louis), peintre de marine, justifie de plus en plus les espérances qu'on avait fondées sur ses premiers ouvrages. Il y a dans son Phare de Gatteville, près Harfleur, un effet pittoresque et vrai qui annonce une grande aptitude à faire usage des contrastes et à saisir rapidement les reflets accidentels de la lumière sur les vagues d'une mer agitée. Il convient, toutefois, de l'avertir que ses ciels sont quelquefois traités avec négligence.

Personne ne peut mettre en doute le mérite de M. Eugene Isabey, qui s'est établi, dit on, sur les côtes de Normandie pour y observer les eaux de l'Océan, à toutes les heures de la journée. Son tableau représentant le Combat du Tcxel est une preuve de l'attention avec laquelle il a étudié la construction des vaisseaux et les mouvements d'une armée navale. Ce tableau, d'une exécution fière et vigoureuse, a quelque chose de saisissant; l'ordonnance en est imposante; mais il faut le considérer de loin; vu de trop près, il perd une grande partie de son effet, car les eaux, que M. Eugène Isabey peint ordinairement avec tant de vérité, sont, dans cette marine, tellement lourdes et opaques, qu'on a peine à y reconnaître sa main. Quelque tourmentée que puisse être la mer dans le combat le plus opiniâtre, elle ne s'épaissit pas à ce point, elle ne perd jamais entièrement son caractère de fluidité. Cette observation paraîtra peut-être rigoureuse; mais il faut considérer que M. Eugène Isabey s'est fait, à juste titre, une grande réputation, et que personne moins que lui n'a besoin d'indulgence. S'il est vrai qu'une critique sévère peut décourager un talent faible qui demande à croître, elle a, en revanche, la propriété de retremper un talent fort, dont les erreurs tirent à conséquence.

On reconnaissait au premier coup-d'œi

la main de M. Bellangé dans son tableau intitulé: Honneur au Courage malheureux! Ce sujet avait déjà été traité, et avec quelque talent, par M.De. bret, en 18C6. A la suite du combat d'Amstetten, des prisonniers défilent devant l'empereur, qui s'est placé sur une éminence, et, au moment où des officiers blessés passent sous ses yeux, il se découvre noblement la tête, en disant Respect au courage malheureux !

Les deux peintres ont conçu et disposé ce sujet à peu près de la même manière; seulement M. Bellangé l'a traité en petit, suivant sa contume. II n'y a guère de figure remarquable dans le tableau de ce dernier que celle de l'empereur; c'était en effet sur celle-là que l'auteur devait, avant tout, appeler nos regards, et il faut convenir qu'aucun autre peintre n'aurait pu rendre avec plus d'esprit la physionomie et la tenue habituelle du héros. Quand au ton général du tableau, il est gris et sourd, encore suivant la coutume de M. Bellangé. Cet artiste entend le clairobscur comme un dessinateur intelligent, mais non pas comme un coloriste. Son Vieux Dragon au repos et son Grenadier blessé, qui, tout en se traînant avec peine, salue de loin Napoléon, sont du caractère le mieux saisi et le plus naturel. M. Bellangé est celui de tous nos peintres qui se montre le plus fidèle au type soldatesque.

Martyre de saint Donatien et de saint Rogatien, par M. Vauchelet. Sans valoir ses précédents ouvrages. ce tablean offrait, sur le second plan, des beautés qui rappellent le style et la couleur de notre célèbre Lesueur. Nous ne sommes pas entièrement satisfait du nuage de poussière d'où sortent les esprits célestes qui apportent aux saints les palmes du martyr; et, quoique les autres figures soient bien peintes, l'ensemble du tableau n'a pas tout l'effet désirable. Nul doute que l'auteur ne puisse traiter avec succès les sujets de sainteté. Sa Mort de la Vierge, belle et riche composition, où tout était calme et pur comme l'âme de Marie, en fournit une preuve sans réplique; mais, parmi ces sujets, il en est de trop aflligeants et de trop tragiques pour un pinceau moëlleux et coulant comme celui de M. Vau

chelet. De ce nombre scnt les scènes de torture et de morts convulsives, qui exigent une touche heurtée, une couleur sombre et vigoureuse. Non omnia possumus omnes: il n'eût pas plus fallu demander au tendre Racine une tragédie d'Atree et Thyeste, qu'à Crébillon une scène d'Esther ou de Bérénice. Il est juste d'ajouter, toutefois, que le tableau de M. Vanchelet était placé trop loin de notre œil pour qu'on en puisse apprécier tout le mérite.

Les chrétiens livrés aux bétes, par M. Leulier Félix. Sans l'odieuse folie de l'empereur Domitien, quifit, dit-on, livrer à sept cents bêtes féroces un certain nombre de chrétiens, M. Leulier n'aurait pas songé à faire un tableau qui a si vivement occupé la curiosité. Ce peintre paraît avoir fait une étude particulière des animaux; aussi ne pouvaitil trouver un sujet plus à sa convenance. Considérée séparémentet avec attention, chacune de ces bêtes, que nous voyons s'entre-dévorer dans un cirque immense, nous semble peinte avec fidélité; mais, en groupant, ou plutot en amoncelant un si grand nombre de monsires furieux, il n'a pas eu l'art d'éviter une confusion presque inextricable; de sorte qu'il faut y regarder de près, et à plusieurs fois, pour distinguer les formes de chaque individu. On peut aussi reprocher à l'auteur de n'avoir pas traité les figures humaines aussi bien que les animaux. Elles sont trés-faibles de dessin et d'expression, et leur rôle de martyrs est trop subordonné pour exciter un intérêt proportionné aux dangers imminents de leur situation. Du reste, l'action est chaudement engagée; et pour y mettre tant de mouvement, pour exprimer avec tant d'énergie ce conflit de rage sanguinaire, il fallait une main hardie et une vive imagination, deux qualités qu'on ne pourrait contester à M. Leulier, alors même qu'elles lui auraient fait commettre de grandes fautes contre la perpective et les règles du clair-obscur. M. Leulier annonce un talent très-remarquable; qu'il a su sortir avec succès des routes ordinaires, et qui pourra prétendre au suffrage unanime des connaisseurs, comme à celui de la multitude, lorsque, sans rien perdre de son feu, il en ré glera mieux l'usage.

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