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à la couronne. Les anciens chefs du Cabinet du 11 octobre avaient changé de religion politique; c'était à la Chambre à décider maintenant s'ils avaient voulu plus ou moins que la constitution.

M. Beudin trouvait affligeant le spectacle que la Chambre présentait depuis deux jours au pays.

M. Corne, au contraire, pensait que l'on pouvait retirer de ces débats si solennels un utile enseignement; que c'était la prérogative de la Chambre, de faire entendre au trône un langage ferme et digne, d'exposer ses griefs et de ne jamais faire abnégation de son droit.

M. de Lamartine vint prendre part à ces orageux débats, et réclamer hautement la liberté de la tribune, qui ne devait pas être un monologue au profit de certains députés. L'Adresse qu'il disait ne pas être l'Adresse du pays, était loin d'avoir son assentiment; il ne se posait pas pour cela en défenseur du Cabinet, qui, peut-être, n'était pas à la hauteur des nécessités du pays; toutefois, il ne le croyait pas incapable de couvrir la couronne. L'honorable membre résumait la politique du 15 avril dans ces trois actes: l'amnistie, la dissolution, le traité de la Tafna, et la jugeait sur tous ces points efficace et courageuse. Alors, dans son langage magnifique, M. de Lamartine délimitait la position constitutionnelle et inviolable de la royauté, dont il révendiquait l'action réelle dans le jeu de nos institutions, et qu'il ne voulait pas voir reléguée comme une abstraction couronnée. Cette anarchie des idées et cette lutte des personnes, dans laquelle s'engageait la représentation nationale, soulevaient l'indignation de l'éloquent orateur, dont la péroraison s'adressait à la fois aux hommes du 11 octobre, du 22 février, et du 6 septembre :

Aujourd'hui, disait M. de Lamartine, les circonstances sont moins fortes et n'appuient plus personne. Ah! tremblez de vous retrouver trop faibles vous-mêmes, après vous être ainsi brisés en deux; ne vous fież

pas tant à vos talents; ce ne sont pas les talents, ce sont les caractères qui soutiennent les empires. Si les adversaires du Cabinet nous présentaient un programme conforme à de grands principes de progrès social; si vous étiez des hommes nouveaux, je voterais avec vous; mais tant qu'il ne s'agira que de renverser des hommes sans toucher aux choses, et que de rectifier aveuglément, je ne sais quels marchés simoniaques, dont nous ne connaissons pas même les clauses pour le pays, je continuerai à voter dans les questions du Cabinet pour les ministres de l'amnistie et de la paix, contre ces ministres énigmatiques, où les uns ont un pied dans le compte-rendu, les autres dans les lois de septembre, et dont l'alliance suspecte et antipathique ne promet à mon pays que deux résultats funestes qu'il vous était donné seuls d'accomplir à la fois : la dégradation du pouvoir et la déception certaine de la liberté, »

A son tour, M. Jouffroy, que ses goûts ne portaient pas, disait-il, à faire de l'opposition, désapprouva cependant le Cabinet, non pour son incapacité, mais pour sa faiblesse. Selon lui, le 11 octobre seul avait administré avec quelque énergie, et l'on devait regretter que la France eût abandonné le rôle qu'elle avait joué en Europe, durant la période impériale. Le pays avait besoin désormais d'une administration forte et persévérante, qui consacrât chez nous une politique durable, comme on faisait à Londres et à Vienne. Si donc, l'orateur s'était rangé du côté de l'opposition, c'était dans l'espérance de voir sortir de ces solennels débats un Cabinet parlementaire et appuyé sur une forte majorité, sans laquelle tout moyen de gouvernement devenait stérile ou funeste.

Telle n'était point l'opinion de M. Jars, qui trouvait fâcheux que l'Adresse fît en quelque sorte la leçon au ministère. Comme M. de Lamartine, il ne voyait dans la coalition qu'une atteinte portée à l'équilibre des trois pouvoirs, et dans la maxime fameuse : le roi règne et ne gouverne pas, une attaque directe contre la royauté. Vivement interrompu par la gauche, l'honorable membre n'en persistait pas moins à demander à la tribune l'action réelle du pouvoir royal et l'indépendance entière du ministère. On ne pouvait que s'affliger de la décadence rapide et sucAnn, hist, pour 1839.

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cessive dont étaient frappés, depuis 1830, tous les hommes qui avaient paru avec quelque éclat sur la scène politique; aussi M. Jars n'hésitait point à voter contre l'Adresse.

M. Odillon-Barrot combattit cette doctrine, qui détruisait les conditions vitales du gouvernement représentatif, et qualifia d'imprudente la discussion soulevée par le préopinant.

Si nous voulons, disait-i), qu'il y ait une majorité dans ce parlement, qu'il y ait une idée dans le gouvernement, c'est afin d'assurer et de fortifier les institutions du pays; c'est surtout dans l'intérêt de cette couronne, qui nous est chère, parce que nous avons tous juré de la défendre, parce qu'à cette couronne se rattachent toutes nos espérances de force, de gloire et de liberté, parce que nous ne la séparons pas du pays..

Une fois déjà, l'orateur le rappelait, la couronne avait été brisée par le peuple, et la faute n'en avait pas été à ceux qui voulaient contenir et restreindre le pouvoir royal, mais à le comprometceux qui, exagérant ses limites naturelles, taient par des maximes adulatrices. M. Odillon-Barrot répudiait cette politique immuable dont le principe était caché, et qui ne se soumettait à aucune modification; il la regardait comme une chaîne et une entrave pour le gouvernement représentatif; car ce qui constitue sa force et en fait l'essence, c'est d'admettre sagement toute modification nécessaire. La Chambre, suivant l'honorable député, avait usé de son droit en avertissant la royauté et en exprimant son opinion consciencieuse sur le ministère, réputé partout insuffisant; mais la Chambre n'avait pas demandé la désignation des personnes qui devaient composer le Cabinet futur; autrement elle aurait violé ses devoirs et aurait abusé de sa puissance; enfin, il fallait qu'il y eût liberté dans le choix de la couronne, et qu'elle ne fût jamais placée dans l'obligation de céder; voilà pourquoi on ne pouvait qu'applaudir à la fermeté et à la franchise des termes de l'Adresse.

Le débat se porta ensuite sur l'amendement de M. Amilhau, qui, au lieu d'attribuer à la Chambre seule la prospérité de la France et le repos du monde, proposait d'en féliciter le gouvernement du roi et les pouvoirs de l'Etat.

M. Sauzet combattit l'amendement comme contraire à l'esprit tout entier de l'Adresse, et comme ayant l'inconvénient d'exposer la dignité de la Chambre à des discussions contradictoires.

Selon M. Guizot, la pensée de l'amendement était toute favorable à la politique du Cabinet; tandis que la commission, dans son projet d'Adresse et dans sa pensée, la désapprouvait entièrement.

L'appel nominal ayant été fait au milieu du plus grand tumulte, la Chambre procéda au scrutin, dont le résultat causa la plus vive sensation. En effet, sur 425 votants, 209 votèrent contre, et 216 pour l'amendement : il ne fut donc adopté qu'à une majorité de 7 voix.

11 Janvier. - La Chambre, sur la proposition de M. Amilhau, suspendit le vote du paragraphe 2, et passa à la discussion du paragraphe 3, relatif à la Belgique.

M. Lanyer, appelé à développer son amendement, s'appuyait sur quelques paroles de Casimir-Périer et des généraux Lamarque et Lafayette, pour faire sanctionner par la Chambre, l'adhésion du ministère à la signature du traité des 94 articles consentis par la Belgique et acceptés, sept ans après, par le roi Guillaume; il se prévalut encore du témoignage de M. Thiers en 1832, et demandait que l'on ajoutât les mots : avec confiance, à cette phrase : la Chambre attend l'issue des négociations.

M. Larabit soutenait, au contraire, que la Hollande, ayant refusé, en 1831, d'accepter le traité des 24 articles, ce traité n'existait plus, les deux parties contractantes n'ayant point consenti l'une en même temps que l'autre ; d'où il résultait que, si la guerre se déclarait et que la

Belgique invoquât l'appui de la France, la conduite du ministère ne devait pas être un instant douteuse.

Suivant M. Fulchiron, la Belgique devait, avant tout, exécuter fidèlement les traités; il ne trouvait donc pas que l'honneur de cette nation dût la contraindre à faire la guerre, En conséquence, il se ralliait à l'amendement.

M. Mauguin remplaça le préopinant à la tribune. Après de hautes considérations sur la politique générale de la France depuis 1830 dont le résultat avait été de nous réduire à l'isolement, l'honorable membre exprima son opinion sur la question belge. On pouvait, disait-il, juger des choses publiques d'après les choses privées; le roi Guillaume n'ayant pas immédiatement adhéré aux 24 articles, les négociations s'étaient trouvées, par ce seul fait, annulées.

Un traité n'est qu'un contrat, ajoutait M. Mauguin : il sera donc permis au roi Guillaume, pendant sept, huit ans, pendant quinze, pendant vingt, pendant cinquante, de dire : Je ne veux pas du traité des vingt-quatre articles? Et quand il aura pris ses avantages, qu'il aura saisi sa position, l'heure qui doit lui profiter, il viendra dire : Je demande l'exécution des vingt-quatre articles? Non, non! votre acceptation est tardive, elle ne nous lie plus, les choses sont changées; sept années ne passent pas impunément sur la terre, elles laissent des traces profondes et dans l'esprit des peuples, dans leurs institutions, et même, si vous voulez, dans les améliorations matérielles.

Est ce que la Belgique est maintenant ce qu'elle était en 1831?. est-ce que le Limbourg, le Luxembourg, sont maintenant ce qu'ils 'étaient en 1831 ? est-ce que tout n'est pas changé, la Belgique et la France? Non, non! on n'acceple plus, après tant d'années, ce que tant d'années on a refusé, »>

La faute de tous les Cabinets depuis huit ans, et de celuici en particulier, était, aux yeux de l'orateur, d'avoir traité avec les puissance de l'Europe réunies, au lieu de traiter avec chacune d'elles séparément, comme avaient fait Louis XIV et Napoléon.

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