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prétendait tenir à l'égard du Canada, où, comme on sait, depuis le départ de lord Durham, le régime militaire dominait seul. Le glaive anglais parcourait dans tous les sens cette malheureuse colonie.

« Le pays dévasté, la loi martiale proclamée, les citoyens maltraités, les femmes livrées à la soldatesque : tel est, disait M. Leader (séance des communes, 28 février), tel est le sort que l'on fait aux malheureux Canadiens. Les troupes de S. M. et les volontaires ont traité ces provinces en pays conquis. >>

Et plus tard (26 mars), un homme engagé alors dans une autre voie que le député radical, lord Brougham se plaignit, à son tour, du régime que l'on faisait peser sur les Canadiens, et en particulier du mode de pénalité qui leur était appliqué.

« J'ai appris, dit-il, avec regret que la plupart de ces condamnés politiques subissent, comme des malfaiteurs, le régime ordinaire des prisons. Il y a dans cette confusion monstrueuse du délit politique avec le crime antisocial, quelque chose qui rappelle involontairement les temps de barbarie. >>

D'autre part, l'insurrection n'était point encore entièrement étouffée; par intervalles, des révoltes avaient éclaté sur différents points, à Terrebonne, au mois de janvier, et vers la même époque, à Oswigo, à Caldwell-Manor; mais on parvint bientôt à cerner les auteurs de ces mouvements, réduits désormais à l'impuissance. Au milieu des rigueurs jugées nécessaires, des commutations de peine Jeurent lieu; parmi les condamnés qui subirent leur sentence (15 février), se trouvaient quelques-uns des chefs de l'insurrection: Charles Hindenlang, le chevalier de Lorimier, Marbonne et Amable Dannais. On comprend que l'auteur du hardi coup de main de Napierville, Charles

Hunt ne dut pas non plus compter sur la clémence du gouvernement.

Le Haut-Canada se pacifiait plus rapidement. Le 27 février, sir Georges Arthur fit l'ouverture du parlement de cette partie de la colonie, et félicita l'assemblée de la tranquillité à laquelle la province était parvenue. En même temps fut annoncée la prochaine présentation de diverses mesures d'administration, et en particulier, celles relatives aux moyens d'indemniser les colons qui avaient souffert durant cette période de guerre civile.

Il était temps que la métropole songeât à asseoir l'avenir des deux provinces; de toutes parts, on réclamait une législation conforme au nouvel état de choses, et de nature à prévenir, s'il était possible, le retour des sanglantes collisions dont on avait été témoin.

« Nous sommes tous soldats, portait une lettre adressée à lord Durham (Chambre des lords, 15 février), et nous craignons que bientôt le pays ne manque entièrement de bras pour cultiver la terre. Si le gouvernement anglais veut conserver les colonies canadiennes, il faut qu'il fasse quelque chose. Si l'on espère, avec une armée d'occupation, tenir le pays en respect, on se trompe étrangement. Que le parlement impérial nous donne une constitution, et la révolte sera bientôt étouffée. »>

Au surplus l'ex-gouverneur des Canadas avait luimême à cœur, sinon de justifier, au moins d'expliquer sur quelles bases avait porté sa conduite durant le temps qu'il avait dirigé les affaires de la colonie.

Dans l'opinion de Sa Seigneurie, et cela ressort parfaitement du rapport publié à cette occasion et qui eut tant de retentissement, la crise actuelle tenait surtout à la séparation des deux provinces, opérée jadis par le célèbre Pitt, pour prévenir dans cette partie des posAnn. hist. pour 1839.

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sessions anglaises de l'Amérique du nord, toute tentative d'indépendance, à l'exemple d'un voisinage trop contagieux. Mais en voulant détourner cet orage, on l'attirait par une autre voie, selon lord Durham. En effet, on avait mis en présence même dans le Bas-Canada deux races ennemies. La race anglaise ayant l'infériorité numérique, il avait dû arriver nécessairement que les Français dominassent seuls les affaires du pays, et seuls décidassent de son avenir. Le gouverneur-général avait donc songé à réduire l'action de l'élément français ; l'union du Haut et du Bas-Canada amenait ce résultat. Tout en laissant aux Anglais l'influence dans la conduite des affaires, elle en tempérait cependant l'exercice et l'empêchait de devenir oppressive. Et quant au mode d'administration, on eût formé une seule et même assemblée législative, un seul et même conseil exécutif pour les deux provinces, et ce régime eût pu s'étendre, dans le plan de lord Durham, à toutes les colonies du nord de l'Amérique.

A part les inconvénients que l'avenir pouvait mettre au jour, celui, par exemple, de la fusion possible et probable des deux races, ce projet semblait devoir, quant à présent, convenir à la situation; aussi le ministère crutil devoir s'y rallier, toutefois en le restreignant, pour ne l'appliquer qu'aux provinces insurgées, sans doute, parce que tout en s'écartant du plan de Pitt, on était mû encore par quelqu'une des craintes qui avaient dicté sa résolution. Le projet d'union fut présenté aux Chambres (juin) dans la forme extraordinaire d'un message de la couronne; et cependant peu de temps après cette présentation, le gouvernement changea subitement de résolution: il demanda et obtint du parlement l'ajournement des mesures proposées. Quelles causes avaient pu déterminer un si brusque retour et faire remettre encore une organisation quelconque devenue si nécessaire? Un document émane de

l'assemblée du Haut-Canada était venu, à ce qu'il paraît, contredire toutes les bases du travail de lord Durham, et conséquemment de la résolution du ministère qui les avait adoptées en principe. Une vive répulsion contre le projet d'union se serait d'ailleurs déclarée dans les deux provinces, et le gouvernement de la métropole avait cru devoir alors surseoir encore, et s'éclairer en envoyant des commissaires spéciaux étudier la situation, pour lui en rendre compte. Cependant le ministère obtint des Chambres un bill suspensif jusqu'à nouvel ordre, du régime constitutionnel dans le Bas-Canada, et la prorogation des pouvoirs du gouverneur sir John Colborn. Ce fonctionnaire était en conséquence autorisé à prendre en conseil des mesures législatives d'un caractère permanent. Il lui était permis en outre de lever des taxes et d'accorder des péages pour l'exécution ou l'achèvement des travaux publics. Cette dernière disposition fut surtout combattue par le chef de l'opposition torie (sir Robert Peel), qui y voyait, non sans raison, l'infaillible moyen d'altérer les bases de la propriété telle qu'elle est aujourd'hui assise dans le BasCanada; en d'autres termes, une voie détournée pour arriver à dénationaliser la population. Nous devons remarquer ici, avant de terminer ce qui a trait au Canada, que plus tard (novembre), M. Poulett Thompson, ancien ministre du commerce,.succéda à sir John Colborn dans ses fonctions de gouverneur - général de l'Amérique anglaise du nord. Un passage de la proclamation qu'il adressa alors aux deux provinces, peut faire juger de la raison déterminante des conseillers de la couronne pour investir de cette dignité un ancien membre du Cabinet.

La suspension de la constitution dans le Bas-Canada, disait M. Poulelt Thompson, place entre les mains du gouvernement exécutif des ponvoirs extraordinaires dont il faut dès lors peser la nécessité, et dont l'emploi ne saurait être justifié que par des circonstances toutes locales, Un dos principaux objets de ma mission sera de déterminer comment

et à quelle époque cet état de choses pourra être mis à terme, et le bénéâce intégral des institutions anglaises, rendu aux sujets de S. M. dans le Bas-Canada. »

Le nouveau gouverneur-général s'adressait ensuite aux habitants du Haut-Canada qu'il félicitait de leur courage et de leur loyauté, et leur promettait de mettre ses soins à rétablir leurs finances dérangées, leurs ressources locales épuisées et leur commerce depuis si long-temps paralysé.

Ainsi la question du Canada se trouvait encore une fois ajournée, et jusque-là le ministère Melbourne n'avait point rencontré d'entraves; mais les tories allaient bientôt lui susciter des embarras inattendus et même faire chanceler son pouvoir.

Un membre de l'aristocratie anglaise, lord Norbury, avait été frappé dans le comté de Tipperary (Irlande), par un de ces crimes si fréquents dans un pays où tant de haines fermentent, et les meurtriers avaient réussi jusqu'alors à se soustraire aux recherches de la justice. - Ce fut pour la Chambre des lords une occasion de diriger contre les ministres une attaque détournée. — Sur la motion d'un de ses membres, dont l'opposition était bien connue, lord Roden, elle nomma une commission spéciale d'enquête sur l'état de l'Irlande depuis 1855, relativement aux crimes et délits qui dans ce pays avaient compromis l'existence et les propriétés des habitants. Bien que la motion n'eût été adoptée qu'à la majorité de 5 voix, on ne put cependant se méprendre sur la portée de cette décision soutenue d'ailleurs par le duc de Wellington, et combattue par lord Melbourne et L. Normanby dont elle attaquait en particulier l'administration.

Le noble duc (de Wellington) prétend, disait le chef du Cabinet, que la motion ne renferme aucun blâme contre le gouvernement: je soutiens, au contraire, qu'elle n'est qu'une censure de ses actes, car je suis convaincu, Milords, qu'aucun de vous ne croit que les travaux de la commission d'enquête répandront une lumière nouvelle sur l'état de

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