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nemi à revers et en le dépossédant tout d'abord de sa ligne de défense. Ayant rencontré la veille les Turcs à Mézar (dix kilomètres de Nezib), il était parvenu à ce village, grâce à la faible résistance qu'on lui avait opposée devant un pont, qu'un chemin fortement encaissé eût cependant permis de long-temps défendre.

Toutefois, le chef égyptien renonça à ce premier avantage, pour rendre sa position plus égale. Il repassa en conséquence la rivière de Mézar, et s'avança vers l'est pour tourner les Turcs. Restait alors à Hafiz pacha d'opposer la valeur personnelle de ses troupes, à celle de l'armée qu'il avait à combattre. Le feu de son artillerie avait déjà causé des ravages dans les rangs des ennemis venus en avant du pont, lorsque, faute inexplicable, il le fit tout d'un coup cesser! Enfin, l'infanterie d'Ibrahim, vivement attaquée, avait un instant paru s'ébranler; mais le fils du pacha était luimême venu se mettre à sa tête et ranimer son ardeur. Tout espoir de salut était donc perdu pour les troupes du sultan. Il n'y avait pas deux heures que l'action était engagéc, et Hafiz fuyait dans les montagues, jusqu'à Malatia, laissant à son ennemi toute son artillerie, 20,000 fusils, des tentes, des bagages, 9,000 prisonniers, sa maison même, et jusqu'à sa décoration en diamants, insigne de son commandement!!

Ibrahim ne poussa pas plus avant ses succès. L'intervention française qui avait essayé de prévenir le choc, en vint encore tempérer les résultats. Et si le général vainqueur s'avança jusqu'à Marasch, c'était, comme il le dit lui-même (28 juillet, lettre à son père), pour assurer des subsistances à son armée. Autrement, il eut fallu revenir sur Alep. « Cependant, ajoutait noblement le vainqueur de Nezib et de Koniah, une armée victorieuse se retirer en arrière, cst chose qui ne s'est jamais vue. »

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La journée de Nezib ne fut pas le seul événement de cette année. Mahmoud. l'énergique destructeur des Janissaires, l'homme qui essaya avec ardeur, sinon toujours avec génie, de refaire, sur les bases de la civilisation, un empire qui s'écroulait dans la barbarie, Mahmoud était mort le 30 juin avant même qu'il pût connaître le désastre qui venait de le frapper! ce prince, né le 20 juillet 1785, atteignait sa cinquante-cinquième année. Abdul-Medjid, son fils, né le 19 avril 1823, lui succéda et ceignit, le 11 juillet, suivant le rite accoutumé, l'épée d'Othman (voir la Chronique, pour les détails de cette solennité).

Les hommes qui présidaient aux conseils du nouveau sultan avaient, dès son avénement, donné l'ordre au général des armées de terre de s'arrêter, et au capitanpacha de ramener la flotte. Mais il était trop tard! Triomphant à Nezib, Méhémet voyait, presqu'en même temps, entrer dans ses ports (14 juillet) les voiles ottomanes que lui venait livrer Achmet-Fervzi-pacha. Le capitan essaya, à ce qu'il paraît, de justifier cette défection par des raisons tirées de l'état où la mort de Mahmoud et l'arrivée de Kosrew aux affaires plaçaient l'Islamisme et l'empire. Quoi qu'il en fût, la flotte du sultan, amenée dans les eaux d'Alexandrie, c'était, pour le vice-roi, un gage immense. Vainement, les consuls des puissances lui demandèrent de la renvoyer à son souverain; Méhémet n'y consentit pas.

Le divan semblait donc devoir courber la tête sous toutes les conditions que lui imposerait la victoire, et déjà un envoyé de la Porte, Akif-Effendi, s'était rendu à Alexandrie pour faire à Méhémet des propositions que le pacha jugea insuffisantes. On lui avait, disait-il, au temps même du sultan défunt, assuré des avantages plus considérables; alors, au lieu de l'Egypte héréditaire qu'on lui offrait aujourd'hui, on lui laissait encore Sayd et Tripoli. Il pouvait donc exiger maintenant l'hérédité de tou

tes les provinces dont il était en possession; sinon, il reviendrait au principe de sa conduite politique : il attendrait. On allait s'avancer plus loin peut-être dans la voie de concessions, lorsque les cinq puissances firent savoir au divan (note du 27 juillet), que l'accord entre elles sur la question d'Orient était assuré; elles invitaient, en conséquence, la sublime-Porte à suspendre toute détermination définitive, sans leur concours, en attendant, disaient-elles, l'effet de l'intérêt qu'elles lui portaient.

La victoire d'Ibrahim trouvait ici son tempérament; l'Orient entrait enfin dans un avenir nouveau; l'Europe entière faisant sienne et commune la question qui tenait en suspens une partie du monde.

Les ministres de la Porte, à la tête desquels se trouvait l'homme que le vice-roi regardait comme son ennemi personnel, et dont, sans cesse, il demandait le renvoi, les ministres essayèrent d'ébranler l'autorité da pacha par une autre diversion purement morale. Le sultan éleva tout-à-coup ses sujets au niveau des peuples les plus avancés, en renonçant à l'éternel despotisme de l'Orient; en leur donnant des institutions libérales ! Le hattischériff lut solennellement, dans la plaine de Gulhané, en présence du souverain, des fonctionnaires et des représentants des puissances annonçait aux populations des règles de gouvernement qui leur avaient jusqu'alors été inconnues plus d'arbitraire dans l'assiette et la perception des impôts, chacun devant être taxé également selon sa fortune; plus d'inégalité dans le service militaire; plus de justice secrète, et par cela même inique ; enfin, plus de confiscation et de poursuites contre des héritiers innocents des crimes ou délits de leurs auteurs.

Le vice-roi avait-il sujet de s'inquiéter de cette innovation, dont les provinces qui lui étaient soumises réclameraient peut-être à leur tour le bienfait ? Un instant, il

aurait été frappé de ce danger, mais ses terreurs se seraient évanouies devant cette considération que, dans l'état présent du pays, le hatti-shériff était absolument inexécutable. Quoi qu'il en soit, le gouvernement turc que Reschid-pacha, homme éclairé, dirigeait avec Kosrew, recommanda expressément aux pachas, placés à la tête des provinces, l'exécution de la charte de Gulhané, dont le sultan et les fonctionnaires de l'empire avaient juré l'observation dans la salle qui renferme le glorieux manteau du próphète.

Lejeune sultan procédait ainsi par des réformes utiles, qui ne portaient plus, comme il était arrivé sous le précédent règne, sur des points souvent sans importance réelle. Une ordonnance avait pu, sans inconvénient, enjoindre aux magistrats de laisser le Fez (bonnet rouge) pour reprendre le turban, alors qu'une mesure plus utile au bien-être public, plus européenne, projetée, il est vrai, par Mahmoud, était mise à exécution sous son successeur (juillet, août). La profession de boulanger fut déclarée libre; l'achat du blé et des céréales nécessaires à la consommation cessa d'être du ressort exclusif du zahiré-naziri (intendant-général des subsistances), et de ce moment durent disparaître les abus, les accaparements auxquels lui-même ou ses agents (moubay-ad-jis) pouvaient presque toujours impunément se livrer (voir le texte de ce réglement à l'Appendice). Cette ordonnance contenait, en outre, quelques autres dispositions également sages : elle prescrivait la vente au poids, soumettait les boulangers à une patente, et leur permettait de se pourvoir de grains, partout où il leur conviendrait. Toutefois, elle n'était point applicable aux boulangeries placées sous la protection des légations.

L'instruction publique n'avait pas attiré une moindre sollicitude. Déjà le prédécesseur d'Abdul-Medjid avait

décrété la création de sept académies, à Constantinople, Andrinople et Salonique pour la Tarquie d'Europe; Brousse, Smyrne, Bagdad et Trébisonde pour la Turquie d'Asie. On y devait enseigner les sciences et les lettres, d'après les méthodes européennes ; des concours devaient être ouverts, et les élèves vainqueurs seraient envoyés ensuite à l'étranger pour se perfectionner. Enfin, chaque grande ville dut avoir ses écoles spéciales: Constantinople une école militaire, Proti, une école navale, et Galata, ses colléges de Francs.

En outre, les relations extérieures s'étendirent. Les traités conclus l'année précédente avec l'Angleterre et la France, donnèrent lieu à des conventions analogues avec la Sardaigne et l'Autriche, et durent nécessairement rendre plus faciles, plus nombreux, par la suppression de droits arbitraires, les rapports commerciaux entre l'Occident et le Levant.

Ainsi, Constantinople menacée encore une fois d'avoir le sort des choses avancées, empruntait à l'Europe, pour se conserver, ses principes de droit international, et ses règles d'administration.

SERVIE. La Porte n'avait plus, comme on sait, que la suzeraineté nominale de ce pays (1826, 1855). Toutefois, les partis s'agitaient encore. L'influence russe, représentée par l'aristocratie serve, avait contraint le prince Milosch, à consentir, en 1855, une constitution où l'esprit de ce parti dominait. La lutte ne devait donc pas être épuisée. Au mois de mai de l'année dont nous recueillons les faits, les troupes que le prince avait organisées, appuyées par les habitants des districts qui lui étaient le plus dévoués, marchèrent sur la capitale, dans le dessein proclamé de renverser la constitution. La tentative échoua; le prince se retira dans ses terres, et une commission sénatoriale, au sein de laquelle figuraient deux membres étrangers, un russe et

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