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préoccupait bien moins que la politique bien comprise de son pays. Pouvait-on d'ailleurs faire souscrire des conventions au Saint-Siége, pour ménager à la France la possibilité d'un retour? Tel n'était pas l'avis de M. le comte Molé ; car c'était encore porter atteinte à l'indépendance du SaintSiége qui, assurément, aurait résisté. Au reste, des démarches avaient été faites, il devait le dire, et elles avaient été repoussées par le pontife; seulement la France avait gardé dans les négociations la dignité d'une puissante alliée.

M. Villemain soutint de nouveau que l'opinion avait été blessée par l'abandon d'Ancône. A voir la marche des affaires, il semblait que l'on plaçait la politique sur une espèce de fatalisme et qu'un ministère n'eût désormais qu'à exécuter les injonctions des traités antérieurs, sans avoir d'avis à prendre ni de responsabilité à subir. Indépendamment des diverses conventions, le fait capital pour la France, c'était notre présence à Ancône; et, avant le ministère du 15 avril, personne n'avait voulu se charger de l'évacuation de cette place; l'abandon d'Ancône était une concession fâcheuse faite à l'Autriche. Il n'était pas d'une sage et bonne politique de s'exposer à la nécessité de demander aux Chambres cent mille hommes et cent millions, comme le disait M. le président du Conseil, dans le cas où l'Autriche rentrerait dans la Romagne. L'orateur rappelait en outre le sacrifice du Luxembourg et du Limbourg qui s'accomplissait; l'abandon de la plus grande partie de la dette imposée à la république d'Haïti; puis l'affaire d'Alger où, par un traité défavorable, l'on avait borné nos possessions d'une manière dangereuse pour leur durée ; ensuite l'on avait tout concilié en laissant tout échapper de nos mains.

La discussion redoublait de vivacité: M. le comte Molé reparut à la tribune, pour se défendre de plusieurs accusations; il persistait à soutenir que l'occupation d'An

cône avait complètement atteint le but qu'on s'était proposé primitivement, et que ce but atteint, la France avait dû se retirer; arrivé au traité de la Tafna, le ministre se félicitait de l'avoir conclu, par la raison que le général 'signataire nous avait donné les moyens d'aller à Constantine avec les troupes qu'il commandait, et dont nous avions besoin. N'était-il pas étonnant qu'on se servit pour incriminer le ministère des actes qui constituaient ses titres à la reconnaissance publique.

M. Villemain, se croyant attaqué personnellement, ne voulut pas laisser clore la discussion sans déclarer qu'il regardait comme honorable et légitime la passion de la vérité et de l'intérêt national, et après un rapide retour sur les affaires de Rome et d'Ancône, il termina par ces paroles :

La chose est accomplie, dira-t-on: à quoi bon appuyer sur le blame; à quoi bon fatiguer le Gabinet de cette sincérité qu'il appelle passion? pour l'avertir qu'il y a d'autres sacrifices possibles, et qu'il vaut mieux pour la France et pour lui qu'il ne les fasse pas. »

Aux yeux de M. le baron Pélet de la Lozère l'intervention était, il est vrai, comprise dans le traité de la quadruple alliance, mais elle n'était plus possible, alors que l'Angleterre semblait s'y refuser; la France, néanmoins, pouvait faire autre chose que d'apporter le tribut annuel de ses vœux et de ses gémissements. Il était douloureux de voir la cause constitutionnelle presque délaissée par les nations intéressées à la soutenir, tandis que l'absence des ambassadeurs des cours étrangères témoignait de leur zèle à défendre le principe représenté par don Carlos, dont le parti, s'il venait par impossible à réussir, entraînerait des malheurs infinis pour l'Espagne, malheurs qui réagiraient sur la France et sur l'Europe. L'honorable pair se réduisait à exprimer le désir que le gouvernement français fit cesser les secours donnés à don Carlos, et qui tendaient à perpétuer la guerre civile en Espagne.

Le quatrième paragraphe adopté, on passa au cinquième relatif aux malheurs de l'Espagne.

Laissant de côté, à dessein, la lettre et l'esprit des traités, M. Cousin n'exigeait plus du Cabinet, dans les circonstances actuelles créées par sa politique, ni l'intervention, ni la coopération, ni même un emprunt. Une conférence entre les puissances signataires du traité de la quadruple alliance, serait, comme il l'avait déjà dit l'année précédente, un moyen tout-à-la-fois inoffensif et efficace, de secourir la péninsule.

Une semblable conférence ne paraissait ni opportune, ni inutile à M. le président du Conseil. Que pouvait-elle faire, d'ailleurs, sans hommes et sans argent? Il n'était personne qui ne s'intéressât vivement à la situation de l'Espagne, mais l'état général de l'Europe et de la France en particulier ne permettait que d'adresser des conseils à la cour de Madrid, quelquefois même des injonctions, tout en regrettant de ne pouvoir faire davantage pour un allié.

29 Novembre. La séance où l'on allait continuer la discussion du cinquième paragraphe, fut ouverte par quelques paroles nobles et simples de M. le comte de Tascher en faveur des débris de notre malheureuse légion étrangère, cédée à l'Espagne en vertu d'un traité. Muni d'une lettre écrite par l'officier qui commandait ce corps auxiliaire, l'orateur exposait le dénuement, le manque de vivres, l'état de misère, enfin, où se trouvait réduite cette poignée de braves jetée par la générosité de la France au milieu des périls et des horribles représailles d'une guerre civile, dans un pays qui, non seulement ne leur savait aucun gré des services rendus, mais encore les accusait pour ceux qu'ils ne pouvaient rendre. Le noble pair appelait sur ces défenseurs de la cause constitutionnelle, la sollicitude du président du Conseil et du ministre de la guerre. S'il n'était pas d'une bonne politique de rappeler les débris de cette légion, il fallait du moins pourvoir à ses besoins et à sa sûreté.

M. le ministre de la guerre annonça que la position de

ces braves avait été l'objet d'une sollicitude bien méritée, que le gouvernement leur avait fait la proposition de passer en Afrique pour être incorporés à la légion étrangère, et que depuis deux mois les objets de première nécessité, tels que vêtements, chaussures, etc., leur avaient été expédiés.

Le paragraphe 6, dans lequel la Chambre espérait voir bientôt le terme de nos différents avec le Mexique, amena de la part de M. le baron Pélet de la Lozère une demande d'explications à ce sujet; il était utile que les pièces relatives à cette affaire fussent communiquées aux Chambres, afin de préparer leur délibération sur les questions financières qui seraient le résultat de cette rupture avec le Mexique. Cette communication de documents officiels paraissait impossible au chef du Cabinet. Quant aux espérances exprimées par le discours de la couronne, il les faisait reposer sur les forces imposantes que l'on avait déployées, et sur les renseignements que l'on avait reçus relativement aux possession de Mexico et de ses provinces,

Le pargraphe 7, où il était parlé de notre domination en Afrique, et de l'évêché d'Alger, fut adopté sans discussion, ainsi que les paragraphes 8 et 9. Le dixième, qui promettait des améliorations dans les diverses branches de l'administration publique, excita de la part du vicomte Dubouchage une vive réclamation, sur la nécessité d'une loi en faveur des enfants occupés dans nos manufactures. L'orateur rappelait qu'une pétition de 1836 avait signalé, entre autres abus, celui de faire travailler des enfants quelquefois au-dessous de 8 ans, 15 et 17 heures par jour; il invoquait une loi au nom de tous les sentiments de bienveillance qui doivent protéger la pauvreté et la faiblesse de ces enfants; enfin le noble pair exprimait aussi le désir qu'une loi vint fixer les attributions judiciaires et la compétence de la cour

des pairs; car cette loi intéressait éminemment la liberté des citoyens; il ne se dissimulait pas qu'elle présentait beaucoup de difficultés, mais elle était impérativement commandée par l'art. 28 de la charte.

M. le garde des sceaux assura que les observations de M. Dubouchage seraient prises en grande considération. La discussion ainsi terminée, et la Chambre ayant voté au scrutin, l'Adresse fut adoptée à la majorité de 102 voix, contre 14, sur 116 suffrages.

7 Janvier.-Chambre des députés. Le projet d'Adresse présenté à la Chambre par la commission nommée pour le rédiger, se ressentait cette fois de la dissidence des esprits et de l'influence de la nouvelle majorité qu'elle avait produite.

Le dernier paragraphe de la couronne avait fait un appel à l'œuvre des grands pouvoirs de l'état.

Voici comment la commission proposait de répondre à cet appel :

« Nous en sommes convaincus, Sire, l'intime union des pouvoirs contenus dans leurs limites constitutionnelles, peut seule fonder la sécurité du pays et la force de votre gouvernement. Une administration ferme, habile, s'appuyant sur les sentiments généreux, faisant respecter, au dehors, la dignité de votre trône, et le couvrant, au dedans, de sa responsabilité, est le gage le plus sûr de ce concours que nous avons tant à cœur de vous prêter. »

Il n'y avait pas à s'y tromper, le concours n'était promis qu'à deux conditions: la première, que les pouvoirs seraient contenus dans leurs limites constitutionnelles, traduction polie, sans doute, mais très-claire du mot de ralliement de la nouvelle majorité : le roi règne mais ne gouverne pas; la seconde, qu'une administration ferme, habile, etc., remplacerait celle que l'on considérait comme insuffisante.

A l'occasion de l'évacuation d'Ancône, on proposait à la Chambre de dire :

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