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N° 18

LÉGISLATION

DES PLANS D'AMÉNAGEMENT URBAINS

EN ALSACE ET LORRAINE

par M. JOYANT

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.

Pendant la domination allemande, les principales villes l'Alsace et de Lorraine ont pris un développement considérable, qui a été réglé par des plans d'aménagement bien étudiés.

Il est intéressant d'examiner la législation qui a permis de donner à ces plans leur valeur légale, et de procéder à leur réalisation.

LÉGISLATION FRANÇAISE

La législation française antérieure à 1871 est restée en vigueur en Alsace-Lorraine, mais elle a été retouchée et complétée, soit par des lois d'empire, introduites dans le pays par des ordonnances impériales, soit par des lois locales, applicables seulement à l'Etat d'Alsace-Lorraine, et sanctionnées par l'Empereur. De plus, la législation française a souvent été interprétée et appliquée d'une façon beaucoup plus autoritaire qu'elle ne l'était en France.

Nous rappelons que la législation française de 1871 permettait d'établir des plans d'alignements, entraînant certaines servitudes sur la propriété privée, mais seulement pour l'élargissement et la rectification de voies publiques existantes. Pour l'ouverture de voies nouvelles, l'alignement ne pouvait imposer aucune servitude, et n'avait que la valeur d'un projet. Pour réaliser l'ouverture d'une voie nouvelle, aussi bien que l'élar gissement ou le redressement d'une voie existante, il fallait pro

céder à l'expropriation selon la loi du 3 mai 1841, complétée par le décret-loi du 26 mars 1852; celui-ci autorise l'Administration à acquérir, non seulement les emprises strictement nécessaires aux voies publiques, mais encore les excédents de parcelles qu'elle juge inaptes, en raison de leur étendue ou de leur forme, à recevoir des constructions salubres; elle peut aussi exproprier les immeubles dont l'acquisition est nécessaire pour la suppression de voies publiques jugées inutiles. Au point de vue financier, l'application de la loi du 16 septembre 1807 permet, moyennant une procédure assez délicate, d'imposer aux immeubles bénéficiant de l'ouverture des voies nouvelles des taxes de plusvalue qui viennent en déduction des dépenses de l'opération. Ajoutons que les anciens règlements permettent en général d'imposer aux riverains des taxes représentant tout ou partie des frais du pavage ou de l'empierrement, mais non des frais de terrassements ni d'expropriation.

Au point de vue du contrôle des constructions privées, le décret-loi du 26 mars 1852 (relatif à Paris, mais pouvant être étendu par décret aux villes qui en font la demande), impose aux particuliers l'obligation de demander un permis de bâtir, et de se soumettre «< aux prescriptions qui leur sont faites dans l'intérêt de la sûreté publique et de la salubrité ». Nous rappelons que l'interprétation donnée à cette dernière disposition était assez restrictive, et que, si les autorités municipales s'en sont autorisées pour réglementer les hauteurs des maisons, les surfaces des cours, le cube d'air, l'aération et l'éclairage des locaux. elles ne se considéraient pas comme habilitées à imposer à la propriété de véritables servitudes, comme par exemple l'obligation de laisser en jardins d'agrément une proportion déterminée de la surface des parcelles, ou une bande de terrain le long des alignements.

LÉGISLATION DE L'ALSACE-LORRAINE

Alignements et expropriation.- La première modification importante introduite en Alsace-Lorraine fut la loi locale du 21 mai

Ann. des P. et Ch., MÉMOIRES, 1921-IV.

1879, comportant des « Restrictions à la liberté de bâtir dans les nouvelles parties de la ville de Strasbourg ».

Cette loi sanctionnait un plan d'aménagement établi pour les nouveaux quartiers de Strasbourg, ouverts à la construction par l'élargissement de l'enceinte de la ville. Elle stipulait, contrairement au droit français d'alors, que les alignements porteraient aussitôt servitude sur les terrains désignés pour l'établissement des rues et places publiques; toute construction ou réparation est interdite sur les immeubles frappés. La servitude maintient donc les immeubles dans leur situation actuelle, et prépare la réalisation du plan.

Celle-ci s'effectue par la voie de l'expropriation et selon la loi du 3 mai 1841 (une loi du 20 juin 1887 la modifie, en ce qui concerne la composition du jury et le mode de fixation des indemnités). La loi du 21 mai 1879 dispose que la Ville peut exproprier non seulement les emprises des rues et places, mais les excédents qui ne forment plus des parcelles propres à la construction; ce n'est que la répétition du décret du 26 mars 1852.

Les opérations de voirie devant se réaliser par expropriation, et à prix d'argent, deux préoccupations se manifestent dans la loi du 21 mai 1879, et dans celle du 6 janvier 1892 qui la complète : échelonner les opérations pour ménager les finances de la Ville, et récupérer progressivement les dépenses par des taxes sur les riverains.

La loi du 21 mai 1879 donne à la ville de Strasbourg un délai le 6 ans pour réaliser les expropriations; cependant, elle l'oblige à acheter les terrains dès que les propriétaires ont bordé les alignements de maisons d'habitation ou autres grandes constructions. Nous rappelons que cette loi n'avait été faite que pour les quartiers compris dans la nouvelle enceinte de Strasbourg. La loi du 6 janvier 1892 l'étend aux quartiers nouveaux qui se développent au delà de la nouvelle enceinte ; elle prévoit l'approbation successive de plans d'aménagement de quartiers, et donne un délai de 10 ans pour la réalisation de chaque plan, à compter de son approbation. Pour éviter la dispersion de l'effort de construction des particuliers et de l'effort financier de la ville.

elle autorise la Municipalité à interdire les constructions le long des rues projetées, qui ne sont pas encore suffisamment construites ni assainies.

du

Enfin, cette loi de 1892 prévoit que ses dispositions, et celles de la loi de 1879, pourront être étendues aux diverses villes d'Alsace-Lorraine, sur leur demande. Cette extension a été en effet décidée par les Ordonnances impériales du 10 août 1892 pour Mulhouse, du 6 décembre 1893, pour Colmar, 20 août 1900 pour Metz, du 12 novembre 1901 pour Montigny, Sablon et Plantières-Queuleu, qui sont des faubourgs de Metz. Taxes. Au point de vue fiscal, la législation alsacienne abandonne nettement le système de la taxe de plus-value, institué par la loi de 1807, et impose aux riverains des taxes de participation directe aux dépenses de l'opération. La loi de 1879 stipule en effet que la totalité des dépenses de premier établissement de la rue nivellement, évacuation des eaux, pavés, trottoirs, et acquisitions de terrains, doit être répartie entre les riverains, au prorata de leurs longueurs de façade, et les taxes sont recouvrées comme en matière de contributions directes. On voit que cette législation est beaucoup plus sévère que celle des anciens règlements français, qui n'imposent jamais aux riverains les frais de terrassement ni ceux de l'acquisition des terrains; il est vrai que l'ancien régime prenait souvent les terrains sans les payer.

Quelques atténuations sont apportées à cette dure règle fiscale :

La contribution des riverains est limitée à la dépense correspondant à une rue de 20 m. de largeur, même si la largeur réelle est plus forte; (à Colmar, la participation des riverains es réduite au tiers de la dépense des égouts, et à la moitié de la dépense des trottoirs).

La contribution n'est exigible que lorsque le propriétaire construit sur son terrain.

De son côté, la Ville est tenue d'exécuter les travaux de viabilité et d'assainissement lorsque la majorité des propriétaires (comptée selon la longueur de façade) s'engagent à construire

leurs parcelles. La Ville peut toujours décider, de son initiative, l'ouverture et la construction d'une rue.

Puisque les taxes représentent la totalité des dépenses, la charge financière de la Ville se réduit, en principe, à une avance de fonds, récupérable au fur et à mesure que les constructions s'élèvent. Si les percements de rues et aménagements de quartiers sont judicieusement conduits, les constructions les suivent de près, et les avances de la Ville rentrent assez vite pour que ses finances ne soient pas trop obérées.

Contrôle des constructions privées. Servitudes. La loi du 21 mai 1879 dispose que, dès qu'un plan d'aménagement est approuvé, on ne peut plus édifier de constructions que conformément aux alignements et « aux prescriptions particulières qui seront édictées par un arrêté municipal dans l'intérêt de l'hygiène et de l'écoulement des eaux ».

Se basant sur ce texte, encore plus vague que celui du décret du 26 mars 1852, et sur les pouvoirs généraux de police des Maires, les autorités locales se sont considérées comme en droit de réglementer de la façon la plus étendue, et souvent aussi la plus minutieuse, les constructions particulières; et elles ont imposé par de simples arrêtés municipaux aux propriétés privées, des servitudes, parfaitement justifiées par l'intérêt général, mais assez lourdes, et que la jurisprudence française aurait sans doute jugé excéder leur compétence.

Signalons de suite qu'une loi locale plus récente, celle du 7 novembre 1910, dispose en un court article que:

« Le statut local d'une commune peut habiliter les autorités locales à édicter, en matière de police des constructions, en outre des prescriptions intéressant la Sécurité et l'Hygiène, toutes celles nécessaires pour protéger l'aspect local (Ortsbild) et l'ordonnance extérieure des édifices. » C'est une nouvelle extension des pouvoirs des autorités municipales, dans des buts d'esthétique et non plus seulement d'hygiène.

Règlement de voirie de Metz. Pour nous rendre compte de l'importance et de l'étendue des dispositions des règlements municipaux, nous étudierons le règlement de voirie (Bauordnung) de la Ville de Metz, en date du 1er février 1903.

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