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tionnel, en France du moins. La plupart de nos ports ont un trafic tellement varié et reçoivent et expédient des cargaisons tellement complexes et soumises à de telles obligations douanières que les marchandises doivent être intégralement posées à terre, et même étalées, et y faire un certain séjour, pour y être reconnues, loties, échantillonnées, passées en douane, etc... Il faut donc que le terre-plein puisse recevoir la totalité de la cargaison débarquée, en même temps que celle d'exportation, préparée à l'avance. Or l'agrandissement des navires porte (sans être proportionnel) sur leurs trois dimensions; leur capacité de chargement augmente plus vite que leur longueur le rapport entre l'importance de la cargaison et la longueur de quai occupée va en croissant. Il faut donc que les terre-pleins s'élargissent.

On n'a pas toujours sous la main des données numériques pour préciser la portée de cette conclusion: en voici quelquesunes prises à Marseille. Vers le milieu du siècle dernier, on y voyait beaucoup de voiliers de 25 à 28 mètres de longueur, qui portaient 150 à 200 tonnes métriques : accostés bord à quai, en tenant compte de leur beaupré, même le bout dehors rentré, ils n'auraient pas pu déposer à terre plus de 5 à 6 tonnes par mètre de longueur occupée. Les plus grands trois-mâts de l'époque atteignaient 55 à 60 mètres de longueur de coque, pour un port en lourd de 1.000 à 1.300 tonnes, soit 16 à 20 tonnes par mètre linéaire de quai, beaupré compris. En doublant la longueur on triplait le rapport. L'emploi de la vapeur a semblé tout d'abord diminuer cette proportion, à cause du poids et de l'encombrement des appareils moteurs et de leurs approvisionnements, et l'on voit encore de tout petits caboteurs qui ne dépassent guère un rapport de 12 à 14 entre le poids de leur chargement en tonnes et leur longueur en mètres, alors que 20 à 22 est une valeur assez normale pour des vapeurs jusqu'à 70 mètres. Mais ces classes de navires perdent de l'importance de jour en jour, et l'encombrement dû à la propulsion mécanique est depuis longtemps compensé, et bien au delà, par l'accroissement des dimensions, le renflement des formes, la substitution de l'acier au bois et au fer et le perfectionnement des machineries.

Les cargos de 100 à 120 mètres peuvent charger de 3.000 à 5.000 ou 5.500 tonnes, soit 40 à 50 tonnes par mètre de quai occupé ; ceux de 120 à 150 mètres prennent de 7.000 à 10.000 tonnes et plus, soit 60 à 70 tonnes par mètre. Enfin l'armée américaine a débarqué à Marseille, paraît-il :

12.000 tonnes de Edgard Luckembach de 129 mètres

13.000 >> de Virginian

17.000 >> de Nausemond

de 162 >>

de 170 >>

ce qui fait respectivement 93-80 et 100 tonnes par mètre de longueur.

On peut énoncer ces rapports par les volumes au lieu des poids en se servant des jauges nettes. En transformant cellesci en mètres cubes, à raison de 2 m3 83 par tonneau, voici les chiffres que l'on trouve. Avec de petits vapeurs de 40 à 50 mètres, le rapport de la capacité en mètres cubes à la longueur est d'environ 12 à 15; les navires de 70 à 80 mètres atteignent en moyenne un rapport de 30 à 40. Celui-ci varie à peu près entre 60 et 90 pour les cargos de 100 à 120 mètres, et entre 100 et 120 pour ceux de 120 à 150 mètres. Pour les gros navires déjà cités, et en ajoutant un plus grand qui est aussi venu à Marseille, mais dont nous n'avons pas pu trouver le poids de chargement, on constate :

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Si les navires de toutes longueurs restaient géométriquement semblables, l'accroissement du rapport de la capacité à la longueur augmenterait même encore plus vite, c'est-à-dire comme le cube de la longueur (ou même davantage du fait de la machinerie). Mais jusqu'à ces derniers temps le creux et surtout le tirant d'eau ont progressé moins rapidement que les autres dimensions, sans doute parce que la profondeur est ce qu'il y a

de plus coûteux et de plus rare dans les ports. Depuis quelques années cependant il y a une tendance à augmenter les enfoncements les difficultés inévitables résultant des très grandes longueurs, que nous avons signalées, ne sont peut-être pas étrangères à ce changement dans l'architecture navale. Si cette transformation se confirme, elle augmentera encore le rapport du chargement à la longueur.

Elle aura peut-être une autre conséquence assez inattendue, non sur le tracé des terre-pleins, mais sur leur construction, ou tout au moins sur les ouvrages les rendant accostables aux navires. Il est fréquent d'entendre préconiser les appontements ou estacades (en charpente de bois, de métal ou de béton) comme préférables aux quais proprement dits, comme sacrifiant moins. à la manie française des constructions trop durables. De fait la solution des appontements est souvent recommandable, mais à condition tout d'abord qu'ils soient plus économiques de construction que des quais. C'est assez souvent le cas si on limite l'emploi des charpentes au remplacement du mur, si on en fait un simple ouvrage d'accostage; c'est beaucoup plus rare si on veut élargir le tillac, de manière à l'utiliser (dans les bassins conquis sur la mer) au dépôt des marchandises en guise de terre-plein, et cela même en limitant les surcharges à d'assez faibles valeurs, au lieu des accumulations énormes qu'admettent pratiquement les remblais. En outre la construction et la modification, souvent désirables, des hangars et des voies ferrées sont soumises à des sujétions gênantes et coûteuses sur les estacades. Donc en général l'appontement n'est économique que comme ouvrage d'accostage devant un talus, et à condition que son tillac ne serve pas aux dépôts de marchandises. Si sa largeur dépasse ce qui est nécessaire pour le roulement des grues par exemple, sa construction devient onéreuse, ou, en reculant la zone des dépôts, il fait perdre une place précieuse et coûteuse. Or la largeur en est supérieure à la projection horizontale du talus du terre-plein. Quand celui-ci ne plonge qu'à une faible profondeur sous l'eau, cette projection est peu étendue et la condition cidessus indiquée est réalisée d'elle-même; il en est autrement

avec les profondeurs actuellement réclamées de 12 mètres, 13 mètres et davantage. Enfin les estacades donnent difficilement sans sujétions et complications une sécurité suffisante pour l'amarrage des masses énormes des navires modernes. Il est donc possible qu'elles deviennent de plus en plus rares dans les bassins pour grands navires et soient remplacées par des quais élégis, des constructions mixtes, etc.

En considérant les parties de terre-pleins non directement accolées aux quais, nous trouvons une autre raison exigeant de larges espaces c'est la nécessité d'une desserte rapide, sur laquelle nous reviendrons. Il faut pour cela de larges chaussées et beaucoup de voies ferrées, notamment des voies de manœuvre suffisamment développées et de longs et larges faisceaux de garage et d'échange.

Enfin il est intéressant de se demander s'il se présente pour la largeur des terre-pleins une condition de maximum absolu comme pour celle des darses et bassins. La question n'est pas oiseuse; car l'utilisation intégrale d'un terre-plein comporte en principe un double bardage à une distance d'autant plus grande que la zone de dépôt est plus large le premier de ces transports a lieu au débarquement par exemple et le second à la reprise, et ils coûtent. Mais là on ne se trouve plus en présence de phénomènes naturels comme les vents, et de lois physiques comme celles de l'hydraulique : on a affaire à une question de prix, c'està-dire en somme d'outillage. Tout d'abord pour diminuer la portée horizontale des bardages on a depuis longtemps la ressource des hangars à étages, que les grues rendent commodes et économiques d'emploi. Il subsiste néanmoins des déplacements horizontaux dont l'importance va en augmentant à mesure que les hangars s'élargissent avec les terre-pleins qu'ils couvrent. Mais une organisation soignée peut réduire beaucoup la dépense par l'emploi de moyens mécaniques appropriés à chaque cas, tels que ponts, tapis roulants, monorails, câbles porteurs, chemins de fer suspendus, chariots traînés par des tracteurs à accumulateurs, etc.

DESSERTE DES PORTS

COMMUNICATION AVEC L'INTÉRIEUR

A mesure que la capacité des navires augmente et que leurs opérations gagnent en rapidité, il devient de plus en plus nécessaire d'intensifier et d'accélérer la desserte des ports, parce que ceux-ci sont destinés à faire circuler les marchandises, et non pas à les entasser. Ce principe est d'ailleurs plus facile à énoncer qu'à appliquer on sait combien il est souvent difficile de faire dégager les terre-pleins des marchandises qui s'y attardent. Ce magasinage sur quais est cependant la méthode la plus onéreuse pour l'ensemble de la communauté, toute avantageuse qu'elle puisse être pour le propriétaire de la marchandise. Le sol des terrepleins revient en effet d'habitude plus cher que celui des entrepôts (acquisition ou conquête sur la mer); il en est de même de l'aménagement. Ils sont en outre accompagnés d'ouvrages nombreux, importants et très coûteux à tous points de vue, quais, bassins, écluses, digues, etc. dont l'utilisation se trouve suspendue ou ralentie quand le port n'est pas débarrassé sans retard des marchandises qui ne devraient qu'y passer. Enfin les navires eux-mêmes sont immobilisés quand ils trouvent les terre-pleins engagés. Cela montre qu'il ne faut pas chercher à lutter contre cet encombrement par la seule extension des terre-pleins: ce serait une mauvaise opération économique. Le moyen serait d'ailleurs inopérant: il ne ferait qu'aggraver le mal en encourageant les prolongations de séjour et la situation ne s'améliorerait pas. La lutte qu'il faut néanmoins soutenir contre cet abus est facilitée quand il existe tout près du port de vastes entrepôts bien aménagés et commodes d'accès (1); si même il est possible de mettre ces entrepôts sous la même administration que les quais, cela permet ou facilite la mise en magasin d'office et cela. peut en outre procurer d'utiles recettes: cette dernière combi

(1) C'est ce qu'on cherchait à réaliser pendant la guerre par le moyen de fortune des «< parcs de stockage », la desserte se heurtant alors, non seulement à des intérêts privés, mais à des difficultés matérielles.

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