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nage nouveau, presque aussi inexact que l'ancien, et imposé par la force à la Compagnie seule du canal de Suez.

Il faudra bien cependant, tôt ou tard, en arriver à la vérité, à la loyauté, à l'exactitude. Le procédé de réforme est simple, il est connu, il a été pratiqué, et il a donné d'excellents résultats. Comme l'a écrit le Board of Trade, la perception sur le gross-tonnage des navires est «<exacte et correcte; » -- comme le disaient les instructions données par le Gouvernement britannique au colonel Stokes: « le gross-tonnage est le meilleur étalon; » - comme le déclaraient, enfin, les juges de la Cour d'appel de Paris, le gross-tonnage des navires adopté par la Compagnie de Suez est un tonnage qui, « dégagé des atténuations des patentes, et répondant à la vérité du fret et du transport, ne peut que prêter, à la perception d'un droit de navigation, sa base la plus juste. »

Le gross-tonnage (seul tonnage actuel vrai), obtenu suivant la méthode de mesurage Moorsom, est-il satisfaisant? Le secrétaire du Board of Trade, M. Farrer, va nous répondre. Le président de la Commission parlementaire des communes demande : « Quelles sont les conclusions des commissaires de Constantinople, quant au tonnage?»- Réponse de M. Farrer : « Les conclusions des commissaires, quant au tonnage, sont, tout d'abord, que le système Moorsom pour évaluer le gross-tonnage est parfaitement satisfaisant. »

Nous n'avons pas pu, dans cette étude, dégager la question technique du tonnage des navires de la question spéciale du Canal de Suez. En maintenant, avec tant de hautes autorités, notre conclusion, à savoir que la perception des taxes maritimes sur le grosstonnage des navires est la seule exacte et la seule juste, nous devons nécessairement désirer que cette vérité devienne légale un jour.

Le Parlement britannique, en s'opposant aujourd'hui à l'adoption en Angleterre du tonnage de Constantinople, a prononcé la condamnation de l'expédient temporaire que les troupes anglo-égyptiennes ont imposé à M. de Lesseps. Mais, alors même que le Parlement, pour sauver l'honneur des délégués britanniques à Constantinople, adopterait un jour ce tonnage singulier (1), il resterait à rendre ce

(1) Le nouveau tonnage est imposé par la force à la compagnie de Suez depuis le 29 avril 1874. Les navires payent les taxes dues pour passer le canal sur le nouveau net tonnage de Constantinople, à raison de 10 francs par tonne et avec une surtaxe de 3 francs, soit 13 francs par tonne. Or, pendant que l'application de cette mesure procure aux navires de commerce un bénéfice de 5 0/0 au détriment des actionnaires du canal de Suez, le bénéfice des compagnies postales subventionnées,

tonnage universel pour le faire définitif. Cette entreprise est impossible. Non, le tonnage de Constantinople, imposé par la force à M. de Lesseps, ne deviendra ni universel ni définitif, par la raison qu'il ne représente pas la véritable capacité des navires et que parmi les nations maritimes — la Russie et la France ont protesté, à Constantinople même, par la voie de leurs délégués, contre son exactitude. Le tonnage nouveau n'étant ni vrai ni définitif, échappe aux conditions impérieuses que le Sultan avait mises officiellement. à son application dans le Canal maritime de Suez.

J.-W. MERCHANT.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

REUNION DU 3 DÉCEMBRE 1874.

COMMUNICATIONS.

Mort de Mlle Daubié.- Lettre de M. Ferrara relative

à la discussion de l'intervention de l'État entre les économistes ita

liens.

Place faite à la géographie économique dans le nouveau plan d'étude des lycées.

DISCUSSION.

Le salaire est-il le juste prix du travail? Le système

de la participation. OUVRAGES PRÉSENTÉS.

La réunion a été présidée par M. de Lavergne, membre de l'Institut, député de la Creuse à l'Assemblée nationale, un des viceprésidents de la Société.

Au commencement de la séance, M. LEVASSEUR, membre de l'Institut, entretient la réunion du caractère et des travaux de Mademoiselle Daubié, morte le mois dernier et à laquelle il consacrera une notice dans le prochain numéro.

M. JOSEPH GARNIER donne lecture d'une lettre qu'il vient de recevoir de M. Ferrara, un des plus savants économistes italiens, relative au dissentiment doni M. Wolowski entretenait la Société dans la dernière séance, dissentiment qui a provoqué la création de la Société Adam Smith, à Florence, et de la Société Romagnosi,

comme les messageries maritimes, atteint presque 20 0/0! Pour que le nouveau tonnage pût devenir universel et définitif, il n'aurait peut-être pas fallu lui faire subir, dans le canal de Suez, une épreuve pratique si concluante.

3 SERIE, T. XXXVI.

15 décembre 1874.

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qui doit convoquer un congrès à Milan, lequel n'a pas trop sa raison d'être, après la lettre de M. Ferrara que nous reproduisons plus loin.

M. FRÉDÉRIC PASSY informe la réunion qu'il a eu la bonne fortune de faire émettre, par le Conseil général de Seine-et-Oise, un vœu en faveur de l'introduction de l'enseignement de l'économie politique dans les écoles normales primaires, et de faire voter, en outre, une somme de 500 francs pour subvenir aux frais de cet enseignement. Il espère que le ministre de l'instruction publique et le Conseil de l'instruction publique feront bon accueil à ce vou.

M. LEVASSEUR reprend la parole pour exposer le nouveau programme des cours de géographie économique dans les lycées, c'est-à-dire dans l'enseignement secondaire classique.

Nous reproduirons son exposé dans le prochain numéro.

M. FOUCHER DE CAREIL, à propos de l'enseignement économique, signale les heureux efforts d'un jeune ingénieur des ponts et chaussées, M. Philippe, qui a fait à Corbeil (Seine-et-Oise), 55 leçons d'économie politique en deux ans, devant un auditoire, relativement nombreux, réuni par un comité local qui s'est donné la louable mission de répandre l'instruction.

Après ces diverses communications et une présentation d'ouvrages par M. le secrétaire perpétuel, M. le président procède au choix d'une des questions inscrites au programme pour faire l'objet de l'entretien général de la soirée. La majorité se prononce pour la question suivante :

LE SALAIRE EST-IL LE JUSTE PRIX DU TRAVAIL?

La question a été formulée en ces termes par M. Hippolyte Passy, l'un des présidents de la Société : « Sous le régime de la libre concurrence, l'cuvrier reçoit-il tont le prix de son travail par le salaire?» A cette question, les écoles socialistes ont toujours répondu par la négative.

M. Maurice Block croit que M. H. Passy, dont la réunion regrette l'absence, a pensé, en posant la question, à la doctrine propagée avec tant d'ardeur et de persévérance par M. Karl Marx, et d'après laquelle l'ouvrier ne recevrait pas la totalité du salaire gagné.

Tout le système de cet agitateur socialiste est établi sur cette preposition, présentée d'abord comme une hypothèse, mais traitée

bientôt en vérité démontrée : que six heures de travail suffiraient à l'ouvrier, mais que le patron le force à travailler douze heures, ou un nombre d'heures supplémentaires quelconque. C'est par ces heures supplémentaires que l'ouvrier est exploité par le patron. Bien que M. Marx n'ait pas fait l'ombre d'un effort pour prouver sa thèse, il est des personnes qui se sont laissé persuader que l'ouvrier travaille sans rémunération équivalente, et ces personnes encouragent les ouvriers à s'associer, à se coaliser, pour obtenir, par un effort commun, au besoin par des grèves, soit une élévation de salaire, soit une réduction des heures de travail. En général, les économistes restent, au contraire, convaincus que le taux des salaires dépend de la situation des marchés, que les coalitions et les grèves ne peuvent obtenir que des succès passagers, que l'arbitraire ne joue pas en ces matières un rôle bien sensible, le rapport entre patron et ouvriers étant soumis à des lois économiques certaines.

Sur l'influence des grèves pour faire monter les salaires, des relevés ont été faits en divers endroits, mais personne n'a entrepris des recherches aussi étendues, ni d'après une aussi bonne méthode, que M. Bohmert, professeur de faculté à Zurich. Il a réuni de nombreux matériaux, dont une partie est déjà publiée, et M. Maurice Block a pu examiner un certain nombre de tableaux, desquels il résulte que, dans les localités ou dans les industries qui n'ont pas été visitées par des grèves, les salaires n'ont pas moins augmenté qu'ailleurs. Du reste, l'orateur croit pouvoir prouver l'inutilité des grèves par le fait que des travailleurs qui ne peuvent pas se coaliser, les fonctionnaires et employés, ont vu leurs traitements augmenter aussi rapidement que les ouvriers leurs salaires. Il n'est nul besoin, par conséquent, de moyens artificiels pour les faire monter; ils montent naturellement par la hausse générale des prix, car ils sont soumis aux fluctuations du marché, à la loi de l'offre et de la demande, et si l'ouvrier n'obtient pas toujours ce qui est désirable, tout ce que nous lui souhaitons, il reçoit du moins la totalité de ce que son travail vaut à un moment donné.

M. Ad. Blaise (des Vosges). La question, telle que l'a posée notre illustre président, ne serait pas résolue comme il convient par une réponse simplement affirmative de cette réunion. Ainsi que notre confrère M. Block vient de le faire remarquer, cette question semble viser surtout l'affirmation erronée des socialistes aux termes de laquelle « le travail étant la source unique de la valeur des choses, l'ouvrier ne reçoit pas par le salaire le prix complet de son travail, toutes les fois qu'il ne reçoit pas la totalité du prix de vente des produits. »

Pour réfuter complètement cette erreur, il faudrait analyser tous les éléments si divers et si nombreux qui contribuent à former la valeur des choses. M. Blaise laisse ce soin à d'autres et veut se borner à mettre en lumière un de ces éléments essentiels et néanmoins le plus souvent inaperçu ou négligé. Cet élément, c'est la prime d'assurance que le chef d'industrie doit ajouter à son prix de revient, toutes les fois que les circonstances commerciales le permettent, pour compenser les risques de vente à perte auxquels il il est si fréquemment exposé.

Pour les grandes manufactures, pour les usines qui, comme le Creuzot, emploient des milliers d'ouvriers, comme pour les filatures, les tissages mécaniques, qui en occupent des centaines, il y a des devoirs de chefs de famille qui ne permettent pas de proportionner toujours le travail offert et payé aux ouvriers avec l'activité de la demande des produits et de leur placement. On continue à produire sans commandes, parce que l'on ne veut pas mettre sur le pavé une partie de son personnel, dont on se considère comme tenu d'assurer l'existence; on augmente ainsi le stock des marchandises disponibles, on en déprécie la valeur, et si l'on n'avait pas constitué un fonds d'assurances suffisant contre les crises de cette nature, on succomberait en entraînant dans la misère les ouvriers auxquels on aurait imprudemment trop distribué. En ces matières, il y a un point de fait qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est que jusqu'à la vente et à la réalisation des produits, il est impossible d'en fixer exactement la valeur, dont une fraction demeure aléatoire, la grande loi de l'offre et de la demande n'existant pas seulement dans la fixation des salaires, mais aussi, plus largement et plus fréquemment encore, dans le prix des choses, et c'est contre les variations de ces prix que l'industriel prudent est tenu de se défendre en réglant les salaires de façon à conserver une marge, ou prime d'assurance, sans laquelle il ne pourrait continuer à donner des travaux à ses ouvriers chaque fois que la vente se ralentit ou s'arrête.

M. Frédéric Passy, d'accord sur le fond des choses avec MM. Block et Blaise (des Vosges), croit cependant devoir ajouter à ce qui vient d'être dit quelques observations.

En premier lieu, M. F. Passy regrette que M. Block, en appelant le travail une « marchandise», n'ait pas peut-être assez nettement marqué cette vérité, si bien indiquée dans un excellent manuel, que le travail est en réalité « la seule marchandise », — celle dont les objets divers qui sont dans le commerce ne sont que le véhicule; en sorte qu'il ne peut y avoir opposition et antago

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