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pas à reconnaître la validité du contrat par lequel le concessionnaire, agissant en pleine liberté, aurait pris l'engagement formel d'accepter sans discussion le règlement de la dépense par le préfet.

Une disposition analogue existe dans le cahier des charges qui régit les baux de chasse dans les forêts de l'Etat. Les adjudicataires sont tenus d'indemniser les préposés forestiers des dégâts causés par le gibier à leurs cultures et il est stipulé que le montant du dommage sera arrêté par le Conservateur.

Il est arrivé quelquefois à des fermiers de nier que cette clause fût applicable aux ravages provenant des sangliers: l'un d'eux a porté la question devant l'autorité judiciaire, qui l'a résolue en faveur des gardes, mais, dans ces espèces même, si le principe de la dette était contesté, le règlement par le conservateur du montant de cette dette, une fois admise, n'a jamais été discuté : le Tribunal, dans le cas qui lui était soumis, a adopté purement et simplement l'évaluation de cet agent supérieur.

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Le lieutenant de louveterie qui procède, en vertu d'un arrêté préfecloral, à une battue aux sangliers, sans se conformer aux conditions de cet arrêté, notamment en ne se faisant pas assister par un agent de l'Administration des forêts, est passible des peines prévues par l'art. 11 de la loi sur la chasse, si la battue qu'il dirige sort des limites des propriétés où il a droit de chasser.

MORIN C. QUÉRIÈRE.

Attendu qu'il n'est pas contesté que la chasse au sanglier, qui a donné lieu à l'action de Morin contre Quérière, a été organisée par Quérière; qu'il a luimême choisi et convoqué les chasseurs, déterminé le lieu et les conditions de la chasse, dont il avait pris l'initiative, en sa qualité de lieutenant de louveterie, et qu'il doit être responsable de la manière dont elle a été dirigée; Attendu qu'il est établi également par un procès-verbal régulier et par les débats d'audience qu'au moment où le garde particulier Le Héricey a verbalisé contre lui, les chiens avaient poursuivi le sanglier à travers le bois appartenant à Morin, qu'un coup de feu avait été tiré sur la bête fauve dans

les mêmes bois; qu'enfin Quérière, accompagné de deux autres chasseurs et de deux chiens, suivait le chemin de Fiquet bordé des deux côtés par des bois appartenant au demandeur;

Attendu que du concours de ces circonstances résulte, d'après la jurisprudence, un fait de chasse sur le terrain d'autrui, si le défendeur n'était pas d'ailleurs couvert par la nature particulière de la chasse entreprise, ou par sa qualité de lieutenant de louveterie dans les arrondissements de Caen et de Falaise;

Attendu qu'un lieutenant de louveterie, poursuivant le sanglier, n'est dispensé des obligations communes qu'à la condition de se conformer rigoureusement aux prescriptions légales concernant l'exercice de sa charge; qu'en dehors de ces présomptions, il redevient un simple particulier, chassant pour son propre compte, tenu comme tout autre chasseur de s'arrêter à la limite de la propriété d'autrui, s'il n'a obtenu préalablement la permission de la franchir;

Attendu que le sieur Quérière, après avoir sollicité et obtenu, en raison de ses fonctions, de M. le préfet du Calvados, un arrêté l'autorisant à entreprendre une battue dans les communes de Saint-Martin-de-Sallen, Culey-lePatry et autres, a omis de se conformer aux conditions de cet arrêté, notamment en ne se faisant pas assister par un agent de l'Administration des forêts, condition réputée essentielle et d'ordre public; — qu'il n'a pas non plus fait déterminer d'avance, d'accord avec la gendarmerie, le nombre d'hommes qui devaient prendre part à cette battue; qu'il se trouve donc en dehors des conditions prévues à l'arrêté, dont il ne lui est plus permis de se prévaloir.

que

Attendu qu'il ne saurait non plus se présenter comme le représentant des propriétaires et fermiers auxquels a été réservé le droit de se défendre partout et en tout temps contre les ravages et les dévastations des bêtes fauves; ni lui ni ses compagnons de chasse n'habitaient la région infestée par les sangliers; qu'ils ne se sont pas concertés avec les propriétaires menacés pour leur prêter aide et secours, mais qu'ils ont organisé pour leur compte personnel une véritable chasse tout à fait en dehors des prévisions de l'article neuf de la loi du trois mai mille huit cent quarante-quatre; qu'enfin la précaution prise par Quérière de demander, comme lieutenant de louveterie, un arrêté préfectoral d'autorisation indique suffisament à quel titre il est venu à Culeyle-Patry et prouve, en même temps, qu'avant le procès il ne songeait nullement à bénéficier d'un droit de légitime défense, étranger à la contestation; Attendu que, si on peut refuser aux propriétaires ou possesseurs, dont les terres sont menacées des ravages d'un sanglier, la faculté de se concerter pour une défense commune, et de pénétrer même sur le terrain d'un tiers pour traquer la bête fauve et l'atteindre dans son repaire, il ne faudrait pas non plus permettre à d'autres, sous prétexte de les défendre contre les incursions de l'animal sauvage, de porter atteinte aux propriétés privées ;

Attendu que c'est précisément en vue de concilier l'intérêt général et l'intérêt privé que les lieutenants de louveterie, en dehors de la chasse au loup rentrant plus directement dans leurs attributions, peuvent être autorisés à faire des battues générales dans des conditions déterminées à l'avance et sous la surveillance des agents forestiers, chargés en cette occasion de protéger les propriétés particulières contre les abus; - qu'il suffisait donc au

défendeur de se conformer aux règlements pour être légalement à l'abri de tout reproche;

Attendu qu'il n'ignorait. pas lui-même qu'il était sans droit pour pénétrer sur la propriété de Morin puisqu'il déclare avoir demandé au garde, avant la chasse, quelles étaient les limites de cette propriété afin de ne pas les franchir;

Attendu que, de l'ensemble de ces faits et de ces principes, il résulte d'une façon incontestable que Quérière a commis le délit de chasse sur le terrain d'autrui, mais qu'il est juste en même temps de reconnaître en sa faveur un concours de circonstances propres à atténuer singulièrement ce délit, si la loi admettait en matière de chasse des circonstances atténuantes;

Attendu que le demandeur, ayant fait constater judiciairement la violation de son droit de propriété, a droit à des dommages-intérêts, que toutefois, en tenant compte de l'absence de préjudice réel et de l'avantage qu'il retirait, comme tous les propriétaires voisins, de la destruction d'un animal nuisible et dangereux, l'équité exige que ces dommages-intérêts soient arbitrés et à une somme très minime;

Par ces motifs:

Le Tribunal, ouï la partie civile en ses conclusions, le ministère public en ses réquisitions et le prévenu entendu en ses moyens de défense,

Vu l'article onze de la loi du trois mai mil huit cent quarante-quatre ainsi conçu:

Seront punis d'une amende de seize à cent francs ceux qui auront chassé sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire;

Déclare Quérière coupable d'avoir, le vingt-deux mars mil huit cent quatrevingt-dix, à Culey-le-Patry, chassé sur la propriété de Morin, sans la permission du propriétaire; le condamne en seize francs d'amende et en cinq francs de dommages-intérêts envers Morin;

Condamne Morin aux dépens, en sa qualité de partie civile, en lui accordant recours contre le condamné.

M. Formey Saint-Louvent, prés. ; M. Morand, substitut.

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Garde particulier. Prestation de serment requise par le Ministère public. - Refus du tribunal. — Annulation de cette décision par la Chambre des requêtes. – Réitération du refus. - Deuxième annulation par la même Chambre, avec ordre de procéder à la réception du serment.

Le refus, par un Tribunal civil, d'admettre, sur la réquisition du Ministère public, un garde particulier agréé par le sous-préfet à prêter serment, est un acte d'administration judiciaire et non pas un jugement proprement dit.

TOME XVII. JUILLET 1891.

V. — 7

la

Quand, sur la dénonciation du Gouvernement et par application de l'article 80 de la loi du 27 ventôse an VIII, cet acte est annulé par Chambre des requêtes pour excès de pouvoirs, cette annulation, prononcée dans un intérêt général, constitue une mesure d'ordre public qui en elle-même est définitive et souveraine.

Elle ne comporte pas de renvoi à d'autres juges.

Il ne reste au Tribunal, quand la réception du serment lui est de nouveau demandée, qu'à se conformer aux prescriptions de la loi, en procédant à cette formalité.

AFFAIRE BUSIGNY

Nous avons reproduit, l'année dernière (tome XVI du Répertoire, page 140, no 50), une décision du Tribunal civil de Château-Thierry qui avait refusé de recevoir le serment d'un garde particulier, agréé par le sous-préfet. Nous l'avons fait suivre de l'arrêt d'annulation rendu par la Chambre des requêtes, sur le réquisitoire du procureur général près la Cour de cassation, agissant en vertu des instructions du ministre de la justice.

A la suite de cet arrêt, le garde Busigny s'est présenté de nouveau devant le Tribunal; mais celui-ci a refusé une seconde fois de l'admettre à prêter serment, en s'appuyant sur les motifs suivants :

LE TRIBUNAL:

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Attendu que, par jugement en date du 26 mars 1890, le Tribunal de Château-Thierry a refusé d'admettre au serment le s Busigny, nommé par Waddington garde particulier de ses propriétés et agréé par l'Administration malgré une condamnation à 100 francs d'amende pour coups et blessures prononcée contre lui par le Tribunal de Soissons;

Attendu que, par arrêt du 30 juin 1890, la Cour de cassation a cassé ledit jugement pour excès de pouvoir résultant de l'immixtion de l'autorité judiciaire dans l'examen d'une nomination émanée de l'autorité compétente ›; Attendu que Busigny se représente aujourd'hui devant ce même Tribunal pour prêter le serment auquel il n'avait pas été admis;

En la forme :

Attendu que, sans se retrancher d'office derrière l'incompétence qui découle de l'art. 87 de la loi du 27 ventòse an VIII, il est certain tout au moins que le Tribunal se trouve actuellement dans la situation de la seconde juridiction devant laquelle, après cassation, l'examen d'une affaire est renvoyé conformément audit article;

Attendu que cet article ne fait aucune exception pour les jugements annulės en vertu de l'art. 80 de la même loi, lesquels, comme tous les actes de juridiction des Tribunaux, sont susceptibles de présenter un caractère contentieux; qu'annuler et casser sont, en matière de cassation, deux expressions

synonymes, puisque, dans l'un et l'autre cas,les décisions rendues sont mises à néant; que vainement on recherche, même dans l'art. 80 de la loi fondamentale précitée ou dans toute autre loi et décret se référant à la Cour de cassation, le texte sur lequel a pu être appuyé un arrêt de 1831 pour décider qu'une Chambre seule de cette haute juridiction, celle des Requêtes, statuait, en cas d'excès de pouvoir, définitivement et irrévocablement ; et qu'un Tribunal, en u'acceptant pas cette première décision, portait atteinte à l'autorité de l'arrêt rendu ; que très certainement, lorsqu'après un arrêt de cassation, la juridiction dont la décision est annulée ou cassée ne se conforme pas à la solution contenue dans ledit arrêt, incontestablement elle porte atteinte à l'autorité de l'arrêt rendu ;

Mais, attendu que cette liberté d'action est absolument légale et découle de la loi du 1er avril 1837, qui indique les différentes phases par lesquelles doit passer un arrêt de cassation avant que la juridiction inférieure soit tenue de le considérer comme dogmatique; que d'ailleurs, dans la plupart des cas soumis à l'appréciation des tribunaux, il est bien difficile de ne pas porter une atteinte quelconque à un arrêt de cassation, puisque, sur la même matière, on en trouve dans des sens divers; que, dès lors, en admettant l'un deux ou en n'acceptant aucun, on porte nécessairement atteinte aux autres ou à tous; qu'il en résulte que la liberté du Tribunal de statuer, d'après sa conviction, reste entière, tant que la question juridique dont s'agit n'aura pas été examinée et résolue par toutes les Chambres de la Cour suprême, conformément à la loi du 1er avril 1837;

Au fond:

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Attendu que le jugement rendu par ce Tribunal le 26 mars dernier est basé sur des motifs de droit et de fait établissant, d'une manière très précise, son pouvoir d'examiner la situation légale et pénale d'un garde particulier se présentant pour prêter serment, ainsi que les garanties de confiance que peut lui offrir ce futur officier de police judiciaire, placé sous la surveillance, « non de l'autorité administrative,» mais de l'autorité judiciaire; qu'évidemment, hors le cas d'une nomination non conforme aux lois, en procédant de la sorte vis-à-vis d'un agent nommé par l'Administration, l'immixtion du pouvoir judiciaire dans l'examen d'une nomination régulièrement émanée de l'autorité administrative ne serait pas douteuse ;

Mais attendu que la nomination d'un garde particulier n'est pas, comme celle des gardes champêtres des communes, faite par l'autorité administrative, mais par le propriétaire des terres à garder ; qu'en effet, dans son arrêt du 23 janvier 1880, le Conseil d'État lui-même a reconnu que l'autorité administrative ne nommait pas les gardes particuliers et ne pouvait même leur retirer son agrément; qu'il en résulte que cet agrément, sorte de visa arbitraire, mais de pure forme, ne confère aucun droit de surveillance ou pouvoir quelconque à l'Administration sur les gardes particuliers et que non seulement elle n'a pas la faculté de les révoquer, mais même celle de leur retirer son approbation, eût-elle été intempestivement donnée; qu'il est dès lors bien difficile à l'autorité judiciaire, qui examine si la nomination, par un propriétaire, d'un garde particulier, révocable par lui seul, présente les conditions de légalité et les garanties de confiance nécessaires, d'empiéter sur un pouvoir négatif et en quelque sorte inexistant, de l'autorité administrative;

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