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No 33. COUR D'APPEL DE PARIS (Ch. corr.).
2 Février 1891.

Chasse. Condamnation.

- Privation du droit d'obtenir un permis de chasse. Permis antérieur.

La privation du droit d'obtenir un permis de chasse, prononcée contre un individu par un jugement passé en force de chose jugée, n'emporte point contre cet individu déchéance du droit de se prévaloir d'un permis, qui lui a été délivré antérieurement à sa condamnation, tant que ce permis n'est point périmé, ou que le retrait n'en a point été prononcé par l'autorité administrative

CHASTRE C. MINISTÈRE PUBLIC.

Le 20 décembre 1890, le Tribunal correctionnel d'Épernay avait rendu le jugement suivant :

Attendu que de l'instruction et des débats résulte la preuve que, le 7 novembre 1890, le prévenu Chastre a chassé sur le territoire d'Orbais l'Abbaye; que le prévenu soutient qu'il était possesseur, au moment des faits qui lui sont reprochés, d'un permis qui lui avait été délivré à la date du 30 novembre 1889, et que ce permis, valable pour une année entière, ne devait être périmé que le 30 novembre 1890, d'où il s'ensuivrait qu'il n'aurait pas commis de délit en chassant à une époque antérieure à cette dernière date :

Attendu qu'il est constant et reconnu par le prévenu qu'à la date du 21 décembre 1889, il a été condamné pour chasse à 50 francs d'amende; que ledit jugement a prononcé contre lui l'interdiction pendant cinq ans d'obtenir un permis de chasse par application de l'art. 18 de la loi du 3 mai 1844; que ce jugement, non frappé d'appel, a acquis l'autorité de la chose jugée et que la condaranation qu'il prononce est irrévocable;

Attendu que les principes généraux de la loi du 3 mai 1844 établissent que celui à qui est délivré un permis de chasse obtient par là non le droit de chasse et la faculté d'exercer ce droit, mais la régularisation de ce droit dont l'autorité administrative assure seulement l'exercice sans pouvoir jamais le créer ou le garantir; que, si le droit de chasse vient à être enlevé par un fait postérieur, par une condamnation, avec eux tombe nécessairement le permis qui n'en est que le signe de l'aptitude ou du droit ;

Attendu que la condamnation dans ce cas place celui qu'elle atteint dans un état d'incapacité absolue qui vicie le permis dans son essence même et entraîne son inefficacité;

Attendu que c'est sous l'empire de ces principes qu'a été édicté l'art. 18 de la loi du 3 mai 1844, et que vainement on argue des termes mêmes de cet

article pour soutenir que c'est seulement à partir de l'expiration de l'année pour laquelle le permis a été délivré que l'interdiction doit courir;

Attendu que l'art. 18 a une corrélation évidente avec les art. 17 et 8 de la loi qui fixe les incapacités absolues ou facultatives d'exercer ce droit de chasse;

Attendu que le législateur, en donnant aux tribunaux la faculté d'interdire à un délinquant pendant un temps déterminé le droit de chasse, a voulu que cette interdiction fût exemplaire, que la loi l'a indiqué dans un intérêt d'ordre et de sécurité publics, et que le but ne serait pas atteint si la peine accessoire prononcée ne devait pas avoir d'effet immédiat ;

Attendu que le fait par Chastre d'avoir chassé, alors qu'il était frappé d'incapacité immédiate par le jugement du 21 décembre 1889, constitue le délit de chasse sans permis;

Et attendu que Chastre est en état de récidive, ayant été condamné pour chasse dans les douze mois qui ont précédé l'infraction relevée par le présent jugement; qu'il tombe sous l'application de l'article 14 de la loi du 3 mai 1844;

Par ces motifs,

Condamne Chastre en 200 francs d'amende.

Sur appel interjeté de ce jugement par le sieur Chastre, arrêt infirmatif de la Cour de Paris.

LA COUR: Considérant que Chastre est prévenu d'avoir, le 7 novembre 1890, chassé sans permission sur le territoire de la commune d'Orbais; Considérant que Chastre a produit un permis de chasse qui lui avait été délivré le 30 novembre 1889 et qui était valable pour un an;

Considérant, il est vrai, que, postérieurement à la délivrance de ce permis de chasse, et sous la date du 21 décembre 1889, Chastre a été condamné pour chasse à 50 francs d'amende et à la privation du droit d'obtenir un permis de chasse;

Considérant que le jugement, dont est appel, en conclut que le prévenu, ayant été privé du droit de chasse, ne pouvait plus se servir de son permis de chasse;

Mais considérant que cette décision repose sur une confusion; que la loi du 3 mai 1844, ainsi que le reconnaissent les premiers juges, ne crée pas le droit de chasse, et ne fait que subordonner, dans certaines circonstances, l'exercice de ce droit à l'accomplissement d'une formalité administrative;

Considérant que la condamnation du 21 décembre 1889 n'a enlevé à Chastre ni le droit de chasse, ni le droit de port d'armes, et l'a mis seulement dans l'impossibilité d'obtenir un permis de chasse à l'avenir, et pendant une période de cinq ans;

Considérant que, par le fait de ladite condamnation, le permis, obtenu par Chastre le 30 novembre précédent, n'est pas devenu nul de plein droit; que le Tribunal était sans compétence pour annuler ce permis, et qu'il résulte des documents de la cause que l'autorité administrative n'en a pas prononcé le V. — 6

TOME XVII.

- JUIN 1891.

retrait; que, dans ces conditions, la prévention de chasse sans permis ne sc trouve pas suffisamment établie ;

Par ces motifs,

Infirme le jugement dont est appel et décharge Chastre des condamnations prononcées contre lui.

Renvoie le prévenu des fins de la poursuite sans amende ni dépens.

M. de Thévenard, président; M. Jacomy, substitut du proc. gén. ; Me Simon Auteroche, av.

(Gazette du Palais.)

OBSERVATIONS. La question est assez vivement controversée. Championnière (Manuel du chasseur), Jullemier (Procès de chasse), Giraudeau et Lelièvre (La chasse) se prononcent dans le sens de l'arrêt recueilli. Mais on ne pouvait guère jusqu'alors citer à l'appui de leur thèse qu'un jugement du Tribunal de Nogent-sur-Seine (3 novembre 1866) et un jugement du Tribunal de Strasbourg (26 décembre 1853).

Duvergier (Collection des lois), Leblond (Code de la chasse), de Neyremand (Questions sur la chasse), Camusal (Code de la chasse), Chardon, Morin, Sorel (Journal des chasseurs, 1867) estiment au contraire qu'une condamnation portant privation du droit d'obtenir un permis de chasse emporte de plein droit l'annulation du permis précédemment obtenu. On peut étayer cette opinion d'un certain nombre d'arrêts Paris, 20 novembre 1856 et Amiens, 5 février 1857 (Bulletin des Annales forestières, 1856-1858, p. 179); Nancy, 29 février 1864 (Répertoire de la Revue, 1864-65, p., 307); Amiens, 21 mai 1874; Rouen, 3 décembre 1880 (Répertoire de la Revue, 1882-83, p. 68).

Il est à remarquer du reste que l'arrêt du 2 février 1891 (comme le jugement sus-rappelé du 3 novembre 1866) reconnait au préfet (ou sous-préfet) le droit de retirer le permis délivré à l'individu auquel, depuis la délivrance, a été fait application de l'article 18 de la loi sur la chasse, enlevant ainsi une grande partie de sa force à cet argument « que le but (de la loi) ne serait pas atteint si la peine accessoire pro<<noncée ne devait pas avoir d'effet immédiat ».

N 34. TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE GRENOBLE.
12 Août 1886.

CONSEIL DE PRÉFECTURE DE L'ISÈRE.

24 Mars 1888; 15 Décembre 1888; 23 Novembre 1889.

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le

Lorsqu'un délit a été constaté par un procès-verbal de récolement, Tribunal saisi de la poursuite doit surseoir à statuer pour permettre au prévenu de recourir au Conseil de préfecture, seul compétent pour prononcer sur l'annulation du procès-verbal. Le Conseil de préfecture a le droit d'ordonner une expertise.

ADMINISTRATION DES FORÊTS C. FELIX-JOSEPH DIT FIARDET.

Il a été procédé le 19 juin 1886 au récolement d'une coupe de la forêt communale de Saint-Pierre de Chartreuse. Le procès-verbal de récolement clos le 18 juillet 1886 constate la coupe et l'enlèvement de 11 réserves.

Poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Grenoble, l'adjudicataire Félix-Joseph dit Fiardet demande le renvoi de l'affaire à l'effet de se pourvoir devant le Conseil de préfecture en vertu de l'article 50 du Code forestier.

LE TRIBUNAL: Attendu que le prévenu demande le renvoi de l'affaire à l'effet de bénéficier des dispositions de l'art. 50 du Code forestier; Qu'il y a lieu de faire droit à sa demande;

Par ces motifs,

Renvoie l'affaire à l'audience du dix-huit novembre mil huit cent quatrevingt-six.

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Le sicur Fiardet s'est, par un Mémoire daté du 16 août 1886, pourvu devant le Conseil de préfecture de l'Isère en annulation, pour fausses énonciations, du procès-verbal de récolement du 19 juillet 1886.

LE CONSEIL DE PRÉFECTURE: Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'expertise contradictoire formée par les héritiers Fiardet; que, toutefois, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État, cette expertise doit être restreinte à l'examen de l'exactitude ou de l'inexactitude des énonciations contre lesquelles s'élèvent les requérants et ne peut porter sur le nombre et la quotité des arbres abattus, ce qui constituerait un nouveau récolement; qu'étant donnée l'urgence de l'affaire, dont le Tribunal correctionnel de Grenoble est saisi, il y a lieu de faire procéder à l'expertise dans les conditions particulières ci-après déterminées.

Après en avoir délibéré, conformément à la loi, avant faire droit,

ARRÊTE:

ARTICLE PREMIER. Une expertise contradictoire est ordonnée à l'effet de vérifier l'exactitude ou l'inexactitude des énonciations consignées dans le procès-verbal de récolement du 10 juillet 1886 et ainsi conçues :

« Onze souches d'épicéas coupés à la hache et enlevés dans l'intérieur de la coupe portaient à la naissance d'une racine des traces de circonférences ou des apparences de lettres avec des traces de circonférences. Nous les tenons pour des empreintes nulles ou pour de fausses empreintes du mar«teau de l'État. Toutes les souches provenaient d'arbres sur pied et non de chablis; >>

Il y sera procédé par les soins de M. Phal (Armand), inspecteur des forêts à Grenoble (Sud), expert désigné par l'Administration des forêts, et de M. Souillet (Jean-Louis), architecte à Jovion, expert désigné par les héritiers Fiardet;

Avant d'opérer, lesdits experts devront préalablement prêter serment devant M. le secrétaire général de la préfecture de bien et loyalement remplir leur mission.

Ils prendront connaissance de toutes les pièces du dossier, puis ils se rendront sur les lieux et, en présence des parties ou elles dûment convoquées, procéderont à leur mission, pour laquelle ils s'entoureront de tous les renseignements nécessaires et, au besoin, prendront voie instructive; ils rédigeront sur timbre, soit ensemble, soit séparément, leur rapport qu'ils déposeront ou feront parvenir au greffe du Tribunal, par lettre chargée, dans le délai d'un mois à partir de la notification du présent arrêté; pour être ensuite, par le Tribunal, statué ce qu'il appartiendra, tous droits, moyens et dépens réservés.

Les parties seront tenues de faire les diligences nécessaires pour que le délai ci-dessus imparti soit observé par leurs experts respectifs, faute de quoi il sera statué immédiatement après l'expiration du délai sur les pièces du dossier et dans l'état de l'instruction. Ils joindront audit rapport le mémoire de leurs frais et honoraires.

Du 24 mars 1888. Conseil de préfecture de l'Isère.

Les deux experts ne parviennent pas à se mettre d'accord; le Conseil de préfecture ordonne alors une tierce expertise.

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