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No 8.

PROJET DE LOI SUR LE CODE FORESTIER'.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Messieurs, le Code forestier de 1827, calqué sur l'ordonnance de 1669, renferme un grand nombre de dispositions qui, par leur sévérité excessive, leur inflexibilité et la protection exagérée dont elles entourent les forêts de l'État et des communes, ne sont plus en harmonie avec l'esprit de nos institutions.

En 1859, le Gouvernement a voulu remédier, dans une certaine mesure, aux défauts d'une législation qui nous reporte à deux cents ans en arrière. Il a demandé au Corps législatif une loi qui donne à l'Administration des forêts le droit de tempérer par des transactions la rigueur du Code.

En rendant définitive la faculté, concédée jusque-là transitoirement au Gouvernement, de s'opposer au défrichement des bois des particuliers, la loi du 18 juin 1859 a limité à des cas déterminés le droit de former cette opposition, de sorte qu'aujourd'hui les propriétaires ne sont plus à la discrétion absolue de 'Administration.

Mais l'ensemble du Code n'en subsiste pas moins avec ses dispositions surannées, qui sont trop souvent draconiennes, et pour les délinquants, et pour les propriétaires d'immeubles riverains ou voisins des forêts domaniales et communales, ainsi que pour les marchands qui se rendent adjudicataires des produits de ces bois.

Les communes se plaignent sans cesse des restrictions apportées par la loi à leurs droits sur des propriétés qui leur appartiennent. Elles demandent des garanties contre les excès d'autorité.

L'Administration des forêts reconnaît elle-même qu'il y a des lacunes dans la loi qu'elle est chargée d'appliquer.

Enfin, de nombreuses modifications ont été introduites dans la législation de 1827, soit par des événements tels que la réunion des bois. de la Couronne au domaine forestier de l'État, soit par l'effet du temps, puisque plusieurs de ses dispositions n'étaient que transitoires.

Des titres entiers ont été abrogés; d'autres sont tombés en désuétude. Une refonte complète du Code forestier s'impose.

Le projet de loi qui vous est soumis répond à cette nécessité.

1. Ce projet a été présenté au Sénat par M. Viette, ministre de l'Agriculture, dans la séance du 16 juillet 1888.

Le titre Ier (du Régime forestier) n'a subi que des corrections matérielles destinées à le mettre en harmonie avec la situation politique actuelle (suppression du domaine de la Couronne et des bois possédés à titre d'apanage).

Dans le titre II (de l'Administration forestière), le projet réduit à vingt et un an le minimum d'age exigé pour exercer un emploi forestier. L'âge de vingt-cinq ans, que fixait l'ordonnance de 1669, était alors celui de la majorité. L'insertion dans le Code actuel d'une disposition qui permet d'accorder des dispenses d'âge aux élèves de l'École forestière suffit pour démontrer les inconvénients d'une règle que l'Administration ne peut appliquer rigoureusement.

La division du titre III (des Bois et forêts qui font partie du domaine de l'État) en huit sections a été maintenue.

Aucun changement important n'a été apporté à la 1re section (de la Délimitation et du bornage).

Dans la 2o section (de l'Aménagement), on s'est borné à modifier la définition de la coupe extraordinaire donnée par l'article 16, devenu article 14.

Dans la 3 section (des Adjudications des coupes), quelques rectifications matérielles ont mis le texte du Code en concordance avec les lois et règlements actuels (suppression de la contrainte par corps; suppression des agents forestiers de la marine; attribution au Ministre de l'agriculture du choix des modes d'adjudication).

Dans la 4 section (des Exploitations), le projet donne d'abord satisfaction aux demandes réitérées du commerce.

Il dispense les adjudicataires des formalités relatives aux marteaux que le Code actuel leur impose sans les astreindre à s'en servir, et de l'obligation, très onéreuse pour les coupes de peu d'importance, et qui a pour conséquence forcée un abaissement du prix d'achat, de constituer toujours un garde-vente. Il permet d'attribuer à un seul gardevente la surveillance de plusieurs coupes situées dans différents cantons. Il atténue la responsabilité des adjudicataires en matière de délits, tout en donnant à l'Administration de nouveaux moyens pour assurer l'exécution de leurs obligations. Dans la plupart des cas de déficit de réserves et de retard de coupe ou de vidange, il laisse au juge plus de latitude pour proportionner au dommage les peines et les réparations pécuniaires, qui sont généralement exorbitantes.

La 5 section (des Réarpentages et récolements) a été modifiée de manière à limiter plus strictement la durée de la responsabilité des adjudicataires après l'exploitation.

La 6 section (des Adjudications de glandée, panage et paisson) n'a subi aucune modification.

On a fait disparaitre de la 7 section (des Affectations à titre particulier dans les bois de l'État) toutes les dispositions qui n'avaient qu'un caractère provisoire. On a modifié celle qui n'admettait la libération des forêts domaniales que par voie de cantonnement.

En ce qui concerne la 8° section (des Droits d'usage dans les bois de l'État), d'assez nombreuses modifications sont proposées.

La première a pour but de donner expressément à l'Administration (ainsi qu'on l'a indiqué dans la section précédente, relative aux affectations) la faculté d'opter, pour l'extinction des droits d'usage de toute nature, entre le cantonnement et le rachat, pourvu que le mode de libération offert aux usagers soit accepté par eux.

Il parait également utile de lui permettre, dans certains cas, de poursuivre le rachat partiel de droits de pâturage qui ne pourraient être supprimés entièrement sans une grande gêne pour les populations.

Les autres modifications sont de deux sortes.

Les unes se bornent à rectifier la rédaction et à préciser les limites des droits de pâturage et de pacage. Les autres atténuent les restrictions que la législation actuelle impose à la jouisance des usagers. Elles rendent plus pratique, plus expéditif et plus efficace le recours au conseil de préfecture dans les cas prévus par le Code, et elles suppriment:

1° L'interdiction de partager sur pied et d'abattre individuellement les bois de chauffage délivrés par coupes; cettte interdiction est continuellement enfreinte: on ne peut y tenir la main dans certaines localités sans rendre impossibles les exploitations;

2o La défense d'avoir plus d'un troupeau par commune ou section de commune possédant des droits séparés et distincts, lors même que cette commune ou cette section serait divisée en plusieurs groupes trop éloignés les uns des autres pour pouvoir former un troupeau

commun.

Le titre VI (des Bois des communes et des établissements publics), devenu titre IV par l'abrogation des anciens titres IV et V, relatifs aux bois et forêts de la Couronne et des apanages, a été profondément modifié,

Tout d'abord, les communes doivent profiter de la levée des interdictions de partage sur pied des coupes d'affouage et de formation de plusieurs troupeaux proposée dans la section 8 du titre III en faveur des usagers dans les bois de l'État, puisque les dispositions de cette

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section sont applicables, à peu d'exceptions près, à la jouissance des habitants des communes dans leurs propres bois.

Elles profiteront également des mesures proposées à la section 8 pour rendre plus efficaces, en cas de dissentiment avec l'Administration forestière sur les question de défensabilité et de possibilité de leurs forêts, les recours au conseil de préfecture.

Mais le titre qui les concerne a été revisé tout entier dans un ordre d'idées différent de celui qui a présidé à l'élaboration du Code actuellement en vigueur.

En 1827, comme au dix-septième siècle, on considérait que la soumission des forêts communales au régime forestier était commandée non seulement par l'intérêt des communes, mais encore par celui de l'État qui devait s'y ménager, pour les bois de construction et notamment les bois de marine, dont il aurait besoin, le complément des ressources qu'il trouvait dans les forêts nationales.

Cette idée était nettement exprimée dans le rapport fait par M. Favard de Langlade à la Chambre des députés, au nom de la Commission chargée de l'examen du projet de Code forestier.

Il semblait alors naturel d'imposer aux communes, dans l'intérêt de l'État, des sacrifices qu'on n'aurait pas songé à demander aux parti

culiers.

Le même esprit se retrouvait encore dans les lois de 1860 et de 1864 sur le reboisement et le gazonnement des montagnes; ces lois admettaient la dépossession des communes sans indemnité.

La loi du 4 avril 1882 sur la restauration et la conservation des terrains en montagne témoigne d'une réaction en faveur des communes ; elles sont replacées dans le droit commun; elles ne peuvent être expropriées que dans les mêmes conditions que les particuliers.

Nous estimons aujourd'hui que l'action exercée par l'État sur les biens des communes ne doit pas dépasser l'autorité d'une bienveillante tutelle; il a pour mission de veiller aux intérêts du pupille.

D'ailleurs, à peine le droit de martelage réservé pour dix ans à la marine dans les bois des particuliers avait-il cessé d'exister, qu'une ordonnance de 1838 en a supprimé l'exercice dans tous les bois soumis au régime forestier.

L'intérêt de la marine n'exige donc pas le sacrifice de celui des

communes.

Les coupes extraordinaires sont un sujet de discussions perpétuelles entre les communes et l'Administration.

Elles sont fréquemment assises, au grand détriment des forêts et des communes propriétaires, dans des peuplements trop jeunes ou trop vieux.

On est dès lors conduit à se demander s'il n'y aurait pas lieu de supprimer ou de transformer les quarts en réserve.

Nous avons pensé qu'on pourrait, dans l'intérêt des communes et pour tenir compte des habitudes prises, rendre facultatif le maintien des réserves actuellement assises sur le terrain, à la condition de les aménager. Mais il conviendrait de n'en plus établir et de se borner à stipuler que, dans les bois de plus de 10 hectares, le quart des coupes annuelles sera toujours vendu ou ne sera délivré que moyennant payement de sa valeur à la caisse municipale; les sommes ainsi perçues seraient affectées aux besoins extraordinaires ou placées en rentes sur l'État, à défaut d'emploi immédiat.

L'article 90 du Code actuel prévoit les cas où l'Administration forcstière et le conseil municipal seraient en désaccord sur l'opportunité de la conversion en bois et de l'aménagement de terrains communaux en pâturage.

Cet article doit être modifié. On pouvait admettre la conversion forcée, quand on considérait que l'intérêt privé des communes n'était pas la seule raison de la soumission de leurs bois au régime forestier.

Maintenir en principe que cette conversion peut avoir lieu contre le gré des communes serait revenir, par une voie détournée, sur les dispositions réparatrices de la loi de 1882.

Si l'intérêt public exige le reboisement, la loi spéciale doit être appliquée, sans qu'on ait à recourir au Code forestier. S'il s'agit, au contraire, d'apprécier l'intérêt que la commune peut avoir elle-même à convertir son pâturage en bois, c'est au conseil municipal que la décision doit appartenir.

La soumission au régime forestier des bois communaux reconnus susceptibles d'exploitation régulière, leur distraction de ce régime et leur aménagement font l'objet de décrets qui, depuis la loi du 10 août 1871, ne sont rendus, en aucun cas, sans l'avis préalable des conseils généraux. Cet avis ne parait pas nécessaire lorsque les communes sont d'accord avec l'Administration forestière.

Il semble ausi que les décrets peuvent être remplacés par des décisions ministérielles.

Les soumissions au régime forestier ne seront désormais prononcées par le Ministre de l'agriculture que sur l'avis conforme :

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