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THE FRENCH QUARTERLY

LES PAPIERS DE CALONNE

Démissionnaire le jour de Pâques 1787 à dix heures du soir, Calonne quittait Paris le lendemain 9 avril, « poursuivi de ville en ville et par les huées de la multitude et par les lettres de cachet », nous disent les Mémoires de Bachaumont1. Exilé d'abord à Berny, puis successivement en Flandre et en Lorraine, l'ancien contrôleur général des finances gagna bientôt l'Angleterre 2. Quelques mois plus tard il épousait la veuve de Joseph Micault d'Harvelay, née de Nettine, et s'installait dans une magnifique demeure, à Wimbledon, pittoresque village des environs de Londres. C'est là qu'il composa plusieurs pamphlets et quelques ouvrages aujourd'hui oubliés3, mais qui, pendant trois ans, de 1787 à 1790, jouirent, auprès des Parisiens reconnaissants de ses prodigalités passées, comme auprès d'une fraction importante de l'élite de la société française, d'une popularité que justifiaient l'élégance de son style et la hardiesse des réformes qu'il proposait. C'est là qu'il reçut, au cours de l'automne de 1789, un

1 Bachaumont, Mémoires secrets, t. XXV, p. 30.

* Calonne arriva certainement en Angleterre dans les six semaines qui suivirent son renvoi. Avant le 14 mai 1787 il dîna en effet chez lady Stafford, accompagné de deux dames françaises. A ce dîner assistèrent lady Clermont, William Pitt et Mr. Granville (Lettre de lady Stafford à lord Granville Leveson Gower, premier lord Granville, datée du 14 mai 1787. Voyez: Private Correspondence of Lord Granville Leveson Gower, 1st Lord Granville, published by his daughter-in-law Castallia, Countess Granville, t. I, p. 8. Londres, John Murray, 1916).

3 Pendant son séjour en Angleterre il publia au moins: Réponse de Calonne à l'écrit de Necker, 1788; Lettre au Roi, 9 février 1789; Seconde lettre au Roi, 5 avril 1789; Note sur le mémoire remis par Necker au Comité des Subsistances, 1789; De l'état de la France présent et à venir, 1790; Observations sur les finances, 1790.

VOL. VII

I

I

message du Comte d'Artois, alors émigré à Turin auprès de son beau-père Victor-Amédée III, roi de Sardaigne. Le frère de Louis XVI priait Calonne de sonder le gouvernement britannique dont il désirait connaître les vues sur les événements de France. De plus, en échange des secours que l'Angleterre consentirait à fournir au parti de la Contre-Révolution, d'accord avec les autres puissances qui adhéreraient à la coalition européenne projetée, il le chargeait d'offrir à Pitt: la rupture du Pacte de Famille, l'alliance de la France aux dépens de l'Autriche, la réduction de la marine française, l'abandon de Cherbourg, la cession de plusieurs de nos colonies et enfin le dépôt de quelques places fortes, sous la réserve qu'elles seraient rendues à la France lorsque le Roi, rétabli dans ses droits, aurait exécuté les conditions stipulées dans le contrat que le Prince offrait de signer avec les Puissances Alliées qui consentiraient à prendre son initiative sous leur protection.

Nous devons dire à l'honneur de Calonne que, s'il accepta d'entrer en rapport avec le jeune ministre de Georges III, il refusa d'offrir à l'Angleterre l'abandon de Cherbourg, la réduction de la marine et le dépôt des places fortes que le prodigue Fils de France, suggestionné par son entourage, proposait si étourdiment de monnayer.

En octobre 1790 Calonne quitta l'Angleterre pour se rendre à Turin et pendant plusieurs années parcourut l'Europe en tous sens, dissipant son immense fortune pour la cause de la Contre-Révolution. A la suite de sa disgrâce (? 1792), il vécut quelque temps en Russie, puis regagna l'Angleterre où, complètement ruiné, il dut pour vivre et payer ses dettes vendre sa bibliothèque, ses tableaux et son cabinet d'histoire naturelle. En même temps, pour satisfaire aux exigences de son inlassable activité, il reprit sa plume et composa quelques ouvrages parmi lesquels on cite son Tableau de l'Europe en novembre (1795), Des finances publiques de la France (1797), Réponse à Montyon, Remarques sur l'Histoire de la Révolution de Russie par Rulhières. On lui attribue aussi un curieux ouvrage : Projet pour obvier aux vols de grand chemin dans les environ de Londres (1801) 1. A la Paix d'Amiens il obtint, semble-t-il, sa radiation de la liste des émigrés, rentra en France et sollicita en vain un emploi du Premier Consul. Bientôt après il mourait à Paris, le 30 octobre 1802.

Le hasard nous ayant fait découvrir récemment les papiers qu'il avait laissés en Angleterre, papiers qui vraisemblablement avaient été remis par sa veuve au gouvernement britannique ou saisis par celui-ci après son décès, nous avons obtenu l'autorisation de les explorer. Le

1 Cet ouvrage se trouve au Musée Britannique sous la cote 188. b. 17.

peu de loisirs dont nous disposons ne nous a pas permis de faire l'inventaire de cette douzaine de liasses de documents non classés; nous ne saurions donc dire, même approximativement, si ces papiers ont une grande valeur pour l'Histoire en général; nous ne saurions dire non plus s'ils sont tous inédits, ne disposant pas ici des ouvrages indispensables pour opérer les vérifications nécessaires; mais nous avons raison d'espérer que ces liasses (si nous jugeons par celles que nous avons ouvertes) permettront de fixer un grand nombre de points de détail relatifs à un non moins grand nombre de personnages de premier plan de la fin du XVIIIe siècle, jetteront quelque lumière sur la trame des démarches et des intrigues qui présidèrent aux premières tentatives de coalitions européennes des Émigrés de Turin, fourniront enfin les manuscrits sur des objets d'art ou d'administration dont plusieurs dictionnaires biographiques du XIXe siècle signalent l'existence et dont la mort de Calonne a empêché l'impression.

Nous avons déjà transcrit la plus grande partie des pièces datées. de 1790 ou relatives aux événements de cette année-là ; nous avons bon espoir de les présenter au public au cours de 1925. Nous avons cru cependant qu'il convenait auparavant de donner quelque idée de l'importance de ces archives. Le French Quarterly offrant l'hospitalité à tout sujet littéraire ou historique qui intéresse à la fois les lettrés anglais et français, nous avons offert aux éditeurs d'en publier quelques pièces. Ils ont répondu à notre proposition avec toute la courtoisie et tout l'empressement dont ils sont coutumiers. Nous sommes très sensible à leurs encouragements et non moins reconnaissant de la grande faveur qu'ils nous ont accordée en mettant si généreusement à notre disposition quelques feuillets de leur estimable revue. Qu'ils en soient ici remerciés.

Les premiers documents que nous avons choisis et qui suivent (nous espérons en donner dorénavant un nombre égal dans chaque numéro) consistent en six lettres adressées à Calonne par Mirabeau (quatre lettres), Mgr. de Marbeuf prédécesseur de Talleyrand sur le siège épiscopal d'Autun (une lettre), Necker (une lettre); trois lettres de la duchesse de *** à Calonne, une lettre de Calonne à la duchesse de ***. Nous avons modernisé l'orthographe des lettres et ajouté quelques signes de ponctuation, persuadé que les lecteurs du French Quarterly ne sauraient nous tenir rigueur d'une initiative dont l'objet est de leur rendre plus facile la lecture de ces pièces.

Londres, décembre 1924.

Christian de PARREL.

MIRABEAU A CALONNE

I.

Monsieur

J'ai l'honneur de vous envoyer le mémoire que vous avez désiré sur les dispositions actuelles de la Russie envers la Courlande. Si vous en souhaitez un plus détaillé sur ce pays, je vous l'offrirai très incessamment, et je dois vous dire qu'il est peu de parties de l'Allemagne sur laquelle je ne puisse au premier mot vous en envoyer autant. J'ai fait beaucoup de recherches sur cette partie de l'Europe dans mon dernier voyage1, et vous avez su doubler mes forces en prêtant à ma curiosité naturelle l'activité de l'émulation et l'énergie de la reconnaissance.

Quel jour voulez-vous me donner, Monsieur, pour vous communiquer un travail tout autrement important sur le grand et vraiment sublime objet que vous avez médité avec tant de génie et de patriotisme? Il est absolument nécessaire que nous le lisions ensemble, afin que vous me montriez tous les changements et toutes les additions à faire. Et comme le ton de ce mémoire est simple et calme, quoique élevé peut-être, tout ce que les circonstances du moment ajoutent de motifs pressants pour traiter cette institution, qui sera le plus ferme rempart de l'autorité Royale, comme la plus abondante des sources des finances, et la base inébranlable de la prospérité nationale, tout cela, dis-je, devrait être l'objet d'un discours particulier. Vous seul pouvez décider de toutes ces choses. C'est ce qui m'autorise à vous demander un travail prochain. Eh! quelle opération plus digne de vous, plus féconde en utilités et en gloires de tout genre, réclamera jamais à plus juste titre toute votre attention, tous vos efforts!

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C'est de la première poste que j'ai l'honneur de vous écrire pour vous prévenir que le courrier de Berlin, que j'ai attendu pour monter en voiture,

1 Il quitta Paris le 25 décembre 1785, fut à Berlin le 19 janvier 1786, et revint à Paris le 22 mai (Welschinger, La mission secrète de Mirabeau à Berlin, pp. 6-22). Sur la Courlande, voir ib., p. 500.

2 Welschinger, o. c., publie cette lettre d'après la première édition de la Correspondance de Mirabeau. Nous la reproduisons d'après le texte original, qui diffère légèrement et est plus complet.

ne m'a apporté aucune lettre. Il est possible, mais il n'est pas probable que la lettre de mon correspondant ait été mise trop tard à la poste; mais il est possible aussi, et peut-être il serait plus vraisemblable que le grand événement1 soit ou très prochain, ou consommé. Cela serait à peu près sûr, si M. le Comte de Vergennes de son côté n'avait rien reçu; car je tiens pour infaillible que dès l'agonie tous les courriers seront arrêtés. Ceci va me presser beaucoup, Monsieur, et je me rendrai avec une très grande célérité du moins à Brunswick, où je serai très sûrement informé, et où je m'arrêterai plusieurs jours si le Roi est vivant.

Maintenant il ne me reste qu'à vous répéter que rien ne me coûtera, efforts, temps ni peines, pour servir vous et la chose publique. Lié 2 pour jamais à celui qui m'a ouvert la carrière par une inacquittable reconnaissance, mon dévouement est désormais un tribut sur lequel vous devez compter comme sur celui de vos amis les plus passionnés. Je ne vous répéterai rien de nos conversations; mais je prendrai la liberté de vous donner un avis, uniquement fondé sur mon 3 attachement pour vous, qui ne pouvez pas n'y pas croire, puisqu'indépendamment de la séduction que vous exercez avec tant d'empire, nos intérêts sont solidaires. Le torrent de vos affaires, l'activité des intrigues, les efforts de tout genre qu'il vous faut prodiguer, vous rendent impossible de rédiger vous-même les très grandes idées que votre génie a mûries et qui sont prêtes d'éclore. Vous m'avez montré du regret de ce que je ne pouvais pas en ce moment employer mon faible talent à rédiger vos belles conceptions. Eh bien! Monsieur, souffrez que je vous indique un homme digne de cette marque de confiance sous tous les rapports. M. l'abbé de Périgord joint à un talent très réel et fort exercé, une circonspection profonde et un secret à toute épreuve. Jamais vous ne pourrez choisir un homme plus sûr, plus pieux au culte de la reconnaissance et de l'amitié, plus curieux de bien faire, moins avide de partager la gloire des autres, plus convaincu qu'elle est et doit être tout entière à l'homme qui sait concevoir et qui ose exécuter. Il a un autre avantage pour vous. Son ascendant sur Panchaud réprime les défauts de celui-ci et met en œuvre toutes ses grandes qualités et ses rares talents. Il n'est pas un autre homme qui puisse disposer comme M. l'abbé de Périgord de Panchaud, lequel vous devient tous les jours plus nécessaire pour une grande opération d'argent sans laquelle vous n'en pourrez pas tenter une autre. Vous pourriez, Monsieur, confier à l'abbé de Périgord les besognes délicates qu'en ce moment surtout vous ne pouvez, ni ne devez abandonner à des commis. Telle est cette lumineuse et civique idée de tirer des résultats de tant d'états faux dont on a infecté les portefeuilles des Ministres, qui comparés aux vrais

1 La mort de Frédéric II, qui survint le 17 août 1786.

La phrase qui suit manque à Welschinger.

3 Mot écrit dans l'interligne, au-dessus de un, barré.

Le fameux Talleyrand.

Banquier genevois.

Après surtout vient le mot un, barré.
"Les mots Telle est sont sans l'interligne.

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