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CHAPITRE II.

Cour des Pairs attentat du 28 juillet 1835.

Constituée en Cour de justice, par une ordonnance du 28 juillet 1835, pour procéder sans délai au jugement de l'attentat commis dans cette même journée contre la per sonne du roi et contre les princes de sa famille, la Chambre des pairs avait dès le lendemain ordonné que, par son président et par tels de MM. les pairs qu'il désignerait pour l'assister et le remplacer au besoin, l'instruction du procès serait immédiatement commencée. C'est de cette ins truction à laquelle concoururent divers juges de Paris et des départemens, outre huit membres de la Chambre des pairs commis par le président, que M. le comte Portalis, l'un de ces derniers, vint rendre compte à la Cour dans les séances du 16 novembre et des jours suivans, Son rapport embrassait tous les détails de cette vaste procédure, analysait les interrogatoires des prévenus et les dépositions des témoins, en conservait le caractère, et reproduisait souvent ces paroles pleines de mouvement et de vie, ou empreintes d'originalité, qui laissent lire, sans milieu, dans l'ame des interlocuteurs. Rarement une instruction plus complète avait été offerte à des juges. La netteté des ayeux avait permis de suivre pied à pied la préméditation du forfait, et de vérifier minutieusement toutes les circonstances qui se rapportaient à son exécution. C'est assez dire que l'histoire ne pourra puiser à une source plus abondante, pour arriver à la connaissance de la vérité sur le crime du 28 juillet. Nous prendrons donc ici ce document pour base de notre récit, sauf à recueillir ensuite dans les débats pu blics les révélations nouvelles, les incidens imprévus, qui éclairciront ou compléteront le petit nombre de faits secon

daires sur lesquels le rapport de la commission d'instruction laissait encore planer quelque incertitude.

Saisi pour ainsi dire en flagrant délit, au moment où le pavé du boulevart du temple était jonché de morts et de blessés tombés sous ses coups, l'auteur de la machine infernale n'avait pu songer un seul instant à nier son crime. Loin de là, l'assumer tout entier sur sa tête, se le réserver tout entier, tel fut le but de ses premiers efforts, bien qu'il n'ait pas été long-temps sans déclarer qu'il avait des complices, et même sans exprimer du regret de ce qu'il avait fait. Cependant, il ne voulait nommer personne, et continuait à dissimuler son véritable nom; mais bientôt l'instruction posséda des indices qui la mirent sur le chemin de la vérité. Déjà, avant que l'assassin, reconnu par plusieurs individus, eût avoué qu'il s'appelait Fieschi, sa concubine, la fille Nina Lassave, avait été arrêtée ainsi qu'un bourreliersellier nommé Morey, contre lequel s'élevaient de fortes présomptions de culpabilité. Morey fut gravement compromis par les déclarations de cette fille, à laquelle il avait fait des aveux. Elle était du reste entièrement étrangère à l'attentat du 28 juillet. Un autre complice présumé de Fieschi, Victor Boireau, ouvrier lampiste, était aussi sous la main de la justice. Il avait à l'avance désigné le lieu, l'instrument et l'auteur du crime, à l'un des commis de la maison dans laquelle il travaillait. Un quatrième accusé, Bescher, ouvrier relieur, dont la police s'était également emparé dès les premiers momens, était principalement chargé par quelques mots de Morey à Nina Lassave. Eu causant avec elle à la barrière de Montreuil, lorsque l'arrestation de l'assassin était déjà connue, et au moment où le bruit de sa mort se répandait, il lui avait dit : « Je vais rendre à ce pauvre Bescher son livret et son passeport qu'il avait prêtés

à Fieschi. »>

Les circonstances qui établissaient la préméditation du crime, et celles qui en avaient aidé ou accompagné la con

sommation se révélaient peu à peu. Un pas plus important fut fait lorsque Fieschi, voyant son véritable nom découvert, eut annoncé l'intention de s'expliquer avec sincérité.

Ses aveux, mêlés d'abord de réticences, de ruses et de mensonges, eurent pour effet de compromettre un cinquième individu, dans l'attentat du 28 juillet ; c'était le sieur Pepin, marchand d'épiceries et de couleurs. Pepin, qui s'était dérobé jusque-là aux recherches de la police, fut arrêté le 28 août, parvint à s'évader le lendemain, et fut arrêté une seconde fois, le 22 septembre, dans une ferme, près de Lagny (Seine-et-Marne).

Sur ces entrefaites, Fieschi avait levé chaque jour un nouveau coin du voile qui cachait la vérité, et bientôt on eut son dernier mot; mais il faut commencer par voir comment la première idée de son forfait vint à germer dans sa tête.

Vers la fin de 1834, on procédait à des enquêtes judiciaires et administratives qui le menaçaient du sort le plus déplorable, et il fut sur le point de tomber dans la plus profonde détresse. Alors il conçut un grand mécontentement, et il en affecta un plus grand encore. Il disait que ses occupations étaient au dessous d'un homme tel que lui;il ajoutait, d'un ton significatif: « Qu'il ne souffrirait pas toujours, mais qu'avant de mourir !...» En toute occasion il se montrait irrité contre «<le gouvernement, qui ne faisait pas assez pour lui.» Quand il apprit qu'une pension, qu'il s'était fait accorder sur de faux titres, était supprimée, on l'entendit déclarer que, « s'il arrivait quelque sédition, il serait le premier à pénétrer aux Tuileries pour assassiner le roi et les princes, et partout où il y aurait quelque chose à piller. »

« C'est alors, ajoute le rapport, qu'on le rencontrait toujours soucieux, pr'occupé et manquant d'argent; c'est alors qu'il empruntait les noms d'Alexis et de Bescher, pour échapper aux agens de police qui le poursuivaient; qu'il travaillait, en se cachant, à la manufacture de papiers peints de Lesage, près de la barrière du Trône; qu'il demandait successivement à ses amis un asile

où il pût reposer sa tête à la fin du jour, et du travail pour occuper ses mains et gagner son pain quotidien ; c'est alors que tour à tour il alla cacher ses nuits sans sommeil chez Boireau, chez Morey, chez Pepin. En ces jours de détresse, il ne sortit plus sans joindre au poignard qu'il portait toujours, le fléau redoutable dont il était encore muni dans sa fuite, le 28 juillet, et à l'aide duquel il prétendait défier vingt assaillans. »

Cependant, à mesure que le ressentiment fermentait dans son cœur, la pensée du crime s'emparait de son esprit; il s'efforçait à donner un corps à ses projets de vengeance. Dédaignant tous les partis et prêt à les servir tous, ce qu'il désirait surtout, c'était un grand bouleversement social, au sein duquel il pût développer ses facultés intellectuelles, dont il avait la plus haute idée, et l'énergie de son caractère. Mais il lui fallait, pour accomplir ses desseins, des confidens et des auxiliaires; voici, d'après le rapport, qui résume en ce moment une déclaration de Fieschi, comment il les choisit :

« Quelque temps après qu'on eut commencé à le poursuivre, désespéré de la perte de sa place et des mauvais procédés de Laurence Petit (1) à son égard, Fieschi conçut la malheureuse idée de sa machine; comme il connaissait Morey pour un ennemi du Gouvernement, il alla le trouver et lui en montra le dessin, avant d'avoir formé encore le projet de le mettre à exécution. Morey en fut enthousiasmé, et lui dit : «Si j'avais assez de fonds, je fournirais ⚫ aux dépenses nécessaires. » Ce projet revint souvent dans leurs conversations. Cependant Fieschi n'avait pas d'ouvrage; le temps lui pesait, il avait besoin de se distraire; il lui fallait trouver un emploi de ses facultés et de son énergique activité. Morey le mena chez Pepin, en lui disant : « C'est un homme qui fait travailler beaucoup d'ouvriers, et il pourra yous occuper, soit à Lagny où il a une fabrique, soit ici.» Pepin promit de s'occuper de Fieschi; mais ses promesses tardaient à se réaliser. Alors Morey parla à Pepin du dessin de la machine, et le lui fit voir; l'enthousiasme de Morey gagna Pepin; il dit « Si l'homme est solide, on pourrait faire les dépenses qui seraient nécessaires; moi, je les ferais.» Morey rendit compte à Fieschi de ce qu'il avait fait. Pepin s'informa si Fieschi n'était pas un homme à tourner le dos dès qu'il aurait engagé sa parole. Il fit appeler Fieschi; alors, dit celui-ci, a nons nous trouvâmes tous les trois ensemble; ils me demandé» rent à quelle somme pourrait monter la dépense de la machine: je me sé» parai d'eux un instant, et fis un calcul détaillé, qui montait à peu près à » 500 fr. »

⚫Ces choses s'étaient passées vers la fin de février ou an commencement de mars. Il fut décidé que Fieschi irait chercher un logement; il en trouva un qu'il jugea propice; mais lorsqu'il voulut l'arrêter, il prit Morey avec lui: le logement convint à tous deux. Fieschi donna 5 fr. d'arrhes; le prix du loyer annuel fut fixé à 315 fr. Pepin fut engagé à venir voir si, lui aussi, trouvait le local propice; il y vint, et c'est la seule fois qu'il y soit venu. Fieschi

(1) La mère de Nina Lassave.

exposa alors qu'il était nécessaire de meubler l'appartement: il n'avait rien; Laurence Petit l'avait dépouillé de tout, il fit le détail des meubles indispensables à un ménage de garçon. Son devis se montait à 130 et quelques francs; Pepin lui remit cette somme. Fieschi acheta quelques meubles.»

Il prit possession de l'appartement le 8 mars. On s'attendait à une revue pour le 1er mai; en conséquence Fieschi voulut acheter du bois pour fabriquer sa machine, et il se rendit, à cet effet, avec Pepin sur le quai de la Rapée, Comme il n'y eut point de revue le 1er mai, les trois conjurés se dirent: «Attendons en juillet. »

« Quand Pepin, Morey et Fieschi, continue le rapport, furent certains qu'il y aurait une revue pour les fêtes de Juillet, ce dernier, toujours selon sa déclaration, se procura les canons de fusil, et, aussitôt que Pepin le sut, il donna cent quatre-vingt-sept francs et quelques centimes pour les payer. Fieschi, ayant apporté chez lui les canons de fusil,'fit lui-même tout le travail de l'assemblage des pièces de bois et de la traverse de derrière sur lesquels reposaient les culasses des fusils. Il fit le modèle de la ferrure, et mit tout en règle. »

Fieschi déclara que la note de ses comptes avec Pepin devait se trouver dans un livre de commerce de ce dernier. Ce livre fut saisi; il contenait effectivement les indications de plusieurs sommes que Fieschi avait reçues soit pour le bois, soit pour le loyer, et de diverses livraisons de comesti bles ou d'eau de vie qui lui avaient été faites à crédit, tantôt sous un nom et tantôt sous un autre.

Morey s'était vanté à la fille Nina Lassave d'avoir chargé tous les canons de fusil de la machine infernale, moins trois que Fieschi avait voulu absolument charger, et il prétendait que c'étaient ces trois qui avaient éclaté et avaient blessé celui-ci. Fieschi avait toujours déclaré au contraire qu'il avait lui-même chargé tous les fusils. En présence de la fille Nina, qui répéta son récit sans hésitation et sans variantes, Fieschi changea de langage. Il reconnut qu'il avait passé la soirée du lundi 27, avec Morey, à cheviller la machine et à l'assurer avec des cordes, à charger les canons de fusil et à les mettre en place.

Fieschi n'avait plus rien à dire sur Morey; il n'en était pas

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