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Kouban et du Terek, que, outre leur bravoure accoutumée, les Circassiens avaient aussi une espèce de tactique militaire et qu'ils manoeuvraient jusqu'à un certain point avec la régularité des troupes européennes. On pensa que cette instruction leur venait des déserteurs polonais de l'armée russe, et surtout d'un officier de la révolution polonaise qui avait été réduit au rang de simple soldat par ordre de l'empereur. Quoi qu'il en soit, les Russes parvinrent enfin à remporter vers le milieu de l'année une victoire assez importante. Ils dirigèrent une expédition simultanée, par terre et par mer, contre Soudjouk-Kale, l'une des places fortes de la côte, située entre Anapa et Ghelendjeck, Les forces russes se montaient à 15,000 hommes environ; elles ne s'emparèrent pas de la forteresse sans essuyer d'assez grandes pertes qui se trouvèrent d'ailleurs amplement compensées par les avantages de la position conquise. Maîtres de ce point de la côte, les Russes pouvaient désormais en compléter le blocus et couper à l'ennemi les convois qui lui arrivaient ordinairement par mer,

Indépendamment des conjectures qu'une levée extraordinaire de cinq hommes sur mille, qui fut ordonnée par un ukase du 31 juillet 19 août autorisait à former sur les projets du cabinet russe pour la soumission complète des Circassiens, on remarqua encore que l'empereur était attendu dans la Crimée et la Bessarabie, où sa présence ne pouvait guère avoir d'autre but que de hâter les préparatifs qui s'y faisaient, et d'imprimer aux opérations militaires une activité et une énergie nouvelles. Mais un accident im prévu empêcha ce voyage de s'exécuter entièrement : l'em pereur s'était, mis en route depuis quelques jours; il allait de Penza à Tamboff lorsque, le 26 août-7 septembre, sa calèche versa pendant la nuit, à une distance de cinq werstes de Tschembar, et il eut le malheur de se casser la clavicule gauche. Cette fraction, quoique ne présentant aucune ficulté de guérison, n'en força pas moins l'empereur de re

dith

noncer à la tournée et aux revues qu'il avait projetées, et de passer plusieurs semaines dans la ville de Tschembar.

Cependant, les vaisseaux russes faisaient bonne garde dans la mer Noire, et déjà ils avaient pris plusieurs chaloupes qui portaient du sel et de la poudre aux Circassiens. Une capture plus importante fut celle du schooner anglais le Vixen, dont un brick de la marine impériale s'empara au mois de décembre dans la baie de Soudjouk-Kalé. Le capitaine du navire anglais et le propriétaire de la cargaison, qui se composait de sel, avouèrent qu'ils étaient venus dans ces parages pour vendre cette denrée aux habitans; mais le Vixen avait été trente-six heures en communication avec la côte avant d'être saisi, et n'avait plus que deux canons au lieu de quatre qu'il devait porter, ce qui donna lieu de soupçonner qu'il avait apporté des munitions de guerre aux Circassiens; d'autant plus qu'un journal de Londres avait annoncé que tel était le motif de l'expédition du Vixen. Au reste, ce schooner avait violé les règlemens de douane et de qua+ rantaine de la Russie sur la côte d'Abasie; aussi fut-il conduit à Sébastopol et déclaré de bonne prise pour ce fait seul. Toutefois, le gouvernement russe n'appliqua point toute la rigueur des lois à l'équipage, qui fut mis en liberté.

Il ne s'était encore rencontré aucune occasion de voir jusqu'à quel point les puissances étrangères reconnaissaient le blocus des côtes orientales de la mer Noire, établi par la Russie en vertu d'un article du traité d'Andriuople sujet à controverse; c'est pour cela que la prise du Vixen, qui donnerait probablement lieu à l'Angleterre de s'expliquer sur ce point, prenait une certaine importance politique. Quoique ce blocus eût été notifié au gouvernement anglais, jamais son journal officiel n'en avait fait mention, et c'était sur la foi de ce silence, qui équivalait à une non-reconnaissance des droits revendiqués par la Russie, que les armateurs du Vixen avaient risqué leur expédition.

de Silistrie.

tion de ces outrages.

CHAPITRE IV.

TURQUIE. Convention conclue entre la Porte et la Russie, pour l'évacuation
Outrages reçus par un Anglais à Constantinople. Répara-
Précautions prises par la France contre la Porte.
Etat des choses à Tripoli. — Victoires de la Porte sur les Kurdes.
-{Evacuation de Silistrie. · Insurrections en Bosnie et en Albanie.
Ravages de la peste. Résolution du sultan
Détails divers.

Troubles à Constantinople.

d'établir des quarantaines.

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Les sommes que la Turquie s'était engagée à payer au gouvernement russe à titre d'indemnité de guerre, en vertu du traité d'Andrinople, s'élevaient encore au mois d'avril 1835, à 340,000 bourses ou 170 millions de piastres tur ques. C'est en garantie de ces sommes, que la place de Silistrie, l'une des clefs de l'empire sur la rive droite du Danube, restait entre les mains des Russes. Dans cet état de choses, le sultan conçut le projet de terminer la question de l'indemnité par une transaction qui procurerait à la Turquie l'avantage d'obtenir une certaine réduction de la totalité de sa dette, et offrirait en revanche à la Russie le paiement immédiat d'une somme en bloc avant l'échéance des termes stipulés par la convention du 17-29 janvier 1834 (voy. 1834, page 425). Déférant aux voeux du sultan, l'empereur Nicolas autorisa M. de Boutenieff, son ambassadeur à Constantinople, à entrer en négociation avec la Porte, sur le moyen d'effectuer la liquidation projetée. Cette négociation conduisit promptement à la conclusion d'un arrangement définitif, dont les résultats furent consignés le 27 mars- 8 avril 1836, dans un acte signé par l'ambassadeur russe et le ministre des affaires étrangères ottoman. Par cet acte, la Porte s'obligeait de payer à la Russie, dans les cinq mois suivans, la somme de 80 millions de piastres turques. Après l'acquitte

ment intégral de cette somme, la place de Silistrie serait évacuée par les troupes russes.

Au moment où l'opinion était généralement répandue que l'Angleterre n'avait pas été sans influence sur l'heureuse issue de cette négociation, et même que l'argent anglais aiderait la garnison russe à sortir de Silistrie, les autorités turques à Constantinople sévissaient contre un sujet de cette puissance, avec un luxe d'insolence et de cruauté digne des plus beaux jours de la vieille barbarie ottomane.

Un négociant anglais, établi depuis long-temps dans la capitale, sortit le 8 mai pour chasser. Il eut le malheur, en tirant un coup de fusil, de blesser un enfant. Aussitôt l'Anglais fut entouré de Turcs accourus de toutes parts, et accablé de coups, d'injures et de malédictions. La garde arriva; il raconta au chef des soldats comment la chose s'était passée et l'assura qu'il était prêt à se rendre devant l'autorité supérieure; mais, sans s'inquiéter de ses observations ni de sa résistance, quelques soldats l'abattirent, le tinrent immobile, couché, la face contre terre, et deux hommes lui administrèrent le châtiment des meurtriers et des voleurs avec le bâton de la police ordinaire. Cette exécution terminée, le patient fut relevé et forcé de suivre ses bourreaux devant le kiaya-bey de Scutari. Celui-ci, prévenu par des rapports mensongers, s'élança de son sofa comme un furieux et dit mille injures à l'Anglais sans vouloir écouter un seul mot pour sa défense. On le conduisit ensuite au mehkeine de Scutari (tribunal correctionnel), et en chemin, quand la douleur le contraignait de s'arrêter, on le faisait avancer à force de bourrades. Lorsqu'il allait entrer au tribunal, un des assistans lui cassa sa canne sur le corps. On appela un chirurgien turc, qui examina la blessure de l'enfant et la trouva très-légère, c'est-à-dire telle que peut la faire un grain de plomb dans les chairs. Procès-verbal de l'affaire ayant été dressé, l'Anglais fut ramené à Constantinople, jeté dans un Ann, hist, pour 1836.

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trou infect où il passa la nuit, puis transporté au bagne à côté des plus infâmes scélérats, et chargé de lourdes chaînes.

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L'outrage au nom anglais était sanglant, et la violation des traités patente; lord Ponsonby ressentit l'un et l'autre, comme son devoir et l'honneur de sa nation l'exigeaient. Il adressa aussitôt d'énergiques représentations au reiss effendi, qui, tout dévoué à la Russie, ne se pressa pas d'en tenir compte. En conséquence, lord Ponsonby déclara qu'il n'aurait plus aucune relation avec le reiss effendi; en d'autres termes, qu'il cessait de le reconnaître dans ses fonctions officielles. Il paraît que cette démarche fit faire de sérieuses réflexions; car l'ordre fut donné de mettre le négociant anglais en liberté, et après une enquête qui démontra que le gouvernement turc avait été trompé par les rapports de ses agens, le cadi et le kiaya de Scutari furent destitués. Cela ne suffit pas pour apaiser lord Ponsonby, bien que le gouvernement essayât par tous les moyens d'éteindre la querelle et de l'amener à se contenter de ces satisfactions. L'ambassadeur anglais persistant à refuser de recevoir aucune communication du reiss-effendi, le sultan se décida vers le milieu de juin à accepter la démission de ce ministre, en lui accordant une pension mensuelle de 10,000 piastres. Tous les autres fonctionnaires mêlés à cette affaire, qui avait mis Constantinople en émoi, avaient été simplement destitués, ou destitués et punis selon leur rang et la part qu'ils avaient prise aux brutalités dont le né gociant anglais s'était vu accabler. Il fut lui-même indemnisé par des avantages commerciaux.

Pendant que la Porte sortait ainsi de ce mauvais pas, une autre difficulté semblait devoir s'élever tout à coup entre cette puissance et la France. Un nouvel armement maritime se préparait à Constantinople depuis plusieurs mois, et l'on avait tout lieu de soupçonner que la Porte songeait, soit à reprendre possession de Tunis, comme elle avait fait l'année dernière de Tripoli, soit à donner au bey de Tunis l'investiture du beylick de Constantine. De pareils projets de

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