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«LL. AA. RR. les dues d'Orléans et de Nemours partiront dans les premiers jours de mai pour faire un voyage en Allemagne. Les deux princes se rendront à Berlin pour assister aux manoeuvres du printemps. Ils se dirigeront ensuite sur Vienne, et seront de retour en France dans les premiers jours de juillet. Les journaux de toutes les couleurs, par l'importance qu'ils attachèrent à ce voyage l'élevèrent à la hauteur d'un événement politique; il pouvait indiquer en effet combien le temps avait marché depuis six ans, et jusqu'à quel point le nouvel établissement monarchique de 1830 était parvenu à se concilier les vieilles dynasties de l'Allemagne.

D'après les bruits que l'annonce du prochain départ des ducs d'Orléans et de Nemours mit en circulation, les deux cours qu'ils allaient visiter avaient été pressenties; on avait voulu savoir à l'avance s'ils y seraient reçus d'une manière convenable à leur position. Les réponses avaient dissipé tous les doutes. Le roi de Prusse avait écrit lui-même, disait-on, pour offrir aux princes français l'hospitalité de son palais, et la lettre était conçue dans les termes les plus bienveillans. M. de Metternich, au nom de l'empereur d'Autriche, n'avait pas, ajoutait-on, montré moins d'empressement.

Du reste, le séjour des princes français dans la capitale de la Prusse depuis le 11 jusqu'au 24 mai, et dans celle de l'Autriche depuis le 29 mai jusqu'au 11 juin, ne fut marqué par aucun incident inattendu. Des appartemens leur avaient été préparés au château royal à Berlin, et au palais impérial à Vienne. Toutes les attentions, toutes les fètes que les cours réservent pour leurs hôtes les plus illustres leurs furent prodiguées en Prusse et en Autriche : revues, parades, manœuvres militaires, bals, spectacles, diners d'apparat, visites aux établissemens publics remplirent presque toutes leurs journées. Partis le 11 juin de Vienne, ils traversèrent la Styrie et le Tyrol, et entrèrent le 25 à Milan, où ils devaient séjourner quelques jours pour revenir ensuite en France par

Turin ; mais, ayant appris qu'un nouvel attentat venait d'être commis sur la personne du roi leur père, ils résolurent d'abréger leur voyage et s'abstinrent de visiter Turin afin d'être plus vite à Paris, où ils arrivèrent le 4 juillet.

Le 25 juin, le roi quittait les Tuileries vers six heures et un quart après midi, pour retourner à Neuilly, avec la reine et madame Adélaïde, qui étaient placées dans le fond de la voiture; le roi se trouvait vis-à-vis de la reine. Les six premiers chevaux étaient déjà engagés sous le guichet du Pontroyal, lorsque l'explosion d'une arme à feu, dirigée contre le roi, remplit la voiture de fumée; la balle passant au dessus de sa tête alla s'enfoncer dans le panneau de la voiture, un peu au dessous de l'impériale. Le roi s'informa si personne n'était blessé au dehors et donna ordre de continuer la route.

L'auteur du crime fut immédiatement arrêté, tenant encore son arme ; c'était une canne-fusil. Entraîné au poste de la garde nationale, qui était en cet instant commandé par un sergent, celui-ci, arquebusier de son état, le reconnut aus`sitôt pour être Louis Alibaud, auquel il déclara avoir confié, avec mission de les vendre, plusieurs armes semblables à celle dont cet individu venait de se servir. Alibaud fut fouillé, et l'on trouva sur lui un poignard destiné, dit-il, à se frapper s'il en avait eu le temps. Il n'avait dans sa poche qu'une vingtaine de sous. Après quelques momens employés à recueillir les renseignemens que pouvaient fournir les personnes qui avaient été témoins de l'attentat, Alibaud fut conduit à la Conciergerie et livré à l'autorité judiciaire. Interrogé aussitôt par le procureur général : « J'ai voulu, dit-il, tuer le roi que je regarde comme l'ennemi du peuple. J'étais malheureux; le gouvernement est la cause de mon malheur; le roi en est le chef, voilà pourquoi j'ai voulu le tuer. Je n'ai qu'un seul regret, celui de n'avoir pas réussi. »>

Ce premier interrogatoire terminé, on cominença sur-le

champ toutes les recherches, toutes les investigations qui pourraient conduire à la découverte de la vérité. Dès le 25 dans la soirée, une ordonnance du roi, en exécution de l'art. 28 de la Charte, investit la Cour des pairs de la connaissance de ce nouvel attentat; par arrêt du lendemain, la Cour ordonna que son président procéderait à l'instruction, conjointement avec les pairs dont il jugerait devoir se faire as

sister.

Le soir même de l'attentat, et en attendant que toutes les autorités vinssent présenter au roi l'expression des sentimens qu'avait fait naître en eux le nouveau danger auquel il avait été exposé, des pairs, des députés, des ambassadeurs, des fonctionnaires, des dignitaires de toutes les classes s'empres sèrent de se rendre à Neuilly pour féliciter S. M. Dans le nombre on distinguait M. de Quélen, archevêque de Paris. Le lendemain, le curé de Saint-Roch et ses vicaires, suivant l'exemple qu'avait donné le premier prélat du diocèse, se rendirent aux Tuileries ainsi qu'une foule d'autres personnages, qui furent reçus par le roi, après les Chambres. Les corps constitués, la magistrature, les officiers de la garde nationale et de l'armée se présentèrent aussi successivement au palais.

Un lettre ayant été adressée à l'occasion de l'attentat du 25 juin, par le roi, avec le contreseing du ministre de la justice, à tous les évêques du royaume pour leur demander un Te Deum en action de grâces, l'archevêque de Paris, publia un mandement dont toutes les phrases, tous les mots furent examinés et pesés d'autant plus curieusement qu'ils semblaient avoir été choisis avec une attention toute particulière.

La divine Providence, disait le prélat, qui, selon l'expression de l'Ecriture, conduit jusqu'à l'abîme et qui en retire, » la divine Providence ne cesse de nous enseigner d'une manière aussi miséricordieuse que terrible; en nous montrant de nouveaux dangers, elle a détourné encore une fois de nouveaux malheurs. Si nous sommes dociles et fidèles à reconnaître les momens de sa visite, à profiter de ses leçons; si nous avons soin de la remercier de ses bienfaits, de la bénir dans tous les temps, d'implorer avec une humble

confiance le salut qu'il n'appartient qu'à elle de donner aux rois et aur peuples, elle accomplira sur nous ces antiques promesses annoncées par lá bouche des saints prophètes, et renouvelées à l'aurore de notre rédemption : » Délivrés de toute crainte, nous servirons le Seigneur dans la sainteté et dans la 'justice, marchant sans alarmes en sa présence, tous les jours de

notre vie. »>

M. de Quélen finissait en ordonnant aux curés de son diocèse de chanter le Te Deum demandé pour la protection dont la main du Tout-Puissant avait couvert la France, « en conservant, ajoutait-il, au prince qui la gouverne à travers tant de périls, des jours qu'il veut employer à maintenir dans notre patrie le respect pour la religion, source de tout ordre véritable, base de toute bonne législation, sûr garant de toute paix, et fondement solide de toute félicité. »>

Dans ce mandement qui ne provoqua pas moins de commentaires par ce qu'il disait que par ce qu'il ne disait pas, le nom de roi n'était nulle part donné à Louis-Philippe, et l'attentat du 25 juin n'était pas qualifié de tentative de régicide, mais d'assassinat.

On remarqua encore, comme l'année dernière, après le crime de Fieschi, que l'empereur de Russie et le duc de Modène s'abstinrent seuls, entre les divers princes régnans de l'Europe, d'adresser des lettres de félicitation au roi des Français,

Cependant, l'instruction relative à l'attentat du 25 juin avait marché avec une célérité inaccoutumée, et, dès le 2 juil let, la Cour des pairs recevait le rapport de sa commission sur les antécédens de l'auteur du crime, sur le crime luimême et sur tous les détails qui s'y rattachaient. Louis Alibaud était né à Nîmes le 2 mai 1810 de parens qui tenaient aujour d'hui une auberge à Perpignan. Il avait un certain degré d'instruction et ne manquait pas d'intelligence. Après avoir été employé en qualité de copiste à Nîmes, il était entré comme novice dans la marine, où il ne resta que deux mois, et s'était engagé en 1829, dans un régiment de ligne en garnison à Paris. Ce régiment s'y trouvait encore en

1830. Alibaud déclara dans un de ses interrogatoires qu'il avait alors déserté le drapeau de Charles X, qu'il avait fait cause commune avec le peuple; mais que, sortant de la troupe, il avait le préjugé qu'il ne pouvait tirer sur ses anciens camarades, et que par conséquent il était resté neutre pendant la lutte. Il rentra dans son régiment, fut nommé moniteur de l'école régimentaire, puis fourrier, et finit par quitter le service en janvier 1834. L'exaltation de ses sentimens politiques avait été jusqu'alors peu remarquée; toutefois, s'il fallait l'en croires il avait conçu son projet d'assassinat depuis les événemens du Cloître Saint-Méry en 1832.

pren

Après avoir essayé de divers moyens pour se faire occuper, il habitait Perpignan en 1835, au moment où des réfugiés étrangers y accouraient de tous côtés avec le projet de dre part à un mouvement révolutionnaire qui se préparait en Catalogne, dans le but de proclamer la déchéance de la reine d'Espagne et l'établissement de la république. Alibaud fut déterminé à partir pour Barcelone; il y resta quel ques semaines, et revint à Perpignan vers le milieu d'oc tobre 1835, après avoir vu que le mouvement projeté ne se ferait pas.

Interrogé sur le nouveau plan qu'il avait formé, en rentrant en France, pour assurer son existence, il répondit: « J'étais bien dégoûté de tout; ce fut alors que je me décidai à venir à Paris. Que comptiez-vous faire à Paris? Ce que j'ai manqué de faire. Ce serait donc en Espagne que vous auriez arrêté le projet d'assassiner le roi? Je n'étais pas encore tout-à-fait décidé en quittant l'Espagne; mais, arrivé en France, je me décidai totalement. Ce fut le départ du duc d'Orléans pour l'Afrique qui me détermina à venir à Paris. -- En quoi le départ du prince royal a-t-il pu vous déterminer à donner suite à vos projets de voyage à Paris? - En ce que, le roi mort, et le duc d'Orléans ne se trouvant pas à Paris, la révolution eût été plus facile qu'à toute autre époque. »

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