Page images
PDF
EPUB

mide et indécise, une part faite à tout le monde, part mince et réduite, non our se montrer sévère aux exigences qu'on limitait, mais pour mécontenter le moins possible les exigences contraires. Flottant dès lors entre les divers intérêts qu'il voulait servir, le travail de la commission s'était empreint de toutes les influences et semblait n'avoir eu pour but que de neutraliser un paragraphe par l'autre et de se perdre ainsi dans le vague. Chacun y avait sa leçon, mais si adoucie, si emmiellée, qu'il n'y avait pas à s'en fàcher; chacun y trouvait aussi l'expression de ses désirs, de ses opinions, mais en termes si mesurés qu'ils ne heurtaient nullement les désirs et les opinions du parti opposé.

L'adresse proclamait que, pour défendre l'ordre public et les institutions aux prises avec les efforts acharnés des factions, le gouvernement n'avait fait appel qu'à la force des lois, et que les mesures législatives adoptées par les pouvoirs constitutionnels avaient produit d'heureux effets. C'était un éloge des lois de septembre. Passant à l'expédition de Mascara, l'adresse disait qu'à la noble égalité de travaux et dé périls qui existait entre la jeunesse française et les fils dú roi, la France avait reconnu son caractère national et la dynastie qu'elle s'était choisie; qu'elle n'avait pas vu sans émotion l'aîné de ses princes associé aux fatigues et aux dangers de l'armée.

Quant aux affaires étrangères, ce que l'adresse avait de plus significatif était contenu dans ce passage, qui protestait en faveur de la Pologne sans la nommer:

Notre intime union avec la Grande-Bretagne est une garantie de plus pour la durée de la paix; elle assure la réserve et le maintien des droits consacrés par les traités, dont l'exécution importe à l'équilibre de l'Europe. »

Après avoir exprimé les vœux de la Chambre pour la pacification intérieure de la péninsule et l'affermissement du trône de la reine I-abelle II, l'adresse manifestait l'espérance què les déclarations renfermées dans un acte récent donneraient Ime issue également honorable pour deux grandes nations

au différend élevé sur l'exécution du traité du4 juillet 1831. Elle s'expliquait ensuite avec force et précisioni sur la né cessité de mettre enfin en équilibre les dépenses et les recettes du pays; elle énumérait les grandes lois constitutionnelles qui restaient à faire, parlait de réformes judiciaires et adminis tratives, d'intérêts matériels, de libertés publiques, d'amé liorations sociales, et terminait ce programme assez explicite par le paragraphe suivant :

Oui, sire, la Chambre le pense avec vous, c'est quand la force persévérante des lois à découragé les partis par la conviction de leur impuissance, qu'il appartient à une politique généreuse et conciliatrice de rallier tous les Français autour du trône et des institutions de juillet. »

11, 12, 13 janvier. La discussion fut ouverte par M. Cha puys-Montlaville, qui réclama énergiquement en faveur de la Pologne, reprocha au ministère ses ménagemens envers la sainte alliance, et mit en parallèle la fidélité du cabinet français à subir les traités de 1815 avec la hardiesse du Czar à les violer. Il termina en votant contre le projet d'adresse parce qu'il donnait l'approbation la plus solennelle à un système que l'orateur considérait comme le plus opposé aux véritables intérêts de la France, à un système qui, après l'horrible attentat du 28 juillet, avait mutilé toutes les libertés acquises par la révolution, et arraché au pays toutes les garanties que lui assurait la constitution. Membre de la majorité, M. Muret de Bort approuvait, au contraire, tout ce qui avait été fait, et n'hésitait point à penser que bien des agitations avaient trouvé leur terme dans les mesures législatives votées à la clôture de la dernière session. Il montrait que les sinistres prophéties de l'opposition sur ces mesures avaient été démenties par les événemens. Jamais, suivant l'honorable membre, plus d'efforts n'avaient été faits pour persuader au paysqu'il était esclave, qu'au moment de la plénitude de sa liberté; jamais peintures aussi vives ne lui avaient été tracées de ses souffrances commerciales, que dans sa période de plus grande prospérité. M. Muret de Bort indiquait ensuite

plusieurs moyens d'arriver à un résultat plus heureux encore, et c'était entre autres l'abaissement du taux de l'intérêt par une réduction de la rente opérée avec ménagement.

Bien qu'il ne pût s'associer au projet d'adresse, M. de Sade y trouvait cependant plusieurs passages auxquels il était prêt à se joindre. Ainsi, il souscrivait à tous les éloges donnés à l'armée d'Afrique, sans changer d'ailleurs d'opinion sur l'utilité des possessions françaises dans cette contrée, et, sans approuver la destruction de Mascara; jugeant que, pour civiliser un pays, pour se concilier ses habitans, c'était un étrange moyen que de brûler leurs villes. Il s'associait aussi de grand cœur à tout ce qui avait été dit sur l'acceptation des offres de médiation de l'Angleterre ; mais il avait vu avec regret qu'il n'eût pas été fait la moindre allusion à la malheureuse Pologne dans le projet d'adresse, non plus que dans le discours du roi, et il blåmait le silence que gardait ce discours sur la question d'Orient.

Au reste, c'était sur la marche de la politique intérieure que portait principalement le dissentiment de l'orateur avec le ministère, et il déclarait que cette divergence n'était pas près de cesser. Il faisait entendre la plus énergique protestation contre le passage du discours de la couronne qui contenait l'éloge des lois que la Chambre avait laissé passer dans la dernière session, et soutenait que la tranquillité et la prospérité de la France n'étaient le fruit ni de ces lois, ni de celle qui prohibait les associations, ni même de celle qui défendait d'acheter quelques fusils ou quelques sabres de rebut.

« Certes, ajoutait M. de Sade, je ne crois pas que dans ce moment-ci on pût nous arracher ces lois qu'on nous a enlevées dans un premier moment où les esprits étaient agités par le plus horrible des attentats. Et c'est là un reproche dont anront peine à se laver les ministres de S. M. Ils nous ont fait délibérer avant que les esprits eussent eu le temps de se calmer, de se rasseoir; ils ont battu le fer pendant qu'il était chaud, pour nous enlever ces tristes concessions. Mais que les ministres y prennent garde, cette opinion qui, jusqu'à présent, je l'avoue, a été pour eux, et qui, je dirai ce qui me paraît vrai, les a souvent poussés plus loin qu'ils ne voulaient aller, est maintenant sur le retour, et la France comprend qu'il est temps de songer à Ja conservation des conquêtes qu'elle a acquises par quarante ans des plus

glorieux travaux, des plus mémorables qui aient illustré l'histoire d'une

nation. >

Le premier mérite d'une adresse, c'était d'être franche et claire. L'adresse serait donc bonne si elle exprimait, sans détours, sans ambiguité, les pensées et les intentions de la Chambre; elle serait mauvaise, si elle enveloppait si bien ces intentions et ces pensées, que chacun y vît les siennes ou pût feindre de les y voir. Mais, telle était aujourd'hui la souplesse de la langue, et, tel était l'art des commentateurs, qu'avec un parti bien pris, et une habileté suffisante, il était aisé de faire sortir d'un texte, quel qu'il fût, les inspirations les plus contraires. Pour ne pas tomber dans la situation aussi fàcheuse que ridicule, d'une assemblée qui ne sait pas précisément ce qu'elle a dit, et qui, pour expliquer sa pensée, a besoin de s'y prendre à deux fois, il était donc nécessaire que la discussion servit elle-même de commentaire au texte de l'adresse; il était nécessaire que, sans faire une misérable guerre de mots, on vint, en votant pour ou contre, dire ce que l'on entendait ou ce que l'on pensait. Tel était le motif qui amenait M. Duvergier de Hauranne à la tribune.

Après ce début, l'orateur rappela que depuis cinq ans le gouvernement avait été obligé de soutenir une longue et pénible lutte; mais que, toujours et en tout, le succès avait récompensé ses efforts; que chaque année, en définitive, il s'était trouvé plus fort et mieux assis que l'année précédente. Cependant, si aujourd'hui les partis se taisaient, si la justice n'était plus outragée, si la constitution et le roi étaient respectés, fallait-il en conclure que les amis du gouvernement n'eussent plus qu'à jouir en paix de leur ouvrage? L'orateur ne pouvait s'abandonner à une si douce illusion. Il n'y avait pas à craindre que les classes moyennes, qui étaient le plus ferme appui du gouvernement actuel, et l'élément prépondérant de la constitution, se laissassent, comme en 1792, arracher violemment le pouvoir; mais il n'était pas prouvé Ann, hist. pour 1836.

2

que la ruse ne pût rien contre elles. De là, un changement de tactique qui se manifestait déjà, sur lequel l'orateur appelait l'attention, et qu'il signalait en ces termes :

α

Prier ce qu'il y a de plus emporté daus les partis de vouloir bien se calmer et se taire jusqu'à ce qu'on leur ait préparé une voie plus large et plus facile, dénoncer au pays un grand et mystérieux complot ayant pour but de révenir par degrés aux abus de l'ancien régime, aux folies de la restauration; évoquer ainsi des dangers imaginaires pour empêcher de voir les dangers réels, et semer dans les rangs des amis du gouvernement le trouble et la défection, tel est le plan qui, plusieurs fois essayé sans succès, semble aujourd'hui, grâce au calme général, plus susceptible de réussir. »

Parmi les accusations absurdes qui seraient ainsi mises en avant, il en était une sur laquelle l'honorable membre tenait à s'expliquer: il voulait parler du ménagement que rencontrait le parti de la restauration, et des sympathies qu'il trouvait. Ce parti était composé d'hommes de deux sortes : les uns désiraient maintenir le gouvernement déchu, parce qu'il existait, et par amour de l'ordre; les autres le soutenaient parce qu'ils en attendaient la destruction des conquêtes de la révolution, et le retour d'un régime justement tombé; les uns déploraient ses fautes, les autres s'y associaient; les uns le retenaient sur les bords de l'abîme, les autres l'y précipitaient. M, Duvergier de Hauranne appelait les premiers à se rallier à ses amis, et laissait les seconds à ses adversaires.

«Si, dans l'ensemble des observations que je viens de vous soumettre, ajoutait l'orateur, il y a quelque vérité, il reste prouvé, ce me semble, que tout est Im d'être fini, et que les partis ont changé de moyens, non de but; d'armes, non de dessein. Il reste prouvé, par conséquent, que le moment n'est pas venu de tout oublier et de tout effacer; il reste prouvé que, si nous devons faire tous nos efforts pour rapprocher du trône et des institutions de juillet ceux qui, dans un camp ou dans l'autre, s'en sont tenus écartés jusqu'ici, c'est à condition qu'its quitteront leur drapeau pour se rallier sincèrement au nôtre, et sans acheter par des faiblesses ou des concessions dangereuses une adhésion équivoque. (Très-bien!)

α

» Malgré d'officieux commentaires qui, je crois en être sûr, seront démentis par l'unanimité de la commission, j'entends ainsi, quant à moi, « la politique généreuse et conciliatrice » par laquelle le projet d'adresse répond a a la noble modération » du discours de la couronne. Je l'entends ainsi, parce que toute autre interprétation supposerait un piége, et que des honorables collègnes que nous avons investis de notre confiance, aucun assurėmen! ne veut dérober par surprise un vote qu'il n'aurait pas osé demander ouvertement et directement à la Chambre. (Très-bien! très-bien!) Il n'y a d'ailleurs de gouvernemens vraiment conciliateurs que les gouvernemens fermes, La commission le sait aussi bien que nous. »

« PreviousContinue »