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CHAPITRE III.

LOIS SUR LA PRESSE.

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Lot répressive des crimes et délits commis par la voie de la presse. Autre loi relative à la poursuite de ces crimes ou délits. - Troisième loi relative aux journaux et écrits périodiques, affranchis de la censure.

On avait établi dans la session dernière les savantes théories de la liberté de la presse. On a vu cominent le projet de loi qui devait servir à en réprimer les abus, avait, après des débats lumineux, animés, approfondis, été rejeté par la chambre des pairs. I faut s'y reporter pour suivre avec plus de fruit les discussions de celui-ci. L'intervalle d'une session à l'autre, les événemens qui survinrent, le progrès naturel des doctrines libérales, l'exemple de plusieurs jugemens rendus sous l'empire des anciennes lois dans les six derniers mois, la méditation plus approfondie du sujet, et surtout la dernière révolution ministérielle, avaient préparé les esprits à recevoir une loi nouvelle. M. le garde des sceaux en apporta la proposition à la chambre des députés le 22 mars, en trois lois distinctes, séparées, présentées ensemble pour qu'elles offrissent, comme en un seul code, toute la législation de la presse.

« Le premier projet, intitulé: Des crimes et délits commis par la voie de la presse, ou tout autre moyen de publication, repose sur un principe fort simple, ou plutôt sur un fait, c'est que la presse, dont on peut se servir comme d'un instrument, pour commettre un crime ou un délit, ne donne lieu cependant à la création, ni à la définition d'aucun crime ou délit particulier nouveau. De même en effet, dit S. Exc., que l'invention de la poudre a fourni aux hommes de nouveaux moyens de commettre le meurtre, sans créer pour cela un crime nouveau à inserire dans les lois pénales, de même l'invention de l'imprimerie n'a rien fait de plus que leur procurer un nouvel instrument de sédition,

de diffamation, d'injures et d'autres délits, de tout temps connus et réprimés par les lois.

«En d'autres termes, il n'y a point de délit particulier de la presse; mais quiconque fait usage de la presse est responsable, selon la loi commune, de tous les actes auxquels elle peut s'appliquer. Par-là, Messieurs, disparaît cette difficulté qui a si souvent embarrassé les législateurs et les publicistes, savoir la définition des prétendus délits spéciaux appelés délits de la presse; ces délits ne sont autres que ceux dont la définition se trouve dans la loi pénale ordinaire qui prévoit et incrimine tous les actes nuisibles, sans s'inquiéter des moyens auxquels le coupable a recours. Par-là, est démontrée en même temps l'inutilité de cette pénalité d'exception dans laquelle on a cherché long-temps un remède contre les abus de la liberté de la presse, et qui n'a produit que des lois toujours oppressives, toujours impuissantes. La presse rentre, comme tout autre instrument d'action, dans le droit commun, et en y rentrant, n'obtient aucune faveur qui lui soit propre, elle n'y rencontre aucune hostilité qui lui soit

particulière.

Ramenée ainsi dans le domaine de la législation générale, la question devient simple, et le projet de loi s'applique en quelque sorte de lui-même. Tout est renfermé et classé dans les quatre chapitres dont se compose le projet de loi, savoir: 1o. la provocation publique au crime ou délit; 2°. les offenses publiques envers la personne du Roi ; 3°. les outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs; 4°. la diffamation et l'injure publique. »

Il emporte l'abrogation de quelques articles rigoureux du code pénal et de toute la loi du 9 novembre 1815; (ce qui fit tomber la proposition faite à la chambre des pairs par M. le comte de Castellane.)

Ici M. le garde des sceaux expose les motifs qui ont déterminé l'application des peines (détention ou amendes) dont les deux chambres modifièrent un peu la rigueur (voyez le texte de la loi à l'Appendice), et l'ordre des articles qui souffrirent peu de changemens dans leurs dispositions. « Un seul point a paru exi

ger quelques observations particulières, c'est la substitution du mot diffamation au mot calomnie, jusqu'ici employé par nos lois. Les motifs sont que le terme de calomnie dans son sens vulgaire, emporte avec soi l'idée de la fausseté des faits imputés. Une publication n'est donc réellement calomnieuse que lorsque les faits qu'elle contient sont faux. Cependant les législateurs ont senti qu'il était impossible d'autoriser tout individu à publier sur la vie d'un autre des faits dont la publication lui porterait un dommage réel. Pour remédier à cet inconvénient, ils ont attribué au mot calomnie un sens légal, autre que son sens naturel et vulgaire. Le mot diffamation n'implique pas seulement la fausseté du fait; il dénote d'une part l'intention de nuire, de l'autre, le dommage cansé............ »

Le second projet relatif à la poursuite et au jugement des délits, a pour objet d'offrir à tous sûreté dans la poursuite, impartialité dans le jugement. On trouve dans le discours du ministre des observations importantes à recueillir sur les outrages dirigés contre les chambres; « il faut prévoir l'ascendant qu'une majorité devenue constante exercerait sur le gouvernement, et par-là sur l'action du ministère public. Dans le désir d'arrêter cette majorité, il aura besoin du contrôle de l'opinion et d'une opinion libre; mais ce contrôle, toujours plus ou moins incommode, paraî→ trait d'autant plus insupportable à cette majorité, qu'elle s'égarerait davantage et entraînerait avec elle le gouvernement plus loin de l'intérêt et du vœu général. Dans une telle situation, cette majorité pourrait être tentée de devenir oppressive, d'imposer silence à une salutaire opposition. Il faut alors qu'une délibération solennelle de la chambre, qui se croit offensée, précède la poursuite; il faut que la minorité de la chambre puisse être entendue dans la discussion; il faut que l'opinion libre puisse se prononcer avec cette garantie. Il sera bien difficile que la poursuite ait lieu autrement que dans des cas suffisamment graves; il sera impossible d'en abuser contre la liberté : il est d'ailleurs de la dignité des chambres qu'elles ne puissent être présentées et tra▾ duites en jugement, car tout procès intenté dans l'intérêt d'un

pouvoir l'y traduit plus ou moins lui-même. Il est de leur dignité qu'elles ne puissent être compromises dans une lutte judiciaire que de leur consentement. »

Dans le projet de l'année dernière le dépôt d'un livre était assimilé à la publication; assimilation qui donna lieu à de vives discussions. Dans le nouveau projet, on s'est décidé à proposer Ja saisie de l'ouvrage avant le jugement, mais seulement après la publication; en sorte que le public pourra, dans son principe même, juger l'action intentée.... Le règlement de la compétence présentait de sérieuses difficultés. On a cherché à cette questioni la solution qui a paru le mieux concilier tous les intérêts. La partie publique ne pourra exercer ses poursuites que devant le juge du lieu du dépôt, et, dans le cas d'une saisie, la partie civile qui poursuit elle-même (supposant que la publication a été opérée dans les lieux qu'elle habite) pourra y poursuivre les auteurs de cette publication.

Une question encore plus grave, qui avait été discutée l'année dernière incidemment, mais avec beaucoup de chaleur, était de savoir par qui seraient jugés les délits de la presse. « Le nouveau ministère, en proposant le jury, ne cède pas moins à sa propre conviction qu'à l'opinion publique, et croit servir la liberté de la presse autant qu'il favorisera la répression de ses abus. Il est convaincu que le jury est désormais le seul protecteur efficace des intérêts que pourrait menacer la licence des publications; il va plus loin, il est convaincu que le jury effraierà les libellistes par la juste sévérité de ses décisions. »>

Mais en adoptant cette institution, on a cru devoir distinguer les délits, poser les questions à faire au jury, et remettre le jugement des simples injures à la police correctionnelle.

Quant aux observations, aux réclamations faites en différentes occasions sur la réforme du jury, le ministère n'a osé ajouter à des difficultés si réelles dans une matière si étendue des difficultés plus grandes et plus épineuses encore... « Ces questions ont été examinées parmi nous, dit Son Exc., mais il nous a paru qu'il fallait du temps pour les mûrir, Une loi sur les abus de la

presse se corrige facilement par l'expérience; la réforme du jury manquée pourrait compromettre l'existence de la société elle-même.

• Tel qu'il est aujourd'hui, le jury est incontestablement préférable au tribunal correctionnel pour le jugement des délits de publication. La responsabilité légale et morale des administrateurs se développe évidemment tous les jours, et nous garantit provisoirement, au moins jusqu'à un certain degré, le soin de Fimpartialité dans la composition de la liste des jurés. Tel qu'il est aujourd'hui, le jury juge des crimes dont la découverte demande assurément plus de sagacité que celle du délit de publication. Enfin, adopter pour ce genre de délit l'institution du jury, c'est en rendre la réforme plus urgente et plus indispensable.

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<< D'autres doutes se sont élevés sur l'admission de la preuve, en matière de diffamation. Le projet de loi l'a rejetée quant aux offenses faites aux particuliers; mais il l'admet lorsque l'imputation s'adresse aux dépositaires, ou aux agens de l'autorité, et où elle concerne les actes ou les faits de leur administration. La vie privée des fonctionnaires publics n'appartient qu'à eux-mêmes ; leur vie publique appartient à tous. C'est le droit, souvent le devoir de chacun de leurs concitoyens de leur reprocher publiquement leurs torts et leurs fautes publiques; l'admission à lą preuve est indispensable par cette considération,

« L'on punira plus sévèrement la calomnie et l'injure contre les hommes revêtus du pouvoir, et ceux-ci, à leur tour, seront d'autant plus fermes dans la ligne du devoir, que si leurs méfaits ne peuvent échapper à un impartial jury, au jugement du pays, ils trouveront aussi dans les tribunaux les vengeurs certains de leur honneur offensé, »

Enfin le troisième projet de loi, présenté dans cette même séance, est relatif aux journaux et écrits périodiques, qu'il affranchit de la censure exercée sur eux jusqu'à ce jour, mais qu'il sou¬ met à fournir un cautionnement pour servir de garantie au paiement des amendes qu'ils pourraient encourir en vertu des lois précédentes et qui les assujettit à la formalité de depôt, mais sans arrêts

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