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vraie, sérieuse, infatigable, sait surmonter les plus grands obstacles et découvrir des mondes que l'on croyait à jamais disparus. JOAN BOHL.

J'ai l'honneur d'offrir à la Classe, de la part de M. Napoléon de Pauw, premier avocat général près la Cour d'appel de Gand, membre de la Commission royale d'histoire et de l'Académie royale flamande, un exemplaire de l'ouvrage qu'il vient de publier sous le titre : Ypre jeghen Poperinghe (Gent, Siffer, 1899).

C'est le recueil des documents relatifs au conflit qui surgit, au cours du XIVe siècle, entre l'une des trois grandes villes de la Flandre et sa modeste voisine, au sujet de la fabrication du drap. On sait quel rôle jouaient au moyen âge les privilèges en matière économique; nos grandes communes, qui ne devaient leur puissance qu'à leur prospérité industrielle, entendaient conserver pour elles seules le monopole de la fabrication et étouffaient sans pitié toute tentative de concurrence. C'est ainsi que Poperinghe s'était vu dénier le droit de tisser et de vendre des draps de qualité supérieure, les seuls qui fussent recherchés à cette époque.

Dès 1322, le comte Louis de Nevers avait reconnu le privilège d'Ypres, mais à plusieurs reprises, et chaque fois que l'occasion s'en présentait, Poperinghe avait essayé de briser les entraves qu'on lui imposait; en 1348, une sentence arbitrale des trois grandes villes de Flandre avait condamné ses prétentions; en 1372, nouvelle tentative pour secouer ce joug accablant. C'est à ce dernier épisode que se rapportent les pièces fort intéressantes que met au jour M. de Pauw; on y entend les plaidoyers des deux parties.

Les défenseurs des intérêts de Poperinghe faisaient appel au droit naturel, à la liberté du commerce, à l'égalité des communes et aussi aux droits acquis par un long usage; les conventions antérieures n'avaient, disaient-ils, aucune valeur, car elles n'avaient été consenties que sous l'empire de la contrainte.

Ypres se fondait naturellement sur des titres moins abstraits, mais qui, à des hommes de loi, devaient paraître plus solides : c'étaient les traités plusieurs fois renouvelés et qui depuis un temps déjà bien long avaient assuré aux tisserands d'Ypres leur précieux monopole.

L'ensemble des pièces mémoires justificatifs, répliques, dupliques, etc., constitue un volumineux dossier, aussi intéressant pour le juriste que pour l'historien. M. N. de Pauw y a ajouté une série d'actes qui sont de nature à éclairer le débat (chartes des comtes de Flandre relatives aux franchises économiques des grandes communes, sentences arbitrales, etc.), puis des extraits des comptes de Gand, de Bruges et d'Ypres relatant les dépenses qu'ont occasionnées les tentatives faites par Poperinghe pour reprendre sa liberté.

Le fort écrasant le faible, c'est un drame qui se répète tous les jours en ce monde, et nous aurions mauvaise grâce à juger le passé avec trop de sévérité quand le présent lui-même est si chargé d'iniquités.

LÉON VANDERKINDERE.

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J'ai l'honneur de présenter à la Classe une brochure de M. le docteur Jorissenne, intitulée Les types ethniques des nations civilisées et spécialement en Belgique (Liége, Gothier, in-8°).

M. Jorissenne a voulu, en s'appuyant sur les données de la science anthropologique, étudier les caractères distinctifs de la race wallonne et de la race flamande en Belgique. Il consacre à l'hérédité et à la tradition, qui en est la forme intellectuelle vulgaire, des pages où se dénotent un observateur consciencieux et un érudit. Il reconnaît que l'analyse des traits psychologiques, par cela même qu'elle est trop complexe, « ne fournirait pas » à l'heure actuelle des arguments indiscutables, si exacts » qu'ils fussent » (p. 28), et il ajoute judicieusement : « ...trop d'idées communes aux pays civilisés effacent les >> contours des caractères, le livre a trop nivelé les plans » de l'humanité après les immigrations et les guerres, » pour que nous puissions inférer de ces généralisations » qu'il y a des races et des variétés en présence ». Aussi s'est-il préférablement adressé à l'étude du folklore et à celle des caractères physiques.

Je n'ai pas la compétence nécessaire pour apprécier les résultats que les mensurations et des observations plus rapides de M. Jorissenne lui ont permis d'obtenir à ce dernier point de vue. Il a constaté que dans une ville où le mélange des races s'est effectué dans des proportions assez considérables, c'est-à-dire à Liége, sur 1,248 personnes, 80% étaient orthognathes, 8 % prognathes, et que le reste était du type anelcognathe, suivant une dénomination qu'il propose, ou, si l'on veut, que ces 12 % offraient << l'aspect diamétralement opposé à celui du pro>> gnathisme >>.

A Bruxelles, la proportion est autre : on a 53 % d'orthognathes, 46 % de prognathes et 1 % d'anelcognathes. Enfin, dans un village de Campine, M. Houzé avait observé un nombre proportionnel de prognathes encore supérieur. M. Jorissenne croit trouver dans l'examen des

noms des personnes une confirmation de ces chiffres; mais je me hâte d'ajouter qu'elle me paraît bien chancelante. Si même on en fait abstraction, il reste d'ailleurs vraisemblable que la résorption du type flamand, déjà si accentuée à Liége, est plus complète encore dans la banlieue industrielle, notamment à Grivegnée et à Chênée, où nous tombons à des moyennes respectives de 0.55% et de 6.56% de prognathes dans le sexe féminin (pp. 47-49).

Les caractères moraux sont-ils aussi bien dessinés dans chacune de nos races? Le folklore ressemble à la statistique on lui fait dire plus et moins selon l'occurrence. M. Jorissenne a montré beaucoup d'ingéniosité dans les déductions que lui a fournies cette matière élastique. Au surplus, il n'a voulu qu'indiquer une voie, et il a sagement fait. Ce qu'il écrit au sujet des renseignements historiques que nous ont légués les anciens, est plein de circonspection. Il a toutefois, je le crains, fait la part trop belle et trop maigre à la fois au germanisme; trop belle dans l'étiquetage des peuplades qui, lors de la conquête romaine, occupaient notre territoire; trop maigre dans l'évaluation de l'héritage mental que ces peuplades nous ont légué. Qu'il n'oublie pas que l'ancien français de Paris comptait 10 % de mots francs, alamans, visigothiques, norois, et que dans le nombre il y avait des verbes d'usage quotidien et, en proportion relativement énorme, des adjectifs exprimant des qualités dont la vie de tous les jours implique la détermination à toutes les heures et pour tous. Qu'il n'oublie pas non plus que la royauté française est germanique, que notre ancienne épopée l'est aussi et qu'il résulte des admirables recherches de M. Courajod que l'apport des Germains a été décisif dans l'évolution monumentale de la Gaule celtoromaine. Nous voilà donc loin de cet « étouffement bar

baresque » (p. 18) dont M. Jorissenne semble se satisfaire pour clore un procès qui n'est qu'à peine engagé.

J'ai cru ne pouvoir présenter cette brochure sans des réserves qui sont tout à l'honneur du sérieux de son auteur, puisqu'elles sous-entendent qu'il est du petit nombre de ceux qu'on discute, en un domaine où le dilettantisme sévit lamentablement. Mais je veux indiquer sa conclusion; elle me paraît essentiellement contenue dans ces lignes de la page 52: « Le brachycéphale domine en » nombre (en Wallonie); l'orthognathe tend à devenir >> anelcognathe; le cerveau wallon recueille et transmet >> une force ethnique que le cosmopolitisme de la politique, de la littérature, des lois et du commerce ne >> parvient pas à neutraliser. »

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Les dernières pages de la brochure de l'honorable médecin sont d'un intérêt actuel; il y plaide la cause d'un particularisme bien entendu, plus encore qu'il ne croit à la persistance du type de race. On sent, dans son langage, un noble désir de convaincre; ce que M. Jorissenne défend, c'est « la nuance individuelle, la nuance » de race, la nuance qui nous révèle ce que nous ne >> pouvions trouver nous-même sous notre angle person» nel ». Mais il y a plus de chaleur que de foi dans cette péroraison, et l'auteur, par l'accent même avec lequel il signale l'urgence de certaines enquêtes morales et physiques, nous semble n'être qu'à demi rassuré sur la pérennité de la matière observable. En fait, le XXe siècle, plus encore que le nôtre, ne sera-t-il pas le siècle de l'internationalisme et du mélange des races?

M. WILMOTTE.

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