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M. A.-D. Xénopol, membre de l'Académie royale de Roumanie, professeur d'histoire à l'Université de Jassy, s'est déjà distingué par son Histoire des Roumains de la Dacie Trajane, couronnée par l'Académie française. J'ai l'honneur d'offrir en son nom à la Classe des lettres un autre ouvrage : Les principes fondamentaux de l'histoire (Paris, E. Leroux, 1899). C'est un livre plein d'idées neuves, dont on apprécie les grands mérites, même en ne les examinant que dans un très bref résumé.

L'idée fondamentale sur laquelle repose l'étude de M. Xénopol, c'est la distinction, bien établie et précisée pour la première fois, entre les faits coexistants et les faits successifs. I considère comme coexistants

par extension de ce terme tous les phénomènes qui se répètent continuellement, sans changements importants, lors même que cette répétition s'accomplit dans le cours du temps, comme par exemple la rotation et la révolution sidérale de la terre.

Sur les faits coexistants, le temps n'a pas de prise, quoiqu'il soit parfois nécessaire à leur production. Les faits successifs, au contraire, sont soumis à l'influence transformatrice du temps; ils changent continuellement de forme et ne se ressemblent jamais parfaitement, ni dans leur apparition l'un à la suite de l'autre, ni dans ceux qui se développent parallèlement. Les faits coexistants peuvent être formulés en lois de production, ou plutôt de reproduction; ils peuvent toujours être prévus et prédits; les faits successifs, au contraire, étant toujours différents, ne se laissent qu'enchaîner dans des séries longitudinales les séries historiques; ils ne peuvent jamais être prédits. Tout ce à quoi l'on peut s'attendre, c'est de reconnaître, d'après la direction du développe

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ment suivi jusqu'à une époque donnée, celle que les faits, inconnus en eux-mêmes, poursuivront dans l'avenir.

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A ces deux ordres de faits correspondent deux classes de sciences les sciences théoriques ou sciences de lois et les sciences historiques. L'histoire en effet n'est point une science particulière; voilà pourquoi aussi les philosophes ne savent où il faut les classer.

L'histoire est un mode de conception du monde, le mode successif, en regard du mode coexistant. Tous les objets de la connaissance humaine peuvent être étudiés historiquement. Il est absolument faux de considérer les sciences naturelles comme des sciences de lois et de faire de l'histoire la science des phénomènes spirituels. L'esprit comme la matière présentent une partie immuable qui se répète toujours.

La nature, d'autre part, a suivi un long développement avant de fixer ses formes matérielles avec l'apparition de l'homme.

Depuis, la force créatrice de la nature s'est transportée dans le domaine de l'intelligence, et elle en tire maintenant des formes de civilisation, d'une façon tout aussi mystérieuse qu'elle tirait auparavant des formes organiques nouvelles de son inépuisable sein.

S'il n'y a plus de danger aujourd'hui de confondre, pour la nature, les faits successifs avec les faits coexistants, attendu que la nature ne produit plus que de ces derniers, pour le domaine de l'esprit, au contraire, la confusion peut toujours subsister, l'esprit donnant naissance, encore de nos jours, aux deux ordres de faits.

C'est dans cette confusion que sont tombés tous les sociologues qui veulent établir aussi, pour le développement de l'esprit, des lois de production des phénomènes,

dans le genre des lois de la physique, de la chimie, de l'astronomie, etc.

Les lois sont des manifestations de l'action des forces de la nature à travers les phases de l'existence. Lorsque les dernières prennent aussi une forme générale, comme cela arrive dans la coexistence, les phénomènes sont régis par elles. Lorsque, au contraire, les circonstances changent continuellement, comme cela arrive dans la succession, l'action constante de la force travaillant sur des circonstances toujours différentes, donne naissance à un autre genre de régularités longitudinales: les séries.

M. Xénopol examine dans un long chapitre toutes les lois qui ont été formulées par les sociologues, les statisticiens, les philologues, et démontre que toutes sont fausses ou bien ne correspondent pas à l'idée de loi.

Il arrive à la conclusion que chaque série de développement constitue un fait unique, qui ne se reproduit plus jamais d'une façon identique.

L'ouvrage contient, en dehors de cette discussion, une foule d'autres idées, des plus importantes, sur le développement de l'histoire, ainsi que la démonstration complète et pleinement prouvée de son caractère scientifique.

Il fait connaître la différence qui distingue la civilisation actuelle de celles qui l'ont précédée, et il explique pourquoi notre âge n'est pas, comme on le prétend, un åge de décrépitude et de dégénérescence, mais bien un âge de jeunesse où une nouvelle vie s'est fait jour.

JOAN BOHL.

J'ai l'honneur d'offrir à l'Académie, au nom de S. E. le Grand-Commandeur napolitain, don Pasquale Garofalo, duc de Bonito, marquis de Camella, baron de Cairano, son dernier ouvrage : Intorno Sibari e Turio qualche memoria.

L'auteur, dont les œuvres philosophiques: Sintesi o Genesi di Scienza, Il Conte di Sarno, Letteratura e Filosofia, etc., sont très remarquables, a réussi, à la suite de longues et laborieuses recherches archéologiques et historiques, à répandre de nouvelles lumières sur les origines et l'histoire d'une ville célèbre de la haute antiquité.

Sybaris, quoiqu'elle n'ait subsisté que 212 ans, compte parmi les cités les plus connues. Malheureusement, jusqu'ici, elle a dû cette célébrité à sa mauvaise réputation. Depuis vingt-cinq siècles, on qualifie de Sybarites tous ceux que l'on veut stigmatiser comme des modèles de la plus effrénée luxure.

Le duc de Bonito nous trace le tableau d'un tout autre peuple. Après avoir établi que Sybaris a été fondée, non par les Achéens, comme on l'a cru généralement jusqu'à ce jour, mais par les Pélasges, l'an Ier de la XVe olympiade, et détruite ab imis fundamentis par les Crotoniates l'an III de la XVII olympiade, l'auteur fait observer judicieusement qu'une cité qui n'a existé que depuis 720 jusqu'à l'an 500 avant l'ère chrétienne, n'aurait pu acquérir en si peu de temps une renommée universelle de puissance et de civilisation, si elle n'avait eu une population laborieuse et intelligente. Muni de documents d'une autorité supérieure, dédaignant les légendes mal fondées, utilisant les sources scientifiques des Grecs et des Latins, il prouve que, loin de mener une vie molle et

somptueuse, les Sybarites s'appliquèrent aux arts et aux sciences, au commerce et à l'industrie.

Les institutions gouvernementales et religieuses de l'antique cité, ses lois et ses relations commerciales dénotent une activité et une énergie qui firent de Sybaris la plus célèbre cité de la Grande-Grèce. Grâce à des efforts gigantesques, les Sybarites construisirent un port de mer et d'autres travaux publics prodigieux, dont peu de villes antiques pouvaient se glorifier.

Sans doute, l'opulence a exercé à Sybaris son influence néfaste sur la moralité, mais les peuples voisins étaient infiniment plus adonnés aux vices qui entraînent la perte des nations.

Ainsi que le démontre péremptoirement le duc de Bonito, ce ne furent ni la corruption, ni la mollesse, mais les dissensions politiques qui causèrent la ruine de la magnifique cité.

Les richesses scientifiques accumulées par l'auteur dans son livre ne sauraient se résumer dans une notice succincte. Pour juger de leur étendue et de leur valeur, il suffit de constater qu'il a détruit les calomnies qui depuis des milliers d'années ont terni la gloire de Sybaris.

L'ouvrage, aussi intéressant qu'instructif, relate ensuite la fondation de Turii sur les ruines de la ville saccagée, et se termine par la version italienne du XIIe livre du Banquet des Sophistes, écrit inédit, dont le grammairien grec Athénée dotait le IIIe siècle avant notre ère.

C'est au travail important du duc de Bonito que peut s'appliquer la sentence: Magna est veritas et prævalebit. Il a dissipé les ténèbres séculaires qui enveloppaient Sybaris; et, par ses études patientes et persévérantes, la vérité triomphante témoigne de nouveau que la science

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