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qu'il avait toute chance de vie et de durée. Notre existence nationale, celle du royaume des Pays-Bas, du grand-duché de Luxembourg et même de la Suisse, pourraient être invoquées à l'appui de cette proposition, et, pour emprunter une comparaison astronomique, il semble que ces petits États indépendants soient comme les débris planétaires de l'astre qui avait sa place entre l'Allemagne et la France.

L'histoire des quatre-vingts ans qui s'écoulent entre le traité de Verdun et la conquête définitive de la Lotharingie par Henri l'Oiseleur, est en somme le récit du drame aux multiples épisodes, d'où dépendra le sort de cette terre à demi romane, à demi germanique.

M. Parisot a su grouper dans une synthèse claire et vivante les innombrables documents qu'il devait mettre en œuvre; non seulement il n'a pas négligé un seul texte, un seul acte contemporain, mais il a recueilli et discuté les appréciations de tous les écrivains passés ou présents qui se sont occupés de cette époque, et cependant il a su éviter la sécheresse et la confusion qui pouvaient résulter d'un aussi énorme amas de matériaux. Le récit est toujours intéressant; les figures historiques se détachent avec netteté, et notamment cet infortuné Lothaire II, en faveur duquel j'aurais voulu toutefois de la part de l'auteur un peu plus d'indulgence. Le fils de Lothaire er et sa chère Waldrade demeureront, quoi qu'il en dise, des personnalités sympathiques par la constance même de leur amour, et la persécution dont un Pape les accable n'est pas faite pour diminuer notre pitié.

Je ne puis suivre M. Parisot dans l'exposé de tous les problèmes qu'il discute. Je note seulement qu'il a démontré, de façon péremptoire à mon sens, que

Régnier ler ne fut jamais duc de Lotharingie, et que son fils Giselbert n'acquit ce titre qu'après l'occupation du pays par le roi allemand (pp. 601 et 613). C'est là un résultat important dont nos historiens devront désormais tenir compte.

La partie géographique a été traitée par M. Parisot avec un soin particulier et une rare compétence; l'étude des pagi et l'identification des noms de lieux auront fait, grâce à lui, des progrès considérables.

Le livre se termine par un coup d'œil sur les institutions politiques de la Lorraine pendant la seconde moitié du IXe siècle et le premier quart du Xe.

En résumé, c'est une œuvre brillante et forte, qui fait le plus grand honneur à l'École de Nancy. Elle nous révèle un historien de premier ordre, admirablement préparé aux tâches les plus difficiles. Espérons qu'il poursuivra ses recherches et qu'il saura éclaircir les commencements si obscurs du duché de Haute-Lotharingie.

LÉON VANDERKINDERE.

DÉSARMER, C'EST DÉCHOIR; par Léon Chomé,
directeur de la Belgique militaire.

Avec la brochure dont M. Léon Chomé fait hommage à notre Classe, nous voici bien loin des rêves pacifiques du tsar Nicolas II dont on s'entretient au Congrès de La Haye.

Lorsque fut publié, il y a près d'un an, le rescrit impé

rial, M. Chomé fit entendre une note discordante dans le concert dithyrambique qui accueillit en Europe l'initiative, aussi inattendue qu'humanitaire, de Nicolas II.

Se ralliant aux idées du général Lewal qui, dans sa Chimère du désarmement de 1897, estime que ceux qui prennent pareille initiative, font en réalité œuvre aussi nuisible dans le fond que généreuse dans la forme; rappelant en même temps le mot si dur du maréchal de Moltke, que « la paix universelle est un rêve, et pas même un beau rêve », M. Chomé disait que la « jolie page de rhétorique » (sic) envoyée le 26 août 1898 à tous les gouvernements par le comte Mouraview, au nom de son auguste maître le Tsar, «< donnait une médiocre opinion du jugement et de l'expérience de celui qui l'avait signée». Il s'étonnait qu'il se fût rencontré en Russie des hommes d'État susceptibles de se laisser guider par « les chimères du Tolstoïsme » Tolstoi soutient, dans son livre La Guerre et la Paix, que la guerre est un fait contraire à la raison et à la nature humaine tout entière.

M. Chomé, qui défend vigoureusement dans la Belgique militaire dont il est le directeur, et dans d'autres. publications, la thèse du service personnel, n'avait pu constater sans colère que c'était en Belgique que la proposition de désarmement rencontrait le plus de sympathies.

Il insiste aujourd'hui sur ces sympathies, qu'il regrette profondément.

Son travail Désarmer, c'est déchoir - il en convient

est provoqué surtout par l'attitude de ces Belges qui, dit-il, « de tous les peuples qui couvrent la surface du globe, sont ceux qui tressèrent au Tsar le plus de cou

ronnes et lui brûlèrent la plus grosse quantité d'encens ». Vous êtes perdus, si vous désarmez! leur crie-t-il. Et il développe cette pensée avec une netteté qui ne recule ni devant les reproches les plus amers, ni devant les attaques les plus âpres. Maints passages écrits à l'emportepièce et d'ailleurs bien documentés sont de ceux qui font penser. Nous sommes certain que les moins disposés à partager les opinions de M. Chomé ne feront pas difficulté de louer l'habileté de son exposition et la vigueur de son style, deux qualités qui ne sont pas communes en Belgique.

L'auteur, qui frappe fort, ne frappe pas toujours juste naturellement.

Qu'il ne croie pas au désir sincère de désarmement chez quelques gouvernements, qu'il nie la possibilité de la fin de la guerre, qu'il mette en doute l'efficacité du tribunal d'arbitrage: c'est son droit. Mais il dépasse la mesure, par exemple, quand il ne veut voir dans les partisans de la paix perpétuelle que des « représentants de la dégénérescence humaine, auxquels Lombroso et Max Nordau auraient dù consacrer un chapitre dans leurs écrits sur la psychiatrie »; ou encore, lorsqu'il qualifie de « fadaises » les efforts des hommes qui préconisent l'arbitrage entre les nations.

Par ces exagérations, il s'expose à détruire l'effet d'une organisation étayée généralement sur des preuves d'ordre historique et politique d'une valeur incontestable.

Entraîné par son ardeur de polémiste, M. Chomé en est arrivé, à la fin de son travail, à pousser un cri de guerre contre les peuples asiatiques dont le développe

ment économique lui paraît constituer pour l'Europe un danger épouvantable. Au lieu de désarmer, l'Europe devrait, dit-il, organiser une campagne contre le péril jaune.

Une nouvelle croisade... rien que cela!

L'invasion économique des Jaunes est-elle déjà tant à redouter pour l'Europe? Un de nos savants confrères, qui trouve M. Chomé bien pessimiste sous ce rapport, nous faisait remarquer qu'après tout, l'Europe aurait aisément raison de cette invasion en imitant les États-Unis et en renforçant ses barrières douanières, dussent les principes du libre échange en souffrir.

Le danger des Jaunes pourrait provenir peut-être de leur multiplication. Si grande que soit l'Asie, elle ne suffira pas toujours à les sustenter, et alors, comme les barbares de jadis, ils déborderaient en Europe.

Pour se défendre, que l'Occident reste armé, soit!

Mais M. Chomé est d'avis qu'il vaut mieux prendre l'offensive et aller attaquer les Jaunes chez eux, plutôt que de les attendre chez nous.

Il prêche sa croisade avec une chaleureuse conviction, mais il sait bien qu'il en sera pour ses frais de prédication. Nous ne sommes pas, quant à nous, de ceux qui se convertiront à cette doctrine par trop moyen-âgeuse.

ERNEST DISCAILLES.

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