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société et la tranquillité publique, que le prince, en sa qualité de souverain, chef de l'Etat, ainsi que de protecteur de l'Église, ne peut permettre à qui que ce soit de statuer, sans sa participation, sur des matières d'une aussi grande importance (1). » Le droit pour l'autorité civile de s'ingérer dans les affaires du culte fut-il jamais proclamé avec plus de hauteur et une précision si ferme pendant le règne de Joseph II?

Si, réalisant nos souhaits, M. Hubert nous donne un jour l'histoire des dernières années du règne de Joseph II, il dira, comme nous le disions il y a vingt-sept ans, que « du gouvernement de Marie-Thérèse à celui de son fils il n'y a, en matière religieuse, qu'une distance bien faible...; la plupart des mesures auxquelles l'Impératrice donna son assentiment contenaient en germe les réformes plus radicales de son fils...; la forme sauva le fond... » Et puis, le clergé des Pays-Bas avait dans la mère, très catholique et très aimée, plus de confiance que dans le fils, trop imbu, disait-on, par ses précepteurs de l'esprit philosophique du temps.

Quoi qu'il en soit, les prétentions hautaines de MarieThérèse dans le règlement des affaires du culte, forment, avec les hésitations de son fils au début du règne, un contraste qui rend d'autant plus piquante la lecture des chapitres XIII et XIV du Mémoire de M. Hubert. A ce propos, nous regrettons non moins vivement que l'auteur, que les archives du Vatican ne lui aient pas fourni une

(1) C'est le 2 septembre 1768 (voy. Les Pays-Bas sous Marie-Thérèse, p. 173, que l'Impératrice envoya au prince Charles la dépêche contenant les principes qu'elle avait ainsi établis pour servir de règle à ses tribunaux et à ses magistrats dans les affaires ecclésiastiques.

moisson aussi abondante que les archives de Belgique, d'Autriche, de France et de Hollande (1).

La correspondance du nonce Busca avec le cardinal secrétaire d'État Pellavicini est « à peu près muette >> sur les projets de réformes ecclésiastiques attribués à l'Empereur en 1781.

M. Hubert, après un résumé synthétique de l'immense besogne accomplie par Joseph II en 1781 et des travaux dont il a jeté les bases au cours de ce voyage, conclut que l'Empereur a déployé alors toutes les qualités de son esprit et de son cœur; que le voyage « fut une entreprise sérieuse qui met en relief son ardeur incomparable au travail, sa réelle sagacité, sa fiévreuse passion du bien public ». Il le venge des injustes accusations de ceux qui n'ont voulu voir dans le « touriste impérial » qu'un brouillon aux idées préconçues, touchant à tout pour tout bouleverser à la légère.

Il termine sur cette phrase que nous faisons notre : « Pour nous, nous sommes arrivé à cette conviction que Joseph II est celui de tous nos souverains qui, depuis le XVIe siècle, s'est le plus sérieusement et le plus nettement préoccupé d'accomplir les écrasants devoirs de sa charge. >>

(1) Pour celles de la Hollande, il y a aussi quelques lacunes mais elles sont moins importantes. Du reste, il n'a pas dépendu de la patience de M. Hubert qu'elles fussent comblées. Elles l'eussent été, s'il avait pu consulter les archives particulières de quelques vieilles familles du pays.

La longue liste des manuscrits et des imprimés consultés par M. Hubert atteste la peine qu'il s'est donnée pour écrire ce Mémoire qui fera excellente figure dans notre collection de Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers.

C'est un travail parfaitement ordonné (1), écrit dans un style simple et clair, et supérieurement documenté.

N'affirmant rien qu'il ne prouve, M. Hubert donne en annexe de nombreuses pièces justificatives qui ne constituent pas le moindre intérêt de son remarquable travail.

Si la Classe décide l'impression du Mémoire, on pourrait, selon le vœu de M. Hubert, reproduire en phototypie la médaille frappée en 1781 à l'occasion du voyage de Joseph II aux Pays-Bays et dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles. >>

Rapport de M. V. Brants, deuxième commissaire,

« J'ai reçu avec quelque surprise la communication du Mémoire de M. Hubert. Nommé commissaire à la séance d'avril, à laquelle je n'avais pu assister, je n'avais pu faire remarquer que je n'ai jamais fait du XVIIIe siècle

(1) L'Introduction, où l'auteur renseigne les dépôts et les savants qu'il a plus particulièrement consultés, donne une idée intéressante de la façon dont il a conçu son travail et dont il l'a mené.

une étude spéciale qui m'appelât à cette fonction. Force m'est donc de l'exercer tant bien que mal. Cette période cependant mérite une étude compétente; elle est malheureusement de celles où les jugements impartiaux sont rares. L'auteur, bien qu'il formule parfois, même nettement, ses appréciations, a montré le souci du document objectif : il a recherché avec une persévérance appréciable les pièces éparses dans des archives diverses; il les analyse dans son Mémoire et, par surcroît, en reproduit un nombre assez important sous forme d'annexes.

Le personnage historique dont il s'occupe est, vous le savez, Joseph II; mais il n'apparaît devant nous que pendant une courte période de sa vie : le voyage de 1781 dans nos provinces. On ne peut certes faire grief à un auteur de limiter la « période » de ses recherches; les monographies les plus instructives procèdent de ce système fragmentaire. Mais il faut se garder du danger de juger le personnage d'après une « tranche » de sa vie. Si, à certains égards, le Joseph II de 1781 peut faire pressentir celui de 1787, si, sur certains points, ses traits même sont fixés, il en est d'autres, et certes non des moindres, qui s'accuseront énergiquement; il en est même qui en 1781 apparaissent à peine. C'est une réflexion qui s'impose à l'observateur le plus superficiel. Les idées, les traits, peuvent se saisir en germe, surtout à titre rétrospectif, mais l'état aigu du Joséphisme n'est pas encore déclaré. C'est ce début que le voyage nous fait connaître; et puisqu'il est parlé dans le rapport du premier commissaire de l'état pathologique de 1787, je dirais volontiers, pour rester dans le même style, que nous observons sa pathogénie. Le germe en est bien connu; il porte le nom de Fébronius, et à cette époque

même, tout le monde l'appelait par son nom. L'auteur du mémoire le déclare très net le programme de Joseph est fébronien, et il l'estime tel dès 1781. Les manifestations en sont multiples, et l'état est chronique. L'entourage du prince ne le retient pas, alors, dans cette voie; Kaunitz et Stahremberg ont les mêmes tendances, à des degrés divers, et dans les pièces annexées, on en trouve certaines preuves, si besoin en était. C'est assez dire que je ne partage pas les appréciations favorables de l'auteur du Mémoire pour son héros, et moins encore les chaudes sympathies que lui témoigne M. le premier commissaire. Je ne marchande pas à l'Empereur le témoignage qu'il fut actif et laborieux, je lui reprocherais plutôt de l'être trop et de l'être mal. Et ici, l'auteur et le premier commissaire ne méconnaissent pas que dans son intempérance de « réformes », Joseph Il a compromis même le succès de celles qui eussent mérité un meilleur sort.

Autant je suis hostile aux modifications qui introduisent le système fébronien dans le régime de nos États, autant je vois avec faveur certaines améliorations de l'ordre commercial ou judiciaire que l'Empereur voudrait introduire dans un régime défectueux. Là même cependant, l'auteur et le premier commissaire blâment la précipitation et la violence du prince, son dédain des engagements constitutionnels. Ils ont raison, sans doute, de l'en reprendre, mais sur ce terrain, je n'ai aucun motif de ne pas exprimer mon regret qu'il n'eût pas été plus sage et plus habile. Joseph a observé les institutions de nos provinces en 1781. A-t-il oublié d'observer les hommes? N'a-t-il donc pas vu que ses sujets des Pays-Bas n'accueilleraient pas avec enthousiasme ses réformes, et que pour les faire agréer, il devait user de persuasion?

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