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celle de 1 à 12. Aujourd'hui, sur une population de 8 millions d'âmes, il y a près de 7 millions de catholiques,environ 700,000 protestants de l'église établie, et 5 ou 600,000 presbytériens et méthodistes. Les revenus de l'église établie sont évalués à plus de 800.000 liv. sterl. ou 20 millions. M. Ward calculait aussi que l'État donne pour les frais d'éducation des protestants 15 shillings par tête; pour les presbytériens, 1 shilling par tête; pour les catholiques, rien. Comment s'étonner que le haut clergé irlandais ait fait quelquefois des fortunes scandaleuses; que l'archevêque d'Armagh, mort en 1822, et qui était pauvre quand il avait été nommé, ait laissé 300,000 liv. sterl. ou 7 millions 500,000 fr.; que l'évêque de Clogher ait laissé 250,000 liv. sterl. ou 6 millions 250,000 fr.? Pendant ce temps, le peuple catholique soutint par des contributions volontaires un clergé composé de 4 archevêques, 23 évêques, 983 prètres de paroisse, et 1,340 curés. Comment croire qu'une pareille situation puisse se perpétuer? Les Irlandais ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient il y a seulement un siècle, et ceux que Swift appelait «< des scieurs de bois et des porteurs d'eau » sont devenus un peuple.

M. Ward proposait, en terminant, d'établir l'égalité des cultes et de payer proportionnellement le clergé des différentes communions sur la dîme. On avait mis en avant le

projet de payer le clergé catholique sur les fonds de l'État ; mais, dans la situation actuelle des finances, il était impossible de croire que la législature voulût voter un budget de plus de 10 millions qui serait nécessaire pour l'entretien des évêques et des prêtres. Le moyen le plus simple serait done que l'État disposât de la propriété de l'Église protestante qui, en dehors des traitements des évêques, produit un revenu de plus de 13 millions de francs, dont le clergé protestant recevrait environ 2 millions, les presbytériens 2 autres millions, et les catholiques le reste.

La motion de M. Ward, qui n'avait été qu'un prétexte à des discussions nouvelles, fut retirée par son auteur (3 août).

Ce fut là le dernier débat important sur les affaires d'Irlande pendant cette session. Si dans la Chambre des lords (10 août) lord Brougham vint proposer un bill spécial pour la suppression des réunions séditieuses, le lendemain sir Robert Peel déclara dans la Chambre des communes que le gouvernement était complétement étranger à cette proposition et qu'il n'avait en aucune façon l'intention de l'appuyer. Lord Brougham retira lui-même sa motion.

C'est dans ces circonstances que le Parlement fut prorogé et que fut prononcé par la reine ce discours qui indiquait une intention fermement arrêtée de refuser toute concession à l'Irlande (Voy. le chap. précédent, session législative).

Cette déclaration émut les esprits en Irlande et même en Angleterre. Le jour même de la prorogation, une manifestation grave fut faite à Londres, par un certain nombre de membres irlandais de la Chambre des communes. Vingt-neuf d'entre eux publièrent un appel au peuple de la GrandeBretagne. Les signataires y demandaient l'égalité religieuse, politique et civile des deux peuples, et déclaraient que, tant qu'elle ne serait pas accordée, l'Irlande continuerait salutte contre l'injustice et l'oppression, Parmi les noms placés au bas de ce manifeste on ne rencontrait pas ceux de MM, Sheil et O'Ferrall, qui avaient rempli des fonctions importantes dans l'ancienne administration: mais on y voyait ceux de M. Grattan, fils du célèbre Henri Grattan; du fils de lord Stuart; du fils de lord Carew; de John O'Connell, fils; d'O'Connor, communément appelé l'O'Connor Don, chef de la famille de ce nom qui régnait sur toute l'Irlande avant la conquête; de M. Wyse, membre du conseil privé, elc.

O'Connell comprit bien vite le parti qu'il pouvait tirer du discours royal et la nécessité de calmer l'excitation qui en avait été le résultat. Mettre à couvert aux yeux du peuple irlandais le nom vénéré de la reine et accuser le ministère d'avoir cherché à semer la désaffection parmi des populations fidèles, telle fut sa tactique. Ce discours, il n'hésitait pas à le

proclamer, ce discours était le comble de l'impudence jointe à la stupidité. Mais ce discours n'était pas le discours de la reine : c'était l'œuvre des ministres qui le lui avaient imposé; la reine n'était pas libre.

Au reste, par une coincidence remarquable, au moment où le ministère annonçait ses intentions répressives, O'Connell, de son côté, entrait dans une voie nouvelle d'organisation légale de la résistance et publiait son plan de restauration de la législature irlandaise.

Voici le texte même de ce curieux document qui prouve jusqu'à quel point, par des détails remplis de réalité, l'agitateur cherche à donner une forme saisisable, une sorte d'organisation anticipée à cette chimère du Rappel.

Plan pour le renouvellement du Parlement irlandais.

• ARTICLE 1er. Le peuple irlandais reconnaît maintenant, et il conservera toujours et soutiendra sur le trône de l'Irlande S. M. la reine Victoria (Dieu la protége!), reine en vertu d'un droit certain et par descendance héréditaire de l'Irlande, ainsi que tous ses héritiers et successeurs à toujours. Le peuple d'Irlande reconnaît, maintient et il conservera toujours et soutiendra toutes les prérogatives de la reine et de ses héritiers et successeurs, appartenant et inhérentes à la couronne impériale d'Irlande. Il conservera une fidélité pure, sans partage et indivisible à la Reine, à ses héritiers et successeurs à toujours.

Art. 2. Le peuple d'Irlande reconnaît et il maintiendra et conservera à toujours le privilége héréditaire et personnel des pairs d'Irlande, ainsi que l'autorité législative et judiciaire de la Chambre des Lords irlandaise, et l'exercice de la prérogative dans l'augmentation et la limitation de la pairie, dans la même condition où le droit existait avant l'année 1800.

Art. 3. Le peuple d'Irlande insiste avec fermeté sur le rétablissement de la Chambre des Communes d'Irlande, composée de trois cents représentants du peuple irlandais.

» Art. 4. Voici le plan de rétablissement du Parlement irlandais: 1. Les membres de comtés seront portés à 173 de la manière ci-après specifiée; 2o il y aura 127 membres élus par les villes et les cités de la manière ci-après mentionnée ; 3. le comté de Carlow étant le seul comté d'Irlande qui compte moins de 100,000 habitans aura une augmentation de 1 membre, de manière à avoir 3 représentants: tout autre comté ayant plus de 100,000 âmes de population aura une augmentation de 2 membres. Tout comté dont la popu

lation sera de plus de 150,000 âmes aura une augmentation de 3 membres. Pour tout comté dont la population excédera 250,000 âmes, l'augmentation sera de 4 membres. Le comté de Tipperary, qui a plus de 400,000, et moins de 500,000 âmes de population, aura une augmentation de 8 membres. Le comté de Cork, dont la population dépasse 700,000 âmes, aura une augmentation de 10 membres.

« Art. 5. Quant aux villes et cités, on propose que Dublin, qui compte plus de 200,000 habitants, ait huit représentants : quatre pour les parties au nord du Liffey, et quatre pour les parties au Midi. L'Université de Dublin continuera, d'après son système électoral actuel, d'envoyer deux membres. On propose que la ville de Cork, qui a plus de 100,000 habitants, ait cinq membres; que la ville de Limerick et la ville de Belfast, qui comptent respectivement plus de 50,000 habitants, envoient chacune quatre membres. On propose que la ville de Galway et les villes de Waterford et Kilkenny, qui complent respectivement plus de 20,000 habitants, envoient chacune trois membres au Parlement; que d'autres villes comptant environ 7,000 habitants envoient chacune deux membres au Parlement, et que 19 autres villes venant immédiatement après sous le rapport de la population envoient proportionnellement chacune un membre. Un relevé des diverses places qui devront envoyer des représentants au Parlement irlandais indiquera les populations relatives. Le nombre des membres envoyés par chacune des villes est indiqué au tableau. La population est évaluée d'après le recensement de 1831, qui, ayant été fait pour un tout autre objet et sans aucune connexité avec le rappel de l'Union, fournit une échelle d'une impartialité non douteuse.

» Art. 6. On propose que le droit de voter soit ce qu'on appelle le household suffrage, exigeant six mois de résidence dans les comtés, et de plus, dans les villes, les hommes mariés ayant une résidence de douze mois seraient électeurs, qu'ils fussent ou non tenanciers.

» Art. 7. On propose que le mode d'élection pour les membres du Parlement soit au scrutin secret.

» Art. 8. Le monarque de facto d'Angleterre, à toutes les époques désormais, quel qu'il puisse être, sera monarque de jure en Irlande; et en cas de régence future, le régent de facto d'Angleterre sera régent de jure d'Irlande.

» Art. 9. L'alliance avec l'Angleterre et l'Irlande, par le moyen de la puissance, de l'autorité et des prérogatives de la Couronne, sera perpétuelle et non susceptible de changement, ni d'aucune distraction ou séparation.»

» Le plan qui précède sera mis en pratique conformément à la loi reconnue et au strict principe constitutionnel.

Ann. hist.pour 1843.

Signé, par ordre, Daniel O'Connell, président

de la commission. »

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On le voit, ce plan est complet et habilement étudié : ce n'est pas l'œuvre d'un factieux, mais d'un législateur. O'Connell veut introduire le scrutin secret dans les élections, réforme désirée par les radicaux, mais que repoussent les tories. Il admet à la représentation nationale les protestants, même les évêques: mais, les sept-huitièmes de la population étant catholiques, il est certain que la majorité établie sur une pareille base appartiendrait, comme cela est juste, à la véritable race irlandaise.

Le discours de l'agitateur proposant son plan à l'association de Dublin fut calme, mais menaçant. Appel y était fait à la noblesse d'Irlande et même aux ennemis du Rappel. O'Connell rappelait à l'Angleterre comment elle perdit ses colonies d'Amérique, et invitait les hommes d'État à réfléchir sur la situation. Quelques jours auparavant il avait, dans le meeting de Tara-Hill, un des plus imposants de la campagne, préparé la manifestation du projet de parlement en déclarant nulle et non obligatoire l'union législative de 1800. Du haut de cette colline sacrée, lieu choisi pour l'élection des anciens rois d'Irlande, O'Connell prit à témoin plus de 500 mille hommes réunis à sa voix et leur cria: « Que ceux qui croient l'union nulle lèvent la main. » Tous la levèrent (1).

L'association ordonna, par acclamation, l'impression et la distribution du plan de réorganisation du parlement irlandais. Le lendemain O'Connell revint sur un autre plan dont on a déjà parlé, celui d'un système général d'arbitrage. Ce système devait mettre un terme aux abus onéreux des procédures actuelles, mais surtout rendre inutile la justice officielle, le peuple irlandais devant lui préférer une magis

(1) Après ces scènes dramatiques, O'Connell n'oublie jamais d'appuyer les motions ardentes de l'agitateur sur la science du légiste. Il rappela qu'en 1800, à l'époque de l'Union, les plus savants jurisconsultes de l'Irlande, wighs ou tories, Saurin, Bushe, Plunkett, Henri Grattan, avaient déclaré que l'acte d'union u'était en aucune façon obligatoire, et que l'Irlande pourrait le considérer comme tel le jour où elle en aurait la force et la volonté.

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