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L'activité et la tactique de Narvaez et de Concha avaient imprimé au mouvement plus d'unité et d'ensemble, et une vigueur nouvelle en présence desquelles le régent commençait à perdre confiance. Narvaez, au lieu de se porter directement sur Espartero, qui avait ses campements à Albacette, et de risquer un combat imprudent contre des forces supérieures, se dirigea par Murviedo sur Segorbe et de là s'élança au secours de la ville de Terruel, bloquée par Enna. La première rencontre qu'il eut avec l'ennemi fut un succès signalé par le triomphe de l'insurrection à Terruel; par là les communications d'Espartero avec l'armée du nord étaient rendues à peu près impraticables. De Terruel, Narvaez précipita sa marche sur Catalayud, où la même fortune l'attendait. Cette tactique avait fait une diversion utile aux insurgés de Catalogne. Arrivé à Catalayud, le jeune général avait laissé croire que son plan était de marcher sur Sarragosse, où était le centre des opérations de l'armée du nord: mais un projet plus grand se présentait à son esprit. Plusieurs fois, depuis le commencement de l'insurrection, des bruits qui paraissaient avoir de la consistance avaient fait craindre que le régent n'eût la pensée de faire enlever de Madrid la jeune reine. Dans le vœu des monarchistes et dans les intérêts de l'insurrection, il était de première importance qu'un tel dessein ne fût pas réalisé. Narvaez songea à mettre la personne royale à l'abri de telles éventualités. Le général Aspiroz était maître de la Vieille-Castille et pouvait marcher sur Madrid. Narvaez se concerta avec ce général et se mit en devoir de le suivre à peu de jours de distance sur la route de la capitale. Il avait également pris ses mesures pour être protégé par le général Serrano et les insurgés de Catalogne. Narvaez se mit donc en marche : il fut bientôt poursuivi par les troupes de Seoane et de Zurbano; mais Serrano se déployait sur leurs flancs et les tenait en échec. Aspiroz arriva le premier devant Madrid, qui refusa de lui ouvrir ses portes. Narvaez ne tarda pas à opérer sa jonction ;

toutefois, la présence des deux généraux ne put encore obtenir de la municipalité de Madrid que de simples promesses de neutralité. Cependant Seoane approchait de la capitale. Le 22 juillet, les deux armées se rencontrèrent à Torrejon, et, après un engagement d'un quart d'heure, elles fraternisèrent. Le général Seoane et le fils de Zurbano furent faits prisonniers ; Zurbano parvint à s'échapper. Jusque là Madrid, que le régent avait eu soin de déclarer en état de siège (11 juillet), était resté fermement attaché à sa fortune. Sitôt que la nouvelle de l'engagement de Torrejon fut connue, les dispositions de la municipalité changérent; elle reconnut l'autorité de la victoire et fit sa soumission au gouvernement provisoire. Narvaez entra le 23 dans Madrid, et le 24, le ministère Lopez, déjà reconstitué par la junte de Barcelone, entra en fonctions. Sarragosse suivit l'exemple de Madrid et reconnut le gouvernement. Plusieurs garnisons de Catalogne, qui tenaient encore pour le régent, se rendirent, et le commandant du fort Montjuich ne tarda pas à prendre la même résolution.

Dans le midi, les choses étaient moins avancées: le général Concha avait quitté Valence en même temps que le général Narvaez, et le 3 juillet il se trouvait à Malaga, où il fut nommé commandant en chef des troupes. Il se dirigea immédiatement sur Grenade, où il s'attendait à trouver les esprits disposés à les recevoir; l'événement répondit à son attente, et les forces qui se joignirent à lui lui permirent de s'aventurer sur Séville (13 juillet), dont la résistence au régent devait décider du succès de l'insurrection dans le midi. C'est là, en effet, que Van-Halen allait porter toute son action; c'est de ce côté que le régent plaçait son dernier espoir. Van-Halen avait eu d'abord pour mission de pacifier Grenade, mais l'insurrection de Séville lui avait enlevé son point d'appui. De Grenade, où il avait échoué, il s'était porté sur Jaen et se disposait à agir sur Séville. Maître de ce point, on pouvait l'être de l'Andalousie, et c'est presque tou

jours là, dans les derniers temps, que s'est décidé le sort des divers gouvernements de l'Espagne. D'ailleurs, dans l'hypothèse alors toute probable où il faudrait se retirer devant l'insurrection, il importait d'avoir une issue sur l'Océan et une route sûre pour y arriver. Van-Halen, après avoir cu de fréquentes escarmouches, mais presque toutes insignifiantes, se dirigea de Cordoue et de Carmona vers Séville: il avait reçu des autorités de Carmona, où il se trouvait le 7 juillet, des témoignages rassurants; mais Séville montra d'autres dispositions et refusa de lui ouvrir ses portes; il se retira à peu de distance de cette ville sur la route de Cadix, où il attendit de l'artillerie qui devait lui venir de ce côté ; mais il apprit bientôt que cette artillerie s'était prononcée au sortir de Cadix.

Cependant Espartero, que la situation des affaires dans le nord avait promptement effrayé, et qui n'avait pu sans de grands dangers chercher une rencontre avec l'ennemi, s'était décidé le 8 juillet à quitter Albacette, pour opérer avec Van-Halen la jonction dans laquelle il plaçait son dernier recours. Il s'avança par Balazotte, Lezuza, sur Cordoue où il se présenta le 16. Le 20 il rejoignait Van-Halen devant Séville, prêt à en commencer le siége; et, en effet, le 21, au moment où Narvaez et Aspiroz allaient décider des affaires du nord devant Madrid, la capitale de l'Andalousie était livrée à toutes les horreurs d'un bombardement. Mais aussitôt après l'événement de Torrejon, seize bataillons, six cents chevaux et quelques batteries furent envoyés par le gouvernement central au secours de Concha, qui n'avait pu encore arriver devant Séville.

Le bombardement continua jusqu'au 28 juillet et causa d'immenses désastres, qui ne purent cependant affaiblir l'héroïque résolution des assiégés. On vit avec effroi se renouveler les horreurs dont Barcelone avait été l'année dernière le théâtre. Séville obtint dans cette lutte douloureuse l'admiration de l'Espagne et du monde. Espartero n'y trouva

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qu'une défaite honteuse et définitive qui fut le terme de sa carrière politique (1). En effet, sitôt que l'arrivée de Concha fut connue, le régent, abdiquant tout espoir, toute ambition, et ne songeant plus qu'à sauver sa liberté et sa vie, donna le signal de la retraite sur le port Ste-Marie, près Cadix, qui tenait encore pour lui. Concha se mit à sa poursuite avec quelques détachements de cavalerie. Mais il n'atteignit que les débris de troupes fugitives qu'il poussa devant lui jusqu'à soumission. Espartero s'était jeté sur un bateau qui le conduisit à bord d'un vaisseau anglais prêt à faire voile pour la Grande-Bretagne.

Ainsi s'écroulait une de ces hautes fortunes que les révolutions seules peuvent élever et qui ne sont point toujours méritées. La chute était honteuse comme elle était terrible, et aucune pitié ne pouvait s'attacher à cette catastrophe. Espartero ne trouva de sympathie que dans les intérêts anglais dont il s'était constitué l'esclave. L'espagne s'applaudit de la conduite qu'elle venait de tenir, et la France ne put que s'associer à la joie causée par le renversement d'un pouvoir qui lui était hautement hostile.

Le général Espartero ne montra que de l'obstination sans grandeur. Avant de quitter le rivage Espagnol, il adressa à ses concitoyens un manifeste dans lequel il cherchait à se justifier par des protestations emphatiques, et persistait à se considérer comme régent d'Espagne (Voy. cette pièce aux documents historiques).

(1) Tous les rangs de la population rivalisèrent d'ardeur et renouvelèrent le spectacle des héroïques efforts de la guerre d'indépendance. Voici une lettre adressée au capitaine-général Figueras, commandant de Séville, par un vieillard, l'évêque des Canaries:

« Excellence, désirant occuper le poste qui m'appartient dans les dangers dont se trouve menacée cette immortelle cité, je viens vous offrir mes services personnels dans les ambulances qui ont été préparées pour les blessés. Dieu garde voire excellence! Séville, le 15 juillet.

JOSÉ TADEO,

évêque des Canaries.

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CHAPITRE X.

Premiers actes du ministère. - Récompenses nationales.

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Manifeste du cabinet. Décret de convocation des Cortès. Dissolution de la municipalité de Madrid. - Réduction des juntes provinciales à l'état de juntes consultatives. Décrets relatifs aux mines d'Almaden et aux contrats passés avec le régent. — Discours de M. Lopez à la reine, sur la majorité de S. M.-Décret qui proclame la déchéance d'Espartero. Demande d'une junte centrale. - Refus du ministère.- Insurrection.-Manifeste du cabinet. Élections. - État des partis. Ouverture des Cortès. Nomination du président. - Présentation du projet de loi pour la majorité de la reine. -Interpellations adressées au ministère. - Discussion de la loi de majorité. Vote de la loi. — Prestation de serment.— Décret de la reine pour le maintien du ministère. —Vote de remerciements du congrès au ministère.-Soumission de Sarragosse et de Barcelone.-Continuation de l'insurrection à Figuières.- Retraite du cabinet.-Ministère Olozaga. Projet de loi sur les municipalités. Reconnaissance des grades et décorations accordées par le régent. - Questions personnelles entre le président du conseil et les généraux Serrano et Narvaez.-Présentation à la reine d'un décret de dissolution. - Résistance de la reine. - Conduite d'Olozaga. - Destitution du président du conseil.-Chute du cabinet.-Ministère Gonzalès Bravo.- Déclaration de la reine. -Discussion. — Vote d'un message à la reine. —Fuite d'Olozaga. — Ajournement des Cortès.-Décret pour la réorganisation des municipalitės.— Rappel de l'ex-régente.-État des partis.

Le ministère Lopez reprit avec fermeté l'exercice du pouvoir. Son premier soin fut de réorganiser le personnel de la haute administration et de placer à tous les postes élevés des hommes d'un dévouement bien connu au nouvel ordre de choses. On les choisit indistinctement parmi les progressistes et les modérés. Le héros de l'insurrection, Narvaez, fut promu au grade de lieutenant-général des armées nationales

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