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lentes lettres de M. Arago. (Documents historiques, France, partie non officielle.)

Une autre lutte, tout autrement importante, fut celle que soutint l'Église contre l'Université.

L'année dernière, à propos du cours de philosophie de M. Ferrari, professeur à Strasbourg, avaient surgi, ou plutôt s'étaient réveillés d'anciens dissentiments entre le clergé et le corps enseignant. Quelques concessions faites à l'Eglise, l'interdiction d'un professeur désigné à ses châtiments immérités, ne firent qu'accroître les prétentions et les plaintes. Dans un discours de félicitations adressé au roi, à l'occasion de sa fête, M. l'archevêque de Paris s'était fait, quoique avec plus de mesure, l'écho de ces plaintes et de ces espérances. Un refus d'insertion du discours dans le journal officiel fut comme un blâme tacite de cette manifestation au moins intempestive. Mais l'élan était donné et l'exemple fut suivi, sans modération, sans prudence.

Bientôt la question changea: la querelle privée devint une querelle politique et les réclamations du clergé furent formulées par ces mots. Liberté de l'enseignement. Liberté illimitée, sans contrôle, sans surveillance de l'autorité; droit de tenir école accordé aux petits séminaires, aux congrégations réligieuses, telles furent les prétentions affichées par l'Église : accusations d'immoralité, d'athéisme et d'impuissance dirigées contre le corps enseignant, tels furent les moyens employés par elle. Quelques écrits, entre autres, le Catéchisme de l'Université, le Monopole Universitaire par M. Desgarets, chanoine de Lyon, le libelle intitulé Restauration d'un collége par un chanoine d'Albi, se firent remarquer par la violence des attaques et par des imputations contraires à la vérité. M. l'archevêque de Paris dut intervenir dans la querelle et désavoua par un blâme énergique l'inconvenante polémique du chanoine Desgarets, plus faite pour déconsidérer l'Église que pour rallier à elle les esprits modérés et de bonne foi.

Mais, en même temps, dans ses Observations sur la controverse élevée à l'occasion de la liberté de l'enseignement, M. l'archevêque de Paris réservait tous les droits prétendus de l'Église et, dans un style plein de convenance et de mesure, se faisait l'organe des sentiments du clergé. L'État, selon M. l'archevêque, est incapable de poser les bases de l'enseignement, et l'Université, dont le caractère est purement administratiť, ne peut représenter l'État pour l'essence même de l'enseignement.

On le voit, la question n'avait pas changé par l'interven tion du chef de l'Église française: elle avait seulement grandi de toute l'autorité de son nom, de toute la modéra tion de ses paroles.

Cependant l'État s'apprêtait à répondre par un projet de loi sur l'instruction secondaire à ces prétentions dangereuses, et la session de 1844 allait montrer à leur tour le gouvernement et les Chambres intervenant dans la question.

Vers la fin de l'année, la lutte s'envenima encore par quelques attaques imprudentes. L'évêque de Chartres, M. Clauzel de Montals, et M. l'évêque de Châlons, M. de Prilly, ne craignirent pas de compromettre, dans l'arène du journalisme, le caractère sacré de l'épiscopat, et M. de Prilly se livra, dans le journal l'Univers, à des attaques si peu mesurécs contre l'Université, à des menaces si fâcheuses, que le gouvernement dut intervenir. Il le fit par une déclaration d'abus (8 novembre) dont nous avons donné le texte dans la partie officielle des documents historiques, France. Cet appel comme d'abus, fiction légale, anachronisme qui ne répond à rien dans notre législation actuelle, ne pouvait avoir qu'une influence très-limitée sur la conduite ultérieure du clergé. La lutte n'en fut pas moins vive et, à la fin de l'année, les esprits sérieux, amis de l'influence véritable et de la dignité du clergé français, en étaient à regretter que l'Église descendit de sa haute position pour se constituer en parti politique.

(Voy., à la fin de l'Annuaire, à l'article Variétés, un historique complet de la question, au point de vue religieux et philosophique, suivi d'un examen de toutes les brochures publiées par les deux partis, et du rapport au Roi de M. Villemain, sur l'état de l'instruction secondaire. Quelques-unes des pièces du procès ont été données in extenso aux documents historiques, France, partie non officielle.)

Il ne nous reste plus à consigner que quelques événements heureux ou malheureux, mais sans rapport direct avec la politique générale. Nous avons raconté, dans un autre chapitre (voy. Colonies), le sinistre affreux qui frappa la Guadeloupe vers le commencement de l'année. Déjà la pitié publique avait apporté un remède, encore insuffisant peut-être, aux misères horribles causées par ce désastre, quand une double fête de l'industrie vint rassurer les esprits par des promesses fécondes d'un plus heureux avenir. Les deux premiers chemins de fer d'une importance réelle que possède la France furent ouverts à la fois (2 et 3 mai) à la circulation publique (Voy., pour les détails des inaugurations, la petite Chronique, et, pour l'appréciation des travaux et des résultats, la Chronique des travaux publics).

La fin de l'année vit se terminer les préparatifs d'une ambassade commerciale en Chine. Bien que les éléments d'échange entre les deux pays n'aient qu'une importance secondaire, cependant il est juste de dire que la France ne devait pas rester en arrière, au moment où toutes les nations s'apprêtaient à exploiter, dans la mesure de leurs intérêts et de leur puissance, les débouchés nouveaux qu'a créés le traité de commerce entre la Chine et la Grande-Bretagne.

On put regretter, toutefois, que les premiers rapports entre la France et ce monde nouveau fussent inaugurés par un début fàcheux. Une discussion déplorable s'éleva (juillet) entre M. le comte de Ratti-Menton, consul

général de France en Chine, et M. Dubois de Jancigny, parti en 1841 avec une mission extraordinaire. M. de RattiMenton eut le double tort de provoquer le débat et de le rendre public. Sept mois avant l'arrivée, à Macao, du consul général, un journal, l'Aurora Macaense, avait compris, par erreur, M. de Jancigny dans la liste des personnes attachées au consulat de France. M. de Jancigny, qui était alors occupé à jeter les bases d'un traité commercial avec les autorités chinoises, et qui était, d'ailleurs, parfaitement étranger à l'assertion erronée du journal de Macao, fit offrir à M. de Ratti-Menton de le renseigner sur les personnes et sur les choses. M. de Ratti-Menton ne répondit à cette offre qu'en accusant, dans le journal de Macao, M. de Jancigny d'usurpation de titres, en le menaçant des articles 258 et 259 du Code pénal, et en faisant une distinction intempestive entre les agents sérieux et non sérieux. M. de Jancigny, de son côté, crut devoir menacer le consul gé néral d'un procès en diffamation. Le gouvernement mit fin, par le rappel des deux agents, à cette malheureuse affaire, qui fournissait une preuve nouvelle du danger des missions spéciales et des attributions de pouvoirs mal définies.

Si maintenant nous cherchons, après l'avoir jugée par des faits, à juger la situation par des chiffres, nous verrons que l'état des impôts et revenus indirects constatait une augmentation réelle dans la fortune publique et dans le mouvement du commerce (Voy. les tableaux statistiques officiels). Si l'on n'était pas encore arrivé à l'équilibre si désirable du budget, au moins, et M. le ministre des finances l'avait hautement déclaré, on pouvait s'attendre à réaliser cet équilibre après le règlement définitif de l'exercice 1844. Les crédits supplémentaires, même les crédits extraordinaires tendaient à disparaître du budget, puisque les prévisions avaient été calculées au maximum des dépenses et au minimum des recettes. Enfin, si rien d'im

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prévu ne venait s'opposer à la réalisation de ces espérances, la France aurait bientôt soldé son arriéré et aurait accompli avec une admirable confiance un vaste ensemble de travaux productifs.

Ann. hist. pour 1813.

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