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pièce. Il suffira de l'analyser pour donner une idée du plan de la tragédie de M. Legouvé. Les premières scènes sont consacrées au développement des projets de Henri IV contre la maison d'Autriche. On remarque avec peine beaucoup de sécheresse dans ces détails, qui auroient pu donner lieu à de grandes beautés poétiques. D'Epernon et l'ambassadeur d'Espagne annoncent ensuite leurs sinistres projets. Marie de Médicis paroît alors sur la scène, inquiète, comme on l'a vu, de l'absence de son époux. D'Epernon vient augmenter son trouble: il lui fait croire que Henri IV est amoureux de la princesse de Condé, et que cette princesse, retirée à Bruxelles, est l'unique cause de l'entreprise du roi. Médicis trop crédule, ajoute foi aux calomnies de d'Epernon; cependant elle exige une preuve que le duc promet. Aussitôt qu'elle voit son époux, elle éclate contre lui en reproches outrageans, et le quitte en furenr. Le roi effrayé de cet orage, au point qu'il ne sait plus où il est, et qu'il n'ose plus affronter un nouvel entretien, prie Sully de remettre la paix dans son intérieur. Cependant Henri a conçu quelques soupçons contre l'ambassadeur d'Espagne: il charge le duc d'Epernon de veiller sur lui; ensuite il renouvelle à Sully la prière de voir et d'apaiser la reine. Sully y consent, à la condition que le roi ne s'engagera plus dans de nouvelles amours.

Jusqu'ici le caractère de Médicis est odieux; la scène qu'elle a eu avec son mari a donné d'elle l'idée la plus défavorable. Sully paroît; il rappelle sa souveraine aux sentimens de douceur et de modération qui conviennent à son sexe; il réveille dans son cœur l'attachement pour un époux qu'elle a mal-àpropos outragé, et parvient à la calmer entièrement. Dans cette scène, le poète fait renaître l'intérêt en faveur de cette princesse. Elle nous a paru la meilleure de la pièce; elle annonce une grande connoissance du cœur humain : ménagée avec art, elle montre l'empire qu'un homme vertueux et raisonnable sait prendre sur une femme passionnée.

D'Epernon, instruit du succès de Sully, se croit perdu. Cependant il lui reste des moyens pour renoner l'intrigue.

Henri IV profite du moment de repos qui lui est accordé, pour se livrer à ses projets de bienveillance envers son peuple. C'est là que l'auteur a cherché, mais en vain, à rendre en termes nobles le souhait du prince qui vouloit que chaque paysan eût la poule au pot le dimanche. Ce repos de Henri IV ne dure pas long-temps. D'Epernon revoit la reine; il s'est procuré une lettre sans adresse et sans date, que le roi avoit autrefois écrite à mademoiselle d'Entragues. Il la montre à la reine, et lui fait croire qu'elle vient d'être adressée à la princesse de

Condé. Cette lettre contient une promesse de mariage. La colère de Médicis se porte au dernier degré de rage: d'Epernon profite de ses transports, et lui arrache la permission de faire mourir le roi. Cette scène, fondée sur un moyen invraisemblable, puisqu'il ne peut se faire que la date et sur-tout l'adresse manquent à un billet de ce genre écrit de la main d'un roi; cette scène a des rapports avec celle d'Egisthe et de Clytemnestre de la tragédie d'Agamennon. Par une combinaison bien extraordinaire, pour ne pas dire plus, la reine consent au plus grand des crimes, au meurtre de son époux, en priant Dieu dans une église.

Tandis que l'ambassadeur d'Espagne et d'Epernon s'applaudissent du succès de leur complot, le roi paroît et les congédie. Il reste avec Sully, et bientôt des pressentimens affreux l'agitent. Cette scène vraiment tragique, a encore l'avantage d'être puisée dans l'histoire. Henri IV sort pour aller à l'Arsenal. D'Epernon reparoît, et semble avoir quelques regrets de son crime: l'auteur a vainement cherché à l'ennoblir, en feignant qu'un de ses motifs est de venger Biron justement condamné comme traître. La reine revient dans le plus grand désordre; elle veut sauver la vie de Henri IV. D'Epernon, sur qui le coup est porté, feint de lui obéir, et d'aller arrêter l'assassin. Bientôt Sully vient raconter le mort de son maître. Médicis égarée, avoue la part qu'elle y a eue; le ministre lui promet le secret, et sort en lui disant :

Adieu. Bien loin de vous je vais pleurer mon roi;

Vous, madame, régnez.

On voit, par l'analyse rapide de cette tragédie, que le caractère de Henri IV n'y est pas traité. Il est dans une situation toujours passive: presqu'aucun des beaux traits de sa vie n'y est rappelé. L'auteur n'a puisé dans les Mémoires de Sully que les détails de ses querelles avec la reine, qui, comme nous l'avons déjà observé, n'ont rien de bien héroïque. Si M. Legouvé eût voulu peindre Henri IV noblement, il auroit pu trouver dans les Mémoires de Cayet, les sentimens que ce grand prince savoit exprimer avec dignité quand l'occasion s'en présentoit. Dans ce recueil précieux, Henri IV a une physionomie que les historiens n'ont pas saisie avec assez de fidélité. Il est inutile de s'étendre sur les caractères de d'Epernon et de l'ambassadeur d'Espagne : le premier est un scélérat déterminé, auquel l'auteur n'a pas même donné l'attitude fière et brillante que lui attribue l'histoire; le second n'est qu'un intrigant subalterne, qui n'est là que pour exciter d'Epernon au plus grand des crimes.

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Nous terminerons par quelques détails sur le style de cette tragédie. C'est la partie à laquelle M. Legouvé a donné le plus de soin; et son mérite, sous ce rapport, doit désarmer la critique, et la rendre moins sévère sur les défauts essentiels de l'ouvrage. Cependant on ne peut s'empêcher d'observer que le naturel y manque souvent. L'auteur cherche trop les alliances de mots ambitieuses; on voit qu'il tâche et ce défaut, que M. de Voltaire reprochoit à M.Thomas, est encore plus repréhensible dans une tragédie que dans un éloge académique. Nous ne présenterons qu'un exemple de cette affectation, pour avoir ensuite le plaisir de citer quelques passages dignes du talent que M. Legouvé avoit annoncé dans la Mort d'Abel. Henri IV parle à Sully des chagrins que lui donne son épouse; il observe qu'elle est pieuse, chaste; et il ajoute ;

Mais elle méconnoît la douceur, la bonté,

Devoir d'un sexe aimable, et son autre beauté.

Cette dernière expression est recherchée, et s'éloigne de la noblesse du genre. Racine a eu l'occasion de parler de cette douceur qui répand tant de charmes sur le commerce des femmes et l'on va voir qu'il a pris un ton bien différent de celui de M. Legouvé. Dans Esther, Assuérus, au lieu de dire à la reine que sa douceur lui donne une autre beauté, lui parle ainsi :

Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grace
Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse,
De l'aimable vertu doux et puissans attraits!
Tout respire en Esther l'innocence et la paix.

Les vers qui suivent sont exempts de cette affectatien, et développent avec élégance et vérité la situation malheureuse de Henri IV:

Sa sagesse, en tous lieux par le peuple encensée,
Du soin de mon bonheur croit être dispensée :
Altière, elle se livre à des emportemens

Qui dans de longs débats consument nos momens;
Son silence lui-même est rarement paisible.
Hélas! mon cher Sully, sur ce trône terrible,
Où, du sein des partis qui l'avoient menacé,
Ma gloire m'appeloit et mon bras m'a placé,
Condamné sans relâche à cette vigilance
Que de leurs intérêts m'impose la balance,
Souffrant de ne pouvoir guérir qu'avec lenteur
Les coups qu'à la patrie a porté leur fureur,
Tourmenté des complots que l'étranger apprête;
Et sans cesse voyant suspendu sur ina tête
Le fer des assassins que j'ai deux fois trompé,
Et dont je sens qu'un jour je tomberai frappé;

J'avois besoin d'un cœur dont l'indulgence extrême
Consolât mes chagrins, m'arrachât à moi-même,
Et sût, dans un commerce aussi tendre que doux,
Du fardeau des grandeurs soulager un époux.
Je ne l'obtins jamais dans mon triste hymenée.
Ah faut-il qu'une chaîne au bonheur destinée,
Loin d'adoucir mes maux les rende plus affreux !
Peut-être que Henri méritoit d'être heureux !

Ce dernier trait est bien dans le caractère de Henri IV.

Nous avons dit que, sous les rapports héroïques, M. Legouvé avoit une seule fois trouvé le moyen de mettre son principal personnage dans une situation heureuse. La reine, qui soupçonne son époux de ne faire la guerre que pour enlever la princesse de Condé, lui propose de confier le commandement de l'armée à ses généraux, et de rester à Paris. Henri IV lui répond :

Le poste de la gloire est le seul de Henri.

Reine, de vos tourmens mon cœur est attendri;
Mais jugez-moi pour rendre à ma noble querelle
De tous mes alliés l'union plus fidelle,

J'ai du commandement promis de me charger.
La parole d'un roi ne doit jamais changer.
Voulez-vous qu'évitant de tenir ma promesse,
Je me laisse accuser d'une lâche foiblesse ?

D'ailleurs, quand mes soldats vont sur des bords lointains
Chercher de longs travaux et des périls certains,
Resterai-je paisible au sein de ma famille,
Comme ces rois couchés au trône de Castille,
Qui, captifs couronnés, dans un repos honteux,
Vivent loin des combats où l'on périt pour eux?
N'attendez pas de moi cet effort impossible.
Mes sujets à leurs pleurs m'ont toujours vu sensible;
Ils ne me verront pas, à leur sang étranger,
Leur prescrire un péril, et non le partager.
Je prétends affronter ceux que je leur apprête;
Et je cours triompher, ou mourir à leur tête.

Il eût été à desirer que le poète eût cherché à peindre son héros de cette manière dans tout le cours de sa tragédie. Il se seroit alors rapproché des grands maîtres, qui dédaignoient les situations romanesques, et qui avoient soin de choisir dans l'histoire tous les traits frappans propres à jeter de l'éclat sur leurs principaux personnages..

On voit avec peine que M. Legouvé n'a négligé aucune occasion de répandre de la défaveur sur la religion, dont il a l'air de confondre la doctrine avec les principes affreux des Ligueurs. Etoit-ce ce que l'on devoit attendre du poète qui a si bien peint dans le poëme du Mérite des Femmes, la tendre

charité que la religion inspire? Devoit-on attendre des déclamations irréligieuses de l'auteur des vers suivans

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Là, des femmes portant le nom chéri de sœurs,
D'un zèle affectueux prodiguent les douceurs.
Plus d'une apprit long-temps dans un saint monastère,
En invoquant le ciel, à protéger la terre;
Et vers l'infortuné s'élançant des autels,
Fut l'épouse d un Dieu pour servir les mortels.
O courage touchant! ces tendres bienfaitrices,
Dans un séjour infect où sont tous les supplices,
De mille êtres souffrans protégeant les besoins,
Surm ntent les dégoûts des plus pénibles soins;
Du chanvre salutaire entourent les blessures,
Et réparent ce ht, témoin de leurs tortures;
Ce déplorable lit, dont l'avare pitié

Ne prète à la douleur qu'une étroite moitié.

Et c'est à une religion dont M. Legouvé peignit ainsi les vertus surnaturelles, qu'il attribue aujourd'hui les crimes les plus noirs! On avoit lieu d'espérer que le poète qui dut son premier succès à un sujet religieux, ne se rangeroit pas sous les bannières des sophistes. Le chantre d'Abel ne pourroit que gagner à supprimer de sa nouvelle tragédie ces traits qui n'ont pas même le mérite d'être brillans et poétiques.

P.

Histoire de France, depuis les Gaulois jusqu'à la fin de la Monarchie; par M. Anquetil, de l'Institut national, et membre de la Légion d'Honneur. Quatorze vol. in-12. Prix : 42 fr. A Paris, chez Garnery, libraire, rue de Seine, ancien hôtel de Mirabeau ; et chez le Normant, imprimeurlibraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, no 17.

QUAND on a parcouru une longue carrière, et qu'on y a recneilli quelque gloire, ou du moins qu'on y est parvenu à tous les honneurs auxquels on pouvoit raisonnablement prétendre, pourquoi ne s'arrête-t-on pas? Un vieillard qui a illustré sa vie par de bons ouvrages, devroit-il penser à autre chose qu'à se reposer, et à jouir de la réputation qu'ils lui ont acquise? Sa lâche est remplie : qu'a-t-il besoin de se livrer à de nouveaux travaux ? Par son âge seul, et par les souvenirs qu'il rappelle, il est, pour la génération qui s'élève autour de lui, un objet assez respectable; et la juste considération dont il jouit, ne peut désormais avoir de base plus solide que

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