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monde, il fit, le 22 février 1617, devant les notaires du Châtelet de Paris, le partage de ses biens entre ses quatre enfants: 1o François, trésorier général des finances à Rouen; 20 Mathurin, conseiller au grand conseil; 30 Isabelle, femme de Charles Le Prevost, seigneur d'Oisonville en Beauce, greffier de la Chambre des comptes de Paris, intendant des affaires de la feue reine Marguerite; 4o Jeanne, épouse de Jean Le Picart, seigneur du Plessis et de Périgny, conseiller au parlement de Paris et commissaire des requêtes du palais. La veille, 21 février, Jean Sublet avait déposé son testament entre les mains des mêmes notaires(1). Ces devoirs accomplis, l'ancien maître des comptes alla se consacrer à Dieu sous l'humble livrée des chartreux. Il fit profession le dimanche suivant, 26 février (2), dans l'église du couvent de Notre-Dame de Vauvert-lez-Paris, à l'âge de soixante-quatre ans. Il vécut plusieurs années encore et eut, en 1630, la joie de déposer dans l'information relative à la vie et aux miracles de la bienheureuse Marie de l'Incarnation (3).

De tous les membres de la famille Sublet, le plus connu est certainement François, seigneur de Noyers et de la Boissière. Ce personnage, fils aîné de Jean Sublet de la Guichonnière, a, en effet, fixé depuis longtemps l'attention des historiens. Né le 14 mai 1589(4),

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(1) Bibl. nat., Cabinet des titres : carrés de d'Hozier, 587, fol. 270. Les Chroniques de l'Ordre des carmélites parlent longuement (t. I, p. 166-169) d'une religieuse morte en odeur de sainteté au couvent de Paris le 19 août 1619, dans sa trente-sixième année, et qu'elles appellent Mile Sublet (sœur Marie de la Miséricorde). D'après la notice qui lui est consacrée, cette religieuse, orpheline dès le bas-âge, aurait été mise d'abord, par ses frères et sœurs, dans un couvent peu régulier, qu'elle aurait quitté pour prendre l'habit des carmélites à Paris le 1er septembre 1608. Ce récit, qui se retrouve moins les noms de famille dans la Vie de la bienheureuse Marie de l'Incarnation par André Du Val (p. 205-211), contient de graves inexactitudes. La généalogie et le tableau mss. de la lignée des Sublet qui existent au Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale (dossiers bleus, 621: Sublet, fol. 23 vo) ajoutent aux quatre enfants de Jean Sublet nommés dans le partage de 1617 deux filles, religieuses feuillantines à Toulouse: Madeleine, née le 17 décembre 1584, et Marie, née le 15 mai 1588. Il est certain que les Chroniques ont voulu parler de l'une de ces deux filles, de la première si l'on se rapporte à l'âge indiqué, de la seconde, au contraire, si l'on ne considère que le nom de baptême. Ni l'une ni l'autre, d'ailleurs, n'était orpheline. Le P. Henry de Calais parle aussi (op. cit., p. 268) de ces deux religieuses feuillantines filles de Jean Sublet.

(2) Foi et hommage de la terre de Noyers fait aux chartreux de Paris par François Sublet le 2 mars 1617. (Expéd. Arch. nat., S. 4052.)

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(3) André Du Val, op. cit., p. 632. La généalogie ms. déjà citée dit à tort (fol. 22) qu'il mourut à l'âge de soixante-quatorze ans.

(4) Cette date, fournie par la généalogie ms. du xvi° siècle déjà plusieurs fois citée (fol. 22), concorde avec celle indiquée par des notes de la même époque conservées dans les Dossiers bleus (621, Sublet, fol. 38), lesquelles disent François Sublet âgé à sa mort de 56 ans 5 mois et 6 jours.

il était entré dans l'administration dès sa jeunesse, à l'exemple de tant de ses proches. Il possédait la charge de trésorier de France à Rouen quand il épousa, en 1613(1), l'héritière d'une famille de fonctionnaires de la Chambre des comptes, Isabeau Le Sueur, qui le laissa veuf après dix ans de mariage (2). Il fut admis ensuite au nombre des secrétaires de la chambre du roi et devint secrétaire des finances de Gaston de France, membre du conseil d'État et du conseil privé (3). Sur ces entrefaites, Bochart de Champigny, appelé en 1624 à la surintendance des finances, conjointement avec Michel de Marillac, manda près de lui son jeune neveu, qu'il aimait beaucoup (4), et lui fit exercer par commission les fonctions de contrôleur général à Paris. Zélé, intelligent, modeste, Sublet sut mériter cette faveur, et cinq ans après, lorsque le maréchal d'Effiat eut à son tour obtenu la surintendance, il se vit nommé à l'un des quatre postes d'intendant des finances. Se sentant autorisé dès lors à concevoir des ambitions plus hautes, il ne négligea aucune occasion de faire apprécier de plus en plus des qualités d'ordre et d'économie qui devaient être d'autant plus remarquées qu'elles contrastaient davantage avec le laisser aller habituel des bureaux.

Dès 1631, il peut se rendre compte de la confiance qu'il inspire. On l'envoie inspecter les places fortes de Picardie et de Champagne; deux ans après, c'est au Havre qu'il remplit pareille mission (5); puis on fait de lui un intendant d'armée, et, revêtu de cette qualité, il va rejoindre en Allemagne les troupes commandées par le maréchal d'Effiat. Son esprit sérieux et appliqué s'initie vite aux détails de l'administration militaire. Peu à peu, le comptable se double d'un ingénieur, et bientôt il reçoit pleins pouvoirs pour mettre en état toutes les fortifications de la frontière du nord. Sans perdre une minute, il fait exécuter partout à la fois d'importants travaux. « Le Havre de Grâce, Nancy, Metz, Verdun, Calais, Boulogne, Ardres, Montreuil, Abbeville, Amiens, Dourlens, Corbie, Péronne, Han, Saint-Quentin, Guise, Mézières et le Mont-Olimpe luy sont obligées, dit Fauvelet du Toc (6), de leurs plus beaux ouvrages

(1) Jal, Dictionn. critique de biographie et d'histoire, p. 1154. fut vraisemblablement célébré à Saint-Merry de Paris.

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(2) Isabeau Le Sueur était fille de Guillaume Le Sueur, seigneur d'Osny, et de Marie du Bouchet.

(3) 1621-1625. (Invent. des titres de famille, etc.)

(4) Lettres d'Arnaud d'Andilly, 1661, p. 100.

(5) Inventaire des titres de famille, etc.

(6) Histoire des secrétaires d'Etat, 1668, p. 292. L'article de Moreri sur François Sublet est le résumé de celui de Fauvelet.

modernes. » Sublet ne se fait toutefois aucune illusion sur la résistance que peuvent offrir les places picardes (1), et les douloureux événements de 1636, l'arrivée des Espagnols aux portes de Paris, l'affligent sans le surprendre. Mais le travail de ces quatre années 1632-1635 a été pour lui une épreuve décisive. On sait désormais ce que l'on doit attendre de cet esprit actif et soigneux, qui joint à une rare probité la discrétion et l'habileté du diplomate. Aussi est-il appelé immédiatement lorsque des intrigues de cour amènent, en février 1636, la retraite du secrétaire d'État de la guerre, Servien (2).

Le nouveau secrétaire d'État, qui a vu de près les défauts et les abus, va naturellement s'employer à les réformer. Son expérience, la confiance de Richelieu, l'estime de Louis XIII, lui font une situation à part et prépondérante. Il en profite pour « centraliser »> les affaires. Il s'occupe de tout, des fortifications et des enrôlements, de la discipline et des subsistances, des transports et des hôpitaux; il correspond sans cesse avec les officiers, cherche à introduire partout l'ordre et la méthode, s'efforce de pallier aux inconvénients d'un système de recrutement déplorable, et, instruit par la pratique, augmente le pouvoir et l'action des intendants d'armée (3). « Désormais, dit M. Schmidt, une chose nouvelle est apparue le contrôle de l'armée par le pouvoir civil. »

En 1638, le vieux M. de Fourcy, surintendant des bâtiments, vient à mourir. Richelieu songe encore et tout aussitôt à Noyers pour le remplacer; il demande au roi de ratifier son choix, et le roi le ratifie avec empressement (4). Là encore, l'administration de Noyers aura de nombreux et importants résultats. Les bâtiments royaux seront entretenus; le Louvre sera continué; les artistes recevront des commandes et des pensions; plusieurs même seront envoyés en Italie, car la mode est à l'antiquité, et Sublet se trouvera ainsi le premier et l'un des plus actifs artisans de cette « romanisation » de notre pays contre laquelle tonnait naguère le regretté Courajod. Ce fut également lui qui eut l'idée de faire revenir d'Italie Nicolas Poussin; il finit par y réussir; malheureusement, trompé par ses habitudes administratives, il ne sut pas donner carrière au

(1) Cette remarque est de M. Schmidt, dont il faut toujours avoir le travail sous les yeux quand on s'occupe de Sublet de Noyers.

(2) La commission de Sublet est du 16 février. (Invent. des titres de famille.)

(3) Voir M. Schmidt, p. 130, et aussi L.-N. Caron, Michel Le Tellier, son administration comme intendant d'armée en Piémont (1640-1643).

(4) Lettres de Richelieu à Louis XIII des 29 août et 2 septembre 1638. (Lettres, instructions diplomatiques et papiers d'Etat du cardinal de Richelieu, publ. par Avenel, t. VI, p. 125 et 134.) La seconde est une lettre de remercîment. La commission fut signée par Louis XIII le 13 septembre. (Invent. des titres de famille.)

libre et fier génie du grand peintre, et Poussin, désabusé, en butte aux tracasseries de ses rivaux, se hâta, aussitôt qu'il le put, de repasser les monts. Mais pour connaître tout ce que les arts doivent à l'initiative du surintendant, il faut lire surtout la touchante introduction placée par Roland Fréart de Chambray en tête de son Parallèle de l'architecture antique et de la moderne(1), dédié « à la très heureuse mémoire de monseigneur de Noyers ». C'est un panégyrique, mais, dit M. de Chennevières, un panégyrique « éloquent à force de tendresse pieuse »; c'est, en réalité, l'« histoire pleine de grandeur de la direction des arts sous Louis XIII ».(2)

Comme il pouvait s'y attendre, le secrétaire d'État de la guerre s'était fait des ennemis. Il servait trop fidèlement la politique autoritaire et rigoureuse de Richelieu pour que sa situation ne parût pas liée à celle du tout puissant ministre et destinée à périr avec elle. Aussi se montra-t-on surpris quand on vit Louis XIII le conserver après la mort du cardinal (4 décembre 1642). Rempli pour Noyers d'une confiance sans limites, se servant volontiers de lui pour ses affaires personnelles (3), Richelieu mourant n'avait pas négligé de le recommander une dernière fois au souverain. Sublet plaisait, d'ailleurs, à Louis XIII par ses habitudes de travail, sa piété et la régularité de ses mœurs. Un moment même, le secrétaire d'État de la guerre put croire qu'il allait prendre la place du cardinal. Peut-être, à cet instant, manqua-t-il de prudence, sinon d'habileté. Prévoyant la fin prochaine de Louis XIII, il chercha, dit-on, à se ménager, aux dépens de ses collègues, les bonnes grâces de la future régente; mais Mazarin veillait, et d'autres avec lui, qui n'avaient pas moins d'ambition. Connaissant le prix de la patience, mais naturellement irritable (4), Noyers ne sut pas supporter quelques observations de son maître, aigri, déjà malade et peut-être prévenu contre lui. Plusieurs fois, il offrit de se retirer. Un jour, on le prit au mot. Plus surpris qu'affligé, car cette disgrâce lui semblait un titre de plus à la bienveillance d'Anne d'Autriche, il n'en laissa rien paraître et partit, dès le lendemain, 11 avril 1643, pour sa terre de Dangu. On sent une inspiration commune dans les lettres officielles

(1) Paris, Edme Martin, 1650. In-fol.

(2) Ph. de Chennevières-Pointel, Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l'ancienne France, III, p. 131-132. Voyez aussi l'introduction aux Quatre livres de l'architecture d'André Palladio mis en françois par le même Chambray (Paris, 1650, in-fol.).

(3) Cf. Lettres et papiers d'Etat, t. VII, p. 60, 75, 86, 97, 104, 105, 140, 149. Richelieu choisit Noyers pour l'un des exécuteurs de son testament; les deux autres. furent le chancelier Séguier et Chavigny. (Cf. Arch. cur. de l'hist. de Fr., 2o sér., t. V, p. 362-387, et Arch. nat. R' 21.)

(4) Benjamin Priolo, Ab excessu Ludovici XIII de Rebus Gallicis, 1665, p. 13.

destinées à faire connaître l'événement : elles mentionnent uniformément les instances répétées de Noyers désireux de prendre sa retraite (1). Les apparences étaient ainsi sauvegardées, mais personne ne s'y trompa (2), et tout le monde vit là une victoire de Mazarin (3). Toutefois, Sublet conservait ses fonctions de surintendant des bâtiments et le titre de capitaine de Fontainebleau, dont le roi l'avait gratifié en 1637(4), et on ne l'obligeait pas même, comme Servien, à vendre sa charge de secrétaire d'État, que son successeur, Le Tellier, dut se contenter d'exercer d'abord par commission.

La solitude et l'oisiveté pesèrent vite à l'exilé, qui se repentit amèrement de son mouvement d'humeur lorsque, Louis XIII disparu, il se vit oublié de la reine-mère. Bientôt il ne put résister au violent désir d'aller de nouveau tenter la fortune. La régente, disait-on, était faible; autour de Mazarin s'agitait la foule des envieux et des ennemis: le moment paraissait favorable. Il fallut en rabattre. L'Italien, souple et rusé, avait su se rendre inattaquable. Trois mois durant (5), Sublet usa ses politesses et ses intrigues. Mazarin, qui le devinait, le paya de belles paroles, et malgré les instances de la Mère Jeanne Séguier auprès d'Anne d'Autriche, malgré les efforts du premier président Molé, ami de Sublet, celui-ci vit qu'il ne pourrait rien gagner et dut quitter Paris, mécontent et humilié (6) .

Ces démarches équivoques dévoilaient une singulière ambition et, si l'on en juge avec nos idées modernes, un manque de dignité pénible. Noyers eût volontiers accepté une ambassade (7); Retz (8)

(1) Cf. Lettres du cardinal Mazarin, publ. par Chéruel, t. I, p. 151-153 et 156, — et L.-N. Caron, Michel Le Tellier, p. 311-314.

(2) Voyez surtout Anecdotes du ministère du cardinal de Richelieu et du règne de Louis XIII, trad. de l'italien de Mercurio de Siri par M. de V..., 1717 (II, 307–324).

(3) Des vers fort mauvais « sur l'exil de Monsieur de Noyers » rimés par un contemporain (Bibl. de l'Arsenal, recueil Tralage, t. I, p. 430) attribuent positivement à Mazarin la disgrâce de Sublet.

(4) Fauvelet du Toc, op. cit., p. 293.

(5) Octobre-décembre 1643.

(6) Voyez surtout les Lettres de Mazarin (t. I, p. 392, 393, 453 et 505), avec les très intéressantes notes qu'y a jointes M. Chéruel. Gui Patin laisse entendre que les jésuites, qui devaient tant à M. de Noyers, étaient tout prêts à le desservir dans la disgrâce. (Lettres, éd. Réveillé-Parise, t. Ier, p. 340.) La lettre à laquelle nous faisons allusion porte la date du 21 octobre 1644. Faut-il supposer que Sublet fit alors une nouvelle tentative, aussi malheureuse que la première ?

(7) Victor Cousin, Des carnets autographes du cardinal Mazarin conservés à la bibliothèque impériale, 6o article (Journal des Savants, 1855, p. 34). M. Cousin s'est trompé en disant que Noyers « voulait bien se déclarer satisfait si on le nommait premier président ». Le texte italien des notes de Mazarin ne contient rien de semblable.

(8) Mém. (Coll. Petitot, 2o sér., t. XLIV, p. 145.)

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