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on ne comprend guère comment ces exceptions, qu'il appelle péremptoires du fond, et qu'il a grand soin de distinguer des moyens de défense proprement dits, peuvent avoir pour effet de détruire la demande, sans cependant entrer dans l'examen du mérite de cette demande.

Ainsi, on comprend très-bien que les exceptions qu'il appelle péremptoires dans la forme, expressions que le Code a bien fait de ne pas reproduire, on comprend très-bien que les exceptions péremptoires dans la forme n'entrent pas dans l'examen du mérite de la demande; par exemple, quand je provoque la nullité de l'exploit d'ajournement, attendu que l'une des formalités de l'art. 61 y a été omise, on comprend que cette discussion est tout à fait indépendante du point de savoir si, au fond, vous avez raison ou tort de m'attaquer.

Mais quand j'invoque ces prétendues exceptions qu'il appelle péremptoires du fond, quand j'allègue la prescription, une transaction, ou tout autre moyen de même nature, un de ces moyens qui détruisent la demande, comme l'avoue Pothier lui-même, on ne comprend guère comment il peut dire, en même temps, que ces moyens n'entrent pas dans le mérite de la demande. En un mot, on ne voit plus quelle distinction sera possible entre les exceptions péremptoires du fond, et les défenses proprement dites, que Pothier annonce en séparer.

Ainsi, par exemple, une action personnelle, la demande en remboursement d'un prêt est dirigée contre moi, une omission se rencontre dans l'exploit d'ajournement; j'invoque cette nullité aux termes de l'art. 173; je propose ce qu'on eût appelé autrefois une exception péremptoire dans la forme; il est clair que c'est là une simple exception qui laisse tout à fait intacts le mérite, la réalité du droit du demandeur. Que si, au contraire, à cette demande j'oppose que la dette est prescrite, si j'oppose l'un des moyens énumérés dans l'art. 1234 du Code Nap., il est clair que ce n'est plus là une réponse de pure procédure, mais que c'est bien là entrer dans le mérite, dans la réalité de la demande. Dire que la dette que vous prétendez contractée par moi envers vous a été prescrite, c'est soutenir qu'elle n'existe plus, c'est entrer par là même dans le mérite de la demande; car dire que votre créance est prescrite, dire qu'elle est éteinte, c'est soutenir qu'elle n'existe pas.

En résultat, on ne rencontre aucune différence réelle entre ce que les anciens appelaient exceptions péremptoires du fond, et ce qu'ils appelaient défenses proprement dites, défenses au fond. Dans notre droit, tous les moyens qui consistent à soutenir, dans une action personnelle, que la dette n'a jamais existé, ou bien qu'elle a été éteinte par un payement, par une prescription, par une compensation, par une transaction, tous ces moyens tiennent également au droit civil, tous ces moyens sont des défenses au fond, absolument étrangères, dans leurs principes et dans leurs résultats, à la matière qui nous occupe.

Si j'ai cru devoir vous parler de cette locution que le Code ne reproduit pas, d'exceptions péremptoires, subdivisées en exceptions péremptoires dans la forme, et exceptions péremptoires quant au fond, c'est pour vous bien avertir que la première de ces locutions, exceptions péremptoires dans la forme, est maintenant vide de sens, puisqu'elle ne répondrait à rien de réel, et que la deuxième, exceptions péremptoires dans le fond, n'a jamais été exacte, et est maintenant plus fausse que jamais, car il est impossible de distinguer, dans le droit actuel, les exceptions péremptoires du fond d'avec les défenses proprement dites; et de

toutes les règles établies dans ce titre pour proposer et débattre les exceptions, il n'en est aucune d'applicable à ce qu'on qualifiait autrefois d'exceptions péremptoires du fond.

Nous laisserons donc de côté le nom d'exceptions péremptoires. Quant aux exceptions dilatoires, nous retrouverons cette dénomination dans le § 4 de notre titre, mais dans un autre sens que celui du droit romain (nos 369 et suivants). * Nous reconnaîtrons également des exceptions déclinatoires qualifiées de renvois dans le § 2 de notre titre. Mais le mot déclinatoire, qui indique l'idée de nier, de repousser la juridiction du tribunal saisi, ce mot se trouve plusieurs fois employé dans notre Code (art. 83, 424, 425).

Enfin les exceptions des § 1, 3, 5 de notre titre ne rentreront sous aucune dénomination générale.

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344. § 1. DE LA CAUTION A FOURNIR PAR LES ÉTRANGERS. Les art. 166 et 167 ne font guère que reproduire et organiser un principe que déjà vous avez vu posé dans l'art. 16 du Code Napoléon. D'après l'art. 15 de ce Code, le Français peut être poursuivi devant les tribunaux français par un étranger. «Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. » Ce n'est là que l'application de la règle générale : Actor sequitur forum rei; à proprement parler, ce n'est pas un bénéfice, ce n'est pas une faveur faite à l'étranger, que de lui permettre d'actionner devant les tribunaux français le Français son débiteur; ce n'est que l'application stricte et naturelle d'un droit incontestable. Mais l'exercice de ce droit est subordonné, aux termes de l'art. 16, je ne dirai pas à une faveur introduite au profit du Français, mais au moins à une précaution, à une garantie qui peut être exigée de l'étranger demandeur. Les motifs de cette garantie, de cette précaution se saisissent aisément.

Ainsi, un étranger dirige contre un Français, devant un tribunal français, une demande téméraire et mal fondée; le Français obtiendra gain de cause; mais les frais qu'il aura faits, les avances qu'il aura déboursées à l'avoué constitué par lui, ou les engagements qu'il aura pris envers cet avoué, sera-t-il sûr de les recouvrer, de les récupérer contre le demandeur téméraire? En un mot, l'application de l'art. 130, d'après lequel la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens, doit rembourser à l'adversaire les frais avancés par lui, cette application sera-t-elle sûre, sera-t-elle facile au profit du Français qui triomphe contre l'étranger qui succombe? La négative est évidente; rien de plus facile pour l'étranger que de disparaitre, soit depuis le jugement, soit même avant, soit même dans les derniers moments de l'instance; rien de plus facile que de rompre les liens si faibles, si passagers qui l'ont attaché pour un instant au pays; et la condamnation aux dépens obtenue contre lui dans un tribunal français pourra être inexécutable dans le pays de cet étranger; il faudra le poursuivre, entamer un nouveau procès devant les tribunaux de son pays, procès fort chanceux, et dans tous les cas fort coûteux. Pour éviter tout cela, l'art. 16 exige que l'étranger demandeur soit tenu de donner caution de rembourser les frais et dommages-intérêts résultant du procès; jusqu'à cette caution fournie, il sera déclaré non recevable dans sa demande.

Ce droit accordé au défendeur, que je suppose Français, quant à présent, ce

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droit d'exiger une caution de la part du demandeur étranger est tout à fait distinet du mérite de la demande. Astreindre le demandeur à me donner caution, ce n'est pas nier, ce n'est pas contester qu'au fond sa demande soit fondée; c'est surseoir, c'est différer à connaître cette demande, à débattre ces moyens, tant que cette condition préalable n'a pas été remplie. En un mot, ce droit tient bien plus, dans son application, à la procédure qu'au droit civil, en ce qu'il ne touche pas au fond, à la justice du droit de l'étranger.

L'art. 166 ne fait guère qu'organiser et que reproduire les principes de l'art. 16; cependant, pour bien appliquer la disposition, il est nécessaire de combiner ensemble les deux articles; car chacun d'eux isolé serait insuffisant.

« Art. 166. Tous étrangers, demandeurs, principaux ou intervenants, seront tenus, si le défendeur le requiert, avant toute exception, de fournir caution de payer les frais et dommages-intérêts auxquels ils pourraient être condamnés. »

Tous étrangers. Aucune distinction ne doit être faite à raison de la qualité du demandeur, quelque élevé qu'on le suppose. Ainsi, dans l'ancienne jurisprudence, où cette faculté de demander la caution existait, fondée sur l'usage, sans aucun texte précis, plusieurs arrêts y soumirent même des souverains étrangers, plaidant comme demandeurs contre des sujets français; loin que leur qualité pût être considérée comme un motif de sécurité suffisante, comme une dispense de donner caution, elle parut n'être qu'une raison de plus de l'exiger, puisque cette qualité de souverain pouvait être une entrave de plus à l'exécution du jugement français à l'étranger.

Demandeurs principaux ou intervenants. Demandeurs, c'est-à-dire que, si c'est au contraire le Français qui attaque, il sera impossible d'exiger la caution de l'étranger défendeur, encore bien qu'au fond sa défense puisse être de mauvaise foi, et occasionner des frais qui ne seraient pas remboursés. On ne pourra pas exiger de lui la caution; sans quoi, s'il était hors d'état de la fournir, il serait nécessairement condamné, et condamné sans qu'on voulût l'entendre. L'étranger qui attaque est donc seul soumis par la loi à la nécessité de cette caution. Du reste, peu importe que sa demande soit introductive d'instance ou non; peu importe qu'il figure comme demandeur principal ou intervenant.

Supposez tout de suite que l'étranger primitivement défendeur, assigné par un Français aux termes de l'art. 14 du Code Nap., vienne à former, dans la même instance, contre le Français demandeur une demande reconventionnelle; serat-il tenu, pour être admis à plaider sur ces conclusions nouvelles, de donner caution pour le paiement des frais que ce débat nouveau pourra susciter? Non; et cela résulte, d'abord, du texte de nos deux articles, qui n'exigent la caution que de l'étranger demandeur; secondement, des principes que nous avons posés relativement aux conclusions reconventionnelles, qui ne sont, par elles-mêmes et dans leur nature, que la défense à l'action principale. Ainsi, que l'étranger assigné en paiement par un Français se prétende lui-même créancier et veuille de cette créance faire résulter une cause de compensation, il n'est pas pour cela réellement demandeur, il n'est pas tenu de donner caution.

345. Seront tenus si le défendeur le requiert. Cette caution n'est exigée que dans un intérêt privé, dans un but étranger à toute idée d'intérêt public; done

le Français défendeur peut renoncer au droit d'exiger caution si la solvabilité de l'étranger, si la confiance qu'il a dans son adversaire, lui paraissent garantir suffisamment ses droits. Non-seulement il peut renoncer, mais il est présumé renoncer à exercer ce droit, s'il n'invoque pas, avant toute défense, l'exception, le droit résultant de l'art. 16 du Code Napoléon et de notre art. 166.

* Mais il n'est présumé y renoncer que pour l'instance actuelle, l'instance pendante devant le tribunal civil d'arrondissement. Il pourrait encore, en appel, demander la caution pour la première fois devant la Cour impériale, afin de garantir le paiement des frais de l'instance d'appel, qui peuvent être plus considérables que ceux de première instance (1).*

Avant toute exception. Ces derniers mots, relatifs à l'époque précise de l'instance où la caution doit être demandée, présentent dans leur combinaison avec les art. 169 et 173, une difficulté à laquelle nous arriverons plus tard (no 368).

La forme dans laquelle cette caution doit être requise est tracée par l'art. 75 du tarif; c'est une requête d'avoué à avoué, qui ne peut contenir que deux rôles.

346. Le demandeur est étranger, et nous avons jusqu'ici supposé un défendeur français. Qu'arriverait-il, si les deux parties étaient étrangères, si un étranger assignait un autre étranger devant les tribunaux français? Le défendeur jouirait-il alors du bénéfice des art. 16 et 166? pourrait-il exiger la caution? Non sans doute, si l'on ne veut voir dans le droit d'exiger cette caution qu'une faveur, un privilége national; mais ni l'art. 16 ni l'art. 166 ne paraissent conçus dans cette idée; ils ne paraissent nullement avoir pour but d'accorder un privilége au défendeur, mais de prendre une précaution, une garantie que semble nécessiter la position spéciale du demandeur. Je crois donc qu'à raison de la généralité des deux textes, c'est uniquement à la qualité de demandeur qu'il faut s'attacher, et que la caution peut être exigée, aussi bien par un défendeur étranger que par un défendeur français, car le péril est le même pour tous les deux.

Je sais bien qu'on peut objecter, et c'est ce qu'ont fait quelques auteurs, que, d'après les art. 14 et 16 du Code Nap., le droit d'actionner un étranger devant les tribunaux français n'appartient qu'à un Français; la question, au premier aspect, ne paraît donc pas pouvoir se présenter. Comment, dit-on, peut-il arriver que deux étrangers se trouvent ensemble plaider l'un contre l'autre devant un tribunal français? L'étranger défendeur, au lieu de requérir la caution, n'a-t-il pas un moyen beaucoup plus simple, celui d'écarter, de décliner la juridiction d'un tribunal incompétent pour prononcer (2)? Mais, d'abord, cette objection est inapplicable aux revendications immobilières; si un étranger revendique, devant un tribunal français, un immeuble situé en France et possédé par un autre étranger, il n'y aura pas moyen pour ce dernier de décliner la juridiction; l'art. 3 (C. N.) et le § 3 de l'art. 59 (C. Pr.) accordent exclusivement la compétence au tribunal français de la situation. Dans ce cas, l'intérêt à demander la caution est manifeste; c'est la seule garantie que puisse trouver l'étranger défendeur. Mais dans le cas même où l'étranger défendeur est assigné

(1) Voir les autorités pour et contre Dal!., Rép., vo Exceptions, no 79.

(2) * Voy. Fœlix, Traité de droit international privé, no 151, et la note de M. Demang at

sur ce numéro *.

devant un tribunal français, en matière purement personnelle, on ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas requérir la caution, en reconnaissant la compétence, et renoncer, pour être jugé plus vite, et sans déplacement, à la faveur qui lui est accordée, au droit d'opposer le déclinatoire, et cependant requérir une sûreté qui lui est tout aussi nécessaire qu'elle le serait au Français.

En un mot, je ne vois pas dans les art. 16 et 166 une faveur faite au Français, mais une garantie, une précaution prise contre l'étranger (1).

347. Toutefois plusieurs exceptions doivent être faites au droit de demander la caution. La première, écrite dans le Code Nap., art. 16, et dans le Code de proc., art. 423, est relative aux matières commerciales; * cette exception est introduite dans l'intérêt du commerce français. Le législateur a pensé qu'en facilitant aux commerçants étrangers les moyens de poursuivre leurs débiteurs commerçants français, il engagerait les étrangers à traiter avec les Français. *

Une autre exception résulte de l'art. 13 du Code Napoléon en faveur de l'étranger demandeur, mais admis par la loi à fixer son domicile en France, et à jouir par conséquent de tous les droits civils tant qu'il continue d'y résider.

Enfin, une troisième exception dérive des traités intervenus à cet égard entre la France et la nation à laquelle appartient l'étranger demandeur : des traités de cette nature existent entre la France, d'une part, et la Suisse et la Sardaigne d'autre part.

* Ces traités dispensent de la caution les sujets sardes ou suisses plaidant en France, et déclarent les jugements rendus en France exécutoires en Suisse et en Sardaigne et réciproquement (V. no 802).

Un traité semblable pour l'exécution réciproque des jugements existe entre la France et le grand-duché de Bade (n° 802); mais il est muet sur la dispense de caution. Les sujets badois y seront donc soumis en France (2). '

*

348. De quel danger la caution est-elle la garantie? L'art. 166 répond à la question, mais d'une manière en partie inexacte: De fournir caution de payer les frais et dommages-intérêts auxquels ils pourraient être condamnés. Les frais, nous savons déjà le sens de ce mot: ce sont les dépens auxquels l'étranger demandeur pourra être condamné en vertu de l'art. 130. Mais, quant aux dommagesintérêts pour sûreté desquels la caution peut être exigée aussi, cette expression trop générale de l'art. 166 doit se restreindre par celle de l'art. 16 du Code Napoléon; ce n'est pas pour tous les dommages-intérêts auxquels le jugement pourrait condamner l'étranger, c'est seulement pour les dommages-intérêts qui pourront résulter du procès que la caution peut être demandée.

Exemple: L'étranger demandeur avait, antérieurement à sa demande, causé

(1) * Je crois, au contraire, que les art. 16 (C. N.) et 166 (C. Pr.) ont pour objet de rétablir une sorte d'équilibre, une égalité de position judiciaire, par le moyen d'une caution, entre le Français, qui offre des garanties de domicile, d'établissement au lieu où l'instruction s'engage, et l'étranger qui ne présente pas les mêmes garanties. Mais entre deux étrangers la position est la même : il n'y a pas d'équilibre à rétablir. — C. d'Orléans, 26 juin 1828; Cass., 15 avril 1842. Contrà, Paris, 28 mars 1832 et 30 juillet 1831 (Dall., Rép., vo Exceptions, no 29).

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(2) C. de Colmar, 10 avril 1859 (Dall., 1859, 2, 186).

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