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rare, mais il rend encore un service signalé à sa langue, en l'enrichissant de formes, d'images et d'expressions nouvelles.

Notre langue, en s'étendant et se perfectionnant par l'usage, a donné aux poètes qui ont eu assez de talent pour profiter de cet avantage, plus de facilité pour traduire en vers plusieurs beaux poèmes de l'antiquité; et ces traductions, à leur tour, ont contribué à enrichir la langue.

D'autres considérations pourroient concourir encore à faire sentir l'importance d'encourager, par une distinction particulière, ce genre de travail. Le décret n'offre qu'une disposition qui puisse lui être appliquée; c'est celle qui assigne un Prix de seconde Classe aux meilleures traductions en vers des poètes anciens. Le Jury prend la liberté de représenter à VOTRE MAJESTÉ que ces récompenses d'un ordre inférieur, sagement appropriées aux ouvrages qui supposent un talent moins rare, qui exigent moins de travail, et dont le résultat est moins important, ne paroissent pas proportionnées à l'importance et à l'étendue du travail qu'exige la traduction en vers d'un poème épique. De grands Prix de première Classe sont destinés, et certes avec justice, aux auteurs de la meil leure tragédie ou de la meilleure comédie; mais, à juger de la difficulté du travail par la rareté du succès, l'expérience prouve qu'il y a eu en tout temps des écrivains en état de composer des comédies et des tragédies dignes d'être applaudies au théâtre, tandis que nous n'avons encore qu'un très-petit nombre de traductions en vers de poèmes épiques', dignes de l'estime des gens de lettres.

Si ces réflexions du Jury obtenoient l'approbation de VOTRE MAJESTÉ, il prendroit la liberté de lui proposer d'étendre la disposition qui accorde un Prix au meilleur poême épique, en ajoutant que, dans le cas où aucun ouvrage de ce genre

ne paroîtroit digne d'être couronné, le Prix seroit accordé à la meilleure traduction en vers d'un poème épique, écrit dans: une langue ancienne ou moderne. Dans cette hypothèse, le Jury présente à VOTRE MAJESTÉ, comme digne de concourir à ce nouveau Prix, la traduction de l'Enéide, par M. Delille, celle du même poème, par M. Gaston, et celle du Paradis perdu de Milton, par M. Delille encore; il y joindroit une traduction nouvelle de l'Iliade d' Homère, si cet estimable ouvrage n'avoit pas été publié peu de temps après la clôture du concours.

y

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Traduction de 1 Encide,

Des deux traductions de l'Enéide, celle de M. Delille paroît écrite avec plus de liberté dans le mouvement général, par M. Delille. plus de variété dans le ton et la couleur poétique, plus de morceaux où les beautés de l'original sont heureusement rendues ou adroitement suppléées; mais on est obligé de convenir que cet ouvrage n'est pas exempt de reproches. C'est peut-être le plus négligé de ceux qu'a publiés M. Delille. On retrouve tout l'éclat de sa poésie, mais avec des négligences qui prouvent la lassitude plus que l'impuissance du talent. Les défauts essentiels sont d'avoir omis quelquefois des nuances d'expression ou des idées accessoires dont l'effet est à regretter; d'avoir plus souvent encore dénaturé l'élégante précision de son modèle, en employant plusieurs vers à rendre ce que Virgile exprime en beaucoup moins d'espace; d'avoir enfin ajouté aux idées de l'original, des idées et dés images qui n'ont pas assez la couleur antique, et sur-tout celle de Virgile.

De telles imperfections dans la traduction d'un poème de Virgile ne peuvent être effacées par les grandes beautés qui sont semées dans celle de M. Delille, et ne permettent pas de la citer comme un modèle. Le Jury a dû, pour l'intérêt du

Traduction

goût, insister avec sévérité sur cet objet. M. Delille, comme tous les écrivains d'un talent supérieur et d'une réputation brillante, a produit une école; et les élèves, toujours plus prompts à imiter les défauts que les beautés de leur modèle, pourroient s'autoriser d'un si grand exemple pour se permettre les mêmes écarts. Tant de causes semblent déjà concourir à la corruption du goût, qu'il importe de ne pas les multiplier.

La traduction de l'Énéide, par M Gaston, est un ouvrage de l'Eneide, très-estimable; la versification en est, en général, soignée et de bon goût.

par M. Gaston.

Traduction du

Beaucoup d'endroits de l'original sont rendus avec fidélité, et même avec élégance: mais la poésie n'a ni l'éclat, ni la grâce, ni la précision qui distinguent celle de Virgile; le ton en est sec et monotone; et les premiers chants semblent avoir été plus négligés que les autres. Un plus grand défaut encore dépare cette traduction : l'auteur y intervertit trop souvent l'ordre et la gradation que Virgile a mis dans le développement de ses idées ; et Virgile est le poète du monde qui permet le moins une telle liberté.

On retrouve tout l'éclat du talent de M. Delille dans la tra

Paradis perdu. duction du Paradis perdu, quoique l'auteur l'ait commencée dans un âge déjà avancé, et qu'il l'ait achevée dans l'espace d'une année. C'est un ouvrage fait de verve, plein de chaleur et de mouvement, semé partout de beaux vers et de longs passages d'une couleur brillante. Il faut convenir, en même temps, qu'en plusieurs endroits il se ressent de la précipitation du travail, et que le sens du texte n'est pas toujours rendu avec une rigoureuse fidélité. Mais en considérant que l'auteur étoit privé de la vue lorsqu'il l'a composé, qu'il ne pouvoit avoir sous les yeux l'original qu'il traduisoit, toutes les fois

qu'il

qu'il en auroit eu besoin, et qu'il lui étoit bien difficile d'y suppléer en se le faisant lire, loin d'être étonné de ce qui manque à cet ouvrage, on doit admirer le mérite extraordinaire qui s'y trouve.

On a trouvé la traduction de Milton très-supérieure à celle de Virgile: il faut en rechercher la principale cause dans la différence des idiomes. Nos langues modernes sont bien foibles et bien pauvres en comparaison de la langue latine; au lieu que la langue anglaise a avec la nôtre une analogie bien plus rapprochée, et qui rend beaucoup plus facile le transport des idées, des images et des tours, de l'une dans l'autre. Le texte littéral du décret ne permet pas au Jury de proposer une des traductions dont il vient de rendre compte, comme ayant droit au Prix spécialement destiné au meilleur poème épique; mais il pense que le mérite si rare d'avoir produit, dans la période du concours, deux ouvrages tels que la traduction en vers de l'Énéide et du Paradis perdu, donne à l'auteur un titre légitime à quelque distinction particulière, et il soumet à cet égard son opinion à la sagesse de VOTRE MAJESTÉ.

Grand Prix de première Classe, A l'Auteur de la meilleure Tragédie représentée sur nos grands Théâtres.

RAPPORT DU JURY.

Les tragédies représentées sur le Théâtre français sont au nombre de six, que le Jury va rappeler à l'attention de VOTRE MAJESTÉ, suivant l'ordre de leur représentation. Langue et Littérature Françaises.

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Etéocle et Polynice.

Les Templiers.

Étéocle et Polynice, tragédie en cinq actes, par M. Legouvé, jouée en l'an 8, a eu dix représentations. On y trouve des situations dramatiques et le bon goût de style qui distingue cet écrivain mais ce sujet, où Racine a échoué, et que Boileau semble avoir réprouvé, paroît peu favorable à la tragédie; et, quoique M. Legouvé l'ait traité sur un plan plus heureux, l'intérêt en est foible, et l'effet plus triste qu'intéressant.

La pièce n'a pas été reprise.

Les Templiers, tragédie en cinq actes, par M. Raynouard, a eu trente-cinq représentations. Reprise plusieurs fois, cette pièce a constamment attiré l'affluence et obtenu les mêmes applaudissemens. Ce genre de succès, qui suppose un mérite récl quand il se soutient après des épreuves faites à divers intervalles, a dû, ce semble, être pris en considération par le Jury; car l'effet de la représentation est le but essentiel de tout ouvrage dramatique. Cependant, comme il y a des exemples de grands succès au théâtre produits par des circonstances momentanées, par le talent d'un acteur, ou par des illusions que le temps détruit à la longue, c'est le droit et le devoir du Jury d'examiner si les suffrages et l'approbation du Public se trouvent justifiés par l'application des principes éternels du goût et de la raison.

Une autre observation plus générale guidera encore le Jury dans l'examen et l'approbation du mérite respectif des ouvrages dont il va rendre compte.

En cherchant à se pénétrer de l'esprit qui a déterminé l'institution des prix décennaux, le Jury a cru que leur fondateur, en offrant de si puissans encouragemens aux talens littéraires, avoit eu en vue, non seulement de faire naître et de récom

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