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et néanmoins, ajoute Hubbard, alla tous les jours exactement dîner et souper avec lui. Quoiqu'il eût déclaré dâns le premier mouvement de sa colère qu'il ne répliqueroit pas, il se décida pourtant enfin à adresser au gouvernement du Massachussets une nouvelle lettre « en termes hautains et respirant la vengeance».

Nous n'avons aucune des pièces indiquées dans ce récit qui, par le défaut de précision et par l'absence de date, nous laisse, il faut bien le dire, quelques doutes. Il se pourroit en somme qu'il s'agit ici de la lettre du 31 mars et de l'échange d'explications qui la suivit.

D'Aunay aussi bien raconte les choses d'une manière toute différente dans le mémoire adressé à la reine probablement pendant l'été, certainement avant le mois de septembre de cette année 1645. Il dit qu'à la nouvelle de la prise du fort de Saint-Jean, les magistrats de Boston s'empressèrent de lui envoyer des députés pour lui faire savoir qu'ils étoient très-fâchés de ce qui s'étoit passé entre eux et lui; que La Tour les avoit trompés, mais qu'ils l'avoient contraint de sortir de leur ville; qu'ils étoient désormais en disposition de conclure une bonne paix et de trafiquer avec la colonie française comme de bons alli ́s et amis»; que pour gage de leur parole, ils avoient chargé de vivres et autres choses nécessaires le vaisseau qui portoit leurs députés. D'Aunay répondit qu'il apprenoit avec satisfaction qu'ils étoient enfin désabusés sur le compte de La Tour; « qu'il étoit assez généreux pour oublier tous leurs actes d'hostilité pourvu qu'ils ne lui donnassent plus à l'avenir aucun sujet de plainte » mais que, comme il n'y avoit pas de guerre entre le roi de France et le Massachussets, il ne voyoit pas qu'il fût nécessaire de faire un traité de paix; que néanmoins il prendroit les ordres de son maître et que, s'ils vouloient revenir au printemps suivant, il leur feroit connoitre ses intentions.

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Quant aux marchandises, il déclara qu'il n'en avoit pas besoin, qu'il en recevoit assez de France; et pour le leur prouver, il leur montra le magasin de la rivière de SaintJean qui, dit-il, étoit pour lors bien garni. Cependant il consentit à acheter ce qui lui avoit été apporté, afin que le marchand ne perdît pas son voyage.

Entre ces deux versions, la seconde nous paraît la plus probable. Elle est plus que la première dans la raison des circonstances. Les pères Capucins disent formellement dans leur attestation du 28 décembre que les magistrats de la Grande baie envoyèrent à D'Aunay deux députés de leur orps vers la Fête-Dieu, c'est-à-dire au mois de juin. Nous savons d'ailleurs que La Tour sortit en effet de Boston dans ce temps-là pour aller implorer le secours du célèbre David Kirtk. Nous dirons à quoi aboutit cette nouvelle tentative.

Quoiqu'il en soit, les choses restèrent en l'état jusqu'au mois de septembre. A cette époque, les commissaires des colonies unies s'assemblèrent; et la question de ratification du traité fut soumise à leurs délibérations. Sir Richard Saltonstall et M. William Hawthorne avoient été chargés par la Cour générale du Massachussets de faire une enquête sur la conduite du capitaine Hawkins. Le rapport, daté du 6 août 1645 est la première pièce de ce solennel débat. Il est court; il est net; et s'il tend à dégager la responsabilité du gouvernement, il n'en établit pas moins la justice de la réclamation de D'Aunay. D'un côté, il dit : « On ne prit l'avis ni de la Cour générale, ni du Conseil de l'état qui ne pouvoit se réunir que sur une convocation du gouverneur et qui, par conséquent, n'avoit aucun moyen de s'opposer à la conduite qui a été tenue ». De l'autre, il ajoute : « Le différend entre La Tour et D'Aunay ne nous regarde pas; ils sont tous deux papistes et tous deux sujets du roi de France. Aucun engament ne nous obligeoit à aider le premier ». Le rapport re

connoît aussi que les gens du Massachussets ont débarque sur la côte du Port-Royal, qu'ils ont tué quelques soldats, brûlé un moulin, pris un vaisseau éhargé de pelleteries qu'ils ont portées à Boston et qu'ils se sont partagées. Il déclare enfin que cette agression étoit parfaitement inutile pour le but qu'ils avouoient, puisqu'ils pouvoient escorter La Tour en sûreté jusqu'à son fort sans commettre aucune hostilité contre D'Aunay.

Incontestablement il faut conclure de cet exposé que le gouverneur françois étoit fondé à demander réparation pour les dommages qu'il avoit soufferts. La Cour générale du Massachussets pouvoit-elle tirer de son ignorance et de l'impuissance du Conseil de l'état un argument capable de repousser la réclamation? Non, assurément. Si par un artifice habile ou une résolution hardie, les complices de La Tour avoient réussi à paralyser le jeu des institutions et l'action du gouvernement, ils pouvoient avoir à en répondre devant la justice du pays; mais ni le droit de D'Aunay n'en devoit être amoindri ni son intérêt en souffrir. C'étoit affaire entre les violateurs de la loi et les magistrats, non entre l'état du Massachussets et la colonie du Port Royal. Le rapport se termine donc justement en demandant le conseil et l'assistance de la Cour pour punir le crime, s'il y a eu . crime, pour laver toutes les offenses et accorder à chacune des demandes de D'Aunay une équitable et prompte satisfaction, «afin, ajoutent pieusement sir Richard Saltonstall et M. Hawthorne, afin que le nom de Dieu et notre religion ne soient pas plus longtemps blasphémés ».

Mais ce ne fut pas la seule question que l'assemblée cut à résoudre. D'autres encore lui furent soumises par les Elders (les anciens); et elles embrassoient toute l'histoire des relations de La Tour avec le Massachussets. La première est celle-ci : « M. La Tour étant François de naissance, ayant

accepté ses titres de la compagnie du Canada et ayant du roi de France une commission de lieutenant en ces parties, ne doit-il pas être à ces causes réputé de facto et de jure sujet françois, tenant ses propriétés en Acadie de la couronne de France? Certes il est permis de penser, après cela, que, se prévalant de la concession et des lettres patentes de sir William Alexander, il avoit essayé de se faire reconnoître sujet et vassal de la couronne d'Angleterre. Autrement pourquoi cette question? L'assemblée y ayant répondu d'une manière affirmative, elle en tira immédiatement deux conséquences: l'une, que les colonies confédérées de la Nouvelle-Angleterre ne pouvoient pas se rendre juges des mesures prises contre La Tour en France et en Acadie; l'autre, qu'elles n'étoient pas légitimement autorisées à secourir La Tour contre d'Aunay qui produisoit, à l'appui de ses actes, les ordres du roi de France. >>

Sur la question relative à l'expédition du capitaine Hawkins, elle fit une distinction: pour ce qui regarde la France en principe, les volontaires étant partis sans commission et sans encouragement à commettre des actes illégitimes, l'Etat n'est pas responsable, à moins de négligence subsėquente; en fait, il est constant par la lettre du 20 septembre 1644 que le roi de France a admis l'explication tirée de la commission qu'Étienne de Mouron tenoit du vice-amiral el qu'il a ordonné à d'Aunay de maintenir la paix avec les Anglois. Pour ce qui concerne ce dernier, il a conclu un traité avec le gouvernement du Massachussets sans faire aucune mention de ses pertes et des dommages-intérêts qui pouvoient lui être dus. C'est une exception; ce n'est pas une réponse. Aussi, revient-on encore une fois à la même question, mais en d'autres termes : Le capitaine Hawkins et ses gens ne doivent-ils pas supporter la responsabilité de leurs violences? La cour générale a recommandé de prendre

en considération les actes d'hostilité du capitaine. L'assemblée répond d'abord que M. Hawkins est absent et qu'il faut l'entendre dans ses explications, puis qu'un procès paraît être engagé devant la cour et qu'elle s'en résère à la décision de ce tribunal. Ici le subterfuge est évident. Les commissaires assurément n'auroient pas été embarrassés de donner leur avis s'ils n'avoient pas craint de fournir à d'Aunay un argument sur ce point des négociations auquel il s'attachoit avec le plus de fermeté.

Après avoir ainsi résolu ou éludé les questions qui naissoient des réclamations de la colonie françoise, l'assemblée en vient aux griefs publics et particuliers de la confédération. Elle n'hésite pas à déclarer que la saisie de la barque de Joseph Crafton n'a pas été une violation de la paix. En revanche, il est vrai, elle affirme que ni Joseph Crafton ni les vaisseaux qui ont reconduit madame La Tour au fort de Saint-Jean n'ont enfreint le traité de l'année précédente. C'est comme une compensation qu'elle établit entre ces deux ordres de faits. Elle reconnoît que les actes par lesquels La Tour a cédé ou hypothéqué son fort au major Gibbons, après que les ordres du roi eurent été communiqués aux magistrats de Boston, ne peuvent pas avoir d'effet contre d'Aunay, surtout depuis que le fort a été saisi en exécution de ces ordres et mis en la possession de Sa Majesté. Enfin elle refuse de prendre connoissance des torts faits aux confédérés, notamment de l'occupation de Penobscot, tant que les parties intéressées ne le demandent pas. Toutes ces discussions épuisées, l'assemblée, par une résolution définitive, approuve les articles de paix conclus avec M. Marie et consent à ce que les ratifications du traité soient échangées.

Cette délibération étoit satisfaisante pour d'Aunay en ce qu'elle rendoit témoignage de la légitimité de ses poursuites contre La Tour et de la justice de ses procédés envers

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