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pleuvoir les balles qu'ils dirigeaient avec une merveilleuse dextérité. Quand les Turcs s'étaient ouvert un faible passage, ils voyaient bientôt sur leurs derrières des Hellènes qui poussaient des cris effroyables; même obstacle devant eux; point de quartier. On entendit Nicétas qui, après avoir tué de sa main dix-huit musulmans, s'exhortait encore en ces termes à poursuivre la vengeance de sa patrie: «Nicétas! ah! Nicétas, courage! ce sont des Turcs que tu massacres ! » Ils sortirent enfin, mais en laissant les défilés jonchés de cadavres, et en abandonnant artillerie, provisions et bagages. Les chameaux venaient s'agenouiller devant les vainqueurs et paraissaient comprendre l'arrêt de la fortune. Odysseus ayait atteint, dans les défilés de la Thessalie, Chourchild, ce pacha redouté qui marchait à la tête de douze mille hommes. Odysseus en conduisait à peine trois mille; mais il les avait si heureusement postés, que c'était Chourchild qui paraissait subir toute l'inégalité du combat. Les Hellènes frappaient les échos, tantôt de mille cris de joie, tantôt de chants religieux, en voyant des lignes entières de leurs ennemis rouler de précipice en précipice. La victoire fut complète; Odysseus, auparavant satellite

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du tyran de l'Épire, jouit du plaisir de vouer à l'inévitable courroux du sultan ce Chourchild qui avait envoyé à la Porte la tête de son maître. Chourchild, en effet, ne douta pas du sort qui l'attendait après la perte presque entière de la plus puissante armée que les Turcs eussent encore levée dans cette guerre. Dans l'espoir de conserver ses trésors à sa famille, et d'obtenir l'honneur de magnifiques obsèques, il s'empoisonna; mais la colère du sultan ne fut point désarmée. Peu de jours après la célébration de ses funérailles, deux capidji-bachis vinrent par ordre du sultan ouvrir le tombeau de l'infortuné général, tranchèrent cette tête inanimée qui vint remplacer à la porte du sérail celle d'Ali-Pacha. La vengeance d'Odysseus fut satisfaite, mais lui aussi devait éprouver au milieu des siens même un sort également funeste.

D'importans succès suivirent pour les Hellènes la glorieuse délivrance du Péloponèse. Napoli de Romanie, qui devait être un jour pour eux la dernière porte du salut, fut forcée de capituler. L'escadre de Miaulis, malgré les vives alarmes qu'avait dû lui causer l'exécrable expédition des Turcs dans l'île de Chio, était venue fidèlement seconder

les dernières opérations du siége de cette ville. J'éprouve enfin le plaisir de pouvoir dire que les Hellènes ne violèrent point une capitulation qu'ils avaient accordée. Dans leurs transports vindicatifs, ils s'étaient auparavant rendus coupables du crime d'égorger du moins en grande partie la garnison turque de Navarin, qui avait capitulé. Comme la soumission de Napoli de Romanie avait suivi le massacre de Chios, on pourrait dire qu'il y eût ici une sorte de magnanimité dans la foi militaire gardée. Démétrius Hypsilantis, Mavrocordatos, les capitaines français, MM. Raybaud, Voutier et Baleste, dont j'ai déjà parlé, et l'Anglais Gordon, regardaient comme leur principale gloire d'initier à notre droit des gens un peuple qu'un si long esclavage avait réduit à l'état de barbarie.

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Combat dans

Parmi les capitaines français, je viens de nommer le brave et malheureux Baleste. l'ile de Crète. Les Hellènes l'avaient envoyé au secours de l'ile de Crète, dont l'insurrection se déployait au milieu des plus terribles obstacles. En effet, cette île puissante pouvait leur opposer une population turque qui s'élevait à la moitié ou au tiers des habitans. Elle avait d'ailleurs un funeste voisin dans Mehemed-Ali,

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vice roi d'Égypte, qui, après avoir exterminé les mamelouks et rétabli en Égypte l'apparente domination de la Porte, ne s'occupait que de cimenter et d'agrandir la sienne. Ce souverain (car on pourrait lui donner ce nom), en considérant l'indépendance chaque jour mieux établie de son pouvoir, jetait un regard avide sur cette île de Candie ou de Crète, célèbre par sa fertilité et favorable au commerce, à la navigation par la beauté et la sûreté de ses ports. Déjà l'Europe voyait en lui avec étonnement un fondateur, un Pierre I., occupé de ramener la civilisation dans son antique berceau.

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· Des combats acharnés avaient désolé la Crète insurgée, sans décider la victoire d'aucun côté. Cette île avait son Marcos Botzaris dans le Crétois Mélidoine, chez qui un courage indomptable accompagnait un esprit plein de grâces, un caractère plein d'humanité. Ce héros avait succombé dans les combats. Baleste venait prendre sa place. Déjà il avait remporté des avantages signalés sur les Turcs, lorsqu'une flotte égyptienne, convoyée par des vaisseaux anglais, vint opérer un débarquement. Baleste, avec une faible troupe, se porte au-devant de trois mille Égyptiens et Turcs; il les bat pendant tout

le jour, est prêt à les rejeter sur la mer, et va planțer sur le rivage les trophées d'une victoire qui consommera le salut de la terre de Minos, lorsque vers le soir les vaisseaux anglais amènent sept à huit cents hommes qui n'ont pas pris part au combat.Baleste affronte ce nouveau danger en homme qui poursuit une victoire; mais un perfide chef, que la jalousie dévore a jeté l'infàme cri, Sauve qui peut! Il ne reste plus autour de Baleste qu'une troupe d'élite avec laquelle il soutient l'effort de l'ennemi; mais il tombe dangereusement blessé. Les siens l'emportent; mais il ne veut pas être un obstacle à la fuite rapide qui peut seule les sauver. Il veut qu'on le cache sous un feuillage épais jusqu'à ce que les ténèbres permettent de venir le chercher. Mais son asile a été découvert par les Turcs; ils se vengent à loisir sur le héros blessé des longs affronts de la journée. Sa tête et ses mains sont coupées, et c'est un vaisseau anglais qui porte ce hideux présent au capitan - pacha. Heureusement il ne goûtera pas long-temps la joie de le contempler.

L'île de Chios rappelait, non par la gloire et la puissance, mais par l'activité du commerce, ces beaux jours où la Grèce recevait les tributs de l'indolente Asie. Quel beau

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Massacre de Chios.

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