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que Marc-Aurèle, maître du monde, s'offre plus familièrement à mes regards et m'instruit plus profondément. Cependant une pensée qu'il répéta souvent offre l'empreinte d'une philosophie aussi juste que profondė. << J'ai connu, disait-il, l'adversité trop tard. Oui, sans doute, voilà ce qui lui manqua. Henri IV eut sur lui l'avantage de subir dès sa jeunesse les épreuves les plus terribles; la fortune ne lui arriva qu'à un âge et qu'à un degré où elle pouvait difficilement l'aveugler. Aussi l'histoire ne nous montre point une âme plus élevée et plus compatissante.

Les délassemens de Napoléon consistaient dans quelques essais de jardinage faiblement suivis, dans des visites à une famille intéressante, établie dans cette île, et dans des lectures plus multipliées que continues, sur lesquelles il exprimait un jugement rapide. Chacune de ses paroles était recueillie par M. de Las-Cases, qui en formait son journal. Ainsi Bonaparte était averti qu'il ne pouvait plus rien lui échapper qui ne devînt un jour l'entretien des hommes; il restait sur le théâtre. De tels entretiens offrent quelque chose de moins que les épanchemens de l'amitié. Souvent il venait rêver solitaire dans un des sites les plus favorisés

de son île, auprès d'une fontaine bordée de saules. Nous allons voir que ces rêveries et ce lieu lui avaient laissé une impression assez douce. Quand des torrens de pluie l'arrêtaient, il s'écriait douloureusement : «< Ètre » resserré entre quatre murailles, moi qui » parcourais à cheval toute l'Europe! >>

Le projet d'écrire l'histoire de ses campagnes l'avait séduit dès qu'il s'était résigné à survivre à la perte de son empire. Il accomplit à Sainte-Hélène la promesse qu'il avait faite à ses guerriers dans ses adieux de Fontainebleau. Cet ouvrage, où il laissa de nombreuses lacunes, fut dicté aux quatre compagnons volontaires de son exil, les généraux Bertrand et Gourgaud, MM. de Montholon et Las-Cases. On peut y voir sur quelles fortes méditations, sur quelle instruction variée et positive s'appuyèrent les brilJantes inspirations de son génie militaire. Ses descriptions topographiques de l'Italie et de l'Égypte sont des chefs-d'œuvre dont ni César, ni Xénophon n'avait tracé le modèle; dans quelques-unes de ses relations et surtout dans celle de la bataille d'Arcole, il lui est donné de surpasser encore les effets des éloquens bulletins qu'il écrivait dans le feu de la victoire; mais le plus souvent il les

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Ses mémoires.

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laisse regretter. L'effet général de ces mémoires est la monotonie d'un panégyrique écrit par le héros lui-même. On lui demanderait l'aveu de quelques fautes, et ce genre de franchise qui pare les écrits militaires du grand Frédéric. Mais c'est une satisfaction que Napoléon refuse impitoyablement à ses lecteurs. Ses jugemens sur quelques-uns de ses compétiteurs de gloire, et particulièrement sur le général Moreau, sont sévères et paraissent déceler une partialité jalouse ou vindicative. Le destin, dans ses récits, reste chargé des désastres que lui-même est allé chercher au loin et que ses plus judicieux compagnons lui prédisaient. Ce qu'il y a de plus désespé rant, c'est qu'on ne communique jamais avec son âme. Il surmonte avec soin ses douleurs, ses regrets, surtout ses repentirs. On aimerait mieux qu'il les confiât.

Napoléon éprouva le regret de se voir séparé de quelques-uns des compagnons volontaires de son exil. Le comte de Las-Cases excita les ombrages de sir Hudson à l'occasion d'une lettre qu'il n'avait point fait passer sous ses yeux. Napoléon le vit entraîner par des gardes, lui et son fils, que ce chambellan, modèle de reconnaissance, avait initié bien jeune encore à ses soins pieux pour un

malheur si élevé. Tous deux furent embar

qués, conduits en Angleterre, de là ils gagnèrent le continent, la France bientôt leur fut ouverte. Le docteur O'Meara, médecin anglais, qui s'était offert pour lui donner ses soins dans l'exil, manifestait pour l'exilé un dévouement qui le rendit également suspect aux yeux vigilans du gouverneur. De retour à Londres O'Méara déclara au ministère que l'air de Sainte-Hélène tuerait le prisonnier. Le général Gourgaud fut contraint, par le délabrement de sa santé, de quitter Napoléon.

Vers le milieu de l'année 1819, l'exilé de Sainte-Hélène éprouva les symptômes et la langueur d'une maladie chronique dont le foie paraissait être le siége; c'était le docteur Antomarchi qui lui rendait alors des soins. Il dissimulait ses alarmes; mais Napoléon montrait un pressentiment assuré de sa fin ; la maladie ne cessa de faire des progrès dans le cours de l'année 1820 et au commencement de 1821. Le 15 avril il écrivit son testament, auquel il joignit depuis divers codicilles. Peu de jours après il voulut recevoir les secours de la religion. Il fit dresser presque mystérieusement un autel, et son chapelain reçut sa confession. Comme le docteur

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Sa fin.

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Antomarchi montrait quelque étonnement de cet acte, Napoléon lui fit cette réponse : " N'est pas athée qui veut. »

Quelques jours avant que sa maladie prît le caractère le plus grave, on vint lui annoncer qu'une comète paraissait sur l'horizon de Sainte-Hélène; il se souvint de celle de Jules-César et refusa d'aller voir l'astre au sinistre présage. La pensée de son fils l'occupait avec un continuel épanchement de tendresse; mais, dès que son sang suivait un cours plus vif ou plus irrégulier, les pensées militaires remplissaient tout son esprit. Il se voyait s'entretenant dans les ChampsÉlysées avec Masséna, Desaix, Kléber, Ney, Bessières, Duroc ; il joignait à ces noms ceux de Murat et de Berthier dont il avait eu à se plaindre. « En me voyant, ajouta-t-il avec » une sorte d'exaltation joyeuse, ils devien» dront fous d'enthousiasme et de gloire. >> Nous causerons de nos guerres avec les

Scipion, les Annibal, les César, les Fré» déric, à moins que là-bas on n'ait peur de » voir tant de guerriers ensemble. » Le 2 mai, il eut un accès de délire dans lequel on l'en tendit s'écrier : «< Steingel, allez, courez, >> chargez, ils sont à nous!» Le 4 mai, à cinq heures et demie du soir, Napoléon

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