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parole dans la conspiration de Nantil devant la chambre des pairs, il s'était vu éclipser par son second, M. de Vatisménil, alors avocat général. On lui reprochait un ton déclamateur et un caractère suffisant; les satires comtemporaines dont il fut toujours un objet privilégié, parlent beaucoup de son goût pour l'escrime peu compatible avec la simarre de d'Aguesseau. H put s'apercevoir de la différence qui existe entre une dignité éminente et la considération. Pendant un ministère de six années, il ne lui fut pas donné d'obtenir un seul succès de tribune devant le parlement le plus docile; ce n'est que depuis sa chute qu'on a pu s'apercevoir qu'il possédait un esprit fin et piquant. Le dépit a ses inspirations. Maintenant, je l'entends vanter comme l'Hercule de la contre-révolution; nous verrons ses travaux.

M. le vicomte Mathieu de Montmorency était par ses vertus l'ornement du ministère et le trop puissant appui de la congrégation. La noblesse calme et pure de ses traits, de son maintien, une élocution facile, élégante, une touchante candeur qui survivait à la jeunesse et semblait en perpétuer l'heureux règne; ce n'était encore là que les accessoires

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les moins précieux d'une si haute naissance. L'âme de M. de Montmorency était pétrie de foi et de charité. C'était la charité même que dans sa jeunesse il avait embrassée, en se livrant aux illusions les plus vives et les plus séduisantes de la philanthropie. Député à l'assemblée constituante, il avait voté avec une ardeur juvénile pour l'abolition des titres et la suppression des armoiries. Quand la révolution devint le fléau sanglant de la charité, elie lui fit horreur. Cette âme si belle connut les regrets et même les remords; la religion consacra et prolongea son repentir. L'amitié, les lettres, les vertus domestiques l'entourèrent de leurs plus pures jouissances. Sans fonctions et sans titres sous le règne de Bonaparte, il s'imposa un emploi dont l'activité pouvait égaler celle d'un conquérant, quoiqu'en sens contraire. C'était l'homme de tous les secours. Aveugles, sourds-muets, infirmes, malades, blessés, prisonniers, enfans abandonnés, enfans à préserver d'un affreux fléau, enfans à instruire, tout était à la fois de l'empire de M. le vicomte de Montmorency, comme de l'empire du duc de La Rochefoucauld; mais ce dernier, doué d'un esprit plus juste, plus étendu, rendit beaucoup plus utile l'impul

sion continue de son âme bienfaisante. M. de Montmorency vint partager l'exil de madame de Staël et fut bientôt exilé à son tour. Il vit les jours les plus modestes de la congrégation, et ne cessa pas d'en être l'associé le plus fervent et le plus crédule; il ne la favorisa que trop pour l'invasion des emplois.

M. le maréchal duc de Bellune, l'un de nos généraux les plus intrépides et les plus habiles, offrait à la fois une garantie précieuse à l'armée et aux Bourbons qu'il avait suivis dans leurs nouvelles infortunes pendant les cent jours. Mais il ne devait que passer dans le ministère de la guerre.

M. le marquis de Clermont-Tonnerre rappelait un des noms les plus chers aux amis de la monarchie constitutionnelle; celui de son oncle, député à l'assemblée constituante et massacré le 10 août. Jeune, il avait reçu l'instruction solide et variée de l'École Polytechnique. Il entra dans l'armée et devint l'un des aides-de-camp du roi de Naples, Joachim Murat. Comme pair de France, il avait souvent défendu des opinions modérées. Mais bientôt il subit l'ascendant de l'un de ses oncles, le cardinal archevêque de Toulouse, le plus fougueux des prélats ultramontains, et

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Invasion des emplois par la congrégation.

se donna tout entier à l'ambitieuse congrégation; aussi attendait-elle le moment où elle pourrait en faire un ministre de la guerre afin que les jésuites commandassent à l'armée. Du reste ses talens n'avaient rien que de très-vulgaire.

Il fallut voir avec quelle prestesse et quel fin discernement les membres de cette congrégation s'élancèrent sur tous les emplois. Plusieurs sans doute avaient droit d'y prétendre par des actes éclatans de fidélité que relevait une naissance plus ou moins illustre; mais le public fut stupéfait du nombre immense de noms obscurs que le Moniteur proclamait chaque jour. M. Delavau fut chargé de la police de Paris, M. Franchet de celle du royaume. C'était là le poste important. Dieu sait combien de fidèles furent affiliés à la police ainsi sanctifiée! Les postes de premiers commis, de chefs de division dans chacun des ministères furent livrés à l'assaut général de la congrégation; elle ne les obtint pas tous, mais partout elle saisit l'influence principale. Ceux des ministres qui ne lui étaient pas encore dévoués furent bridés et entraînés plus ou moins impérieusement par des commis qui, relevant des jésuites, semblaient posséder un titre supérieur

à celui des excellences ministérielles. On eût dit qu'une statistique fort exacte de tous les emplois était restée collée sur les oratoires de la congrégation pour exercer les méditations des membres du club dévot. Il fallut bientôt leur faire un ample partage dans les ambassades, les préfectures, les places du conseil d'état et de l'instruction publique. Jugez si les évêchés leur manquèrent. Les destitutions pleuvaient. Un club est toujours habile pour fournir des notes secrètes. Le zèle fit taire la charité. Le plus humble congréganiste put s'accommoder d'une souspréfecture, d'une recette particulière, à moins qu'il n'eût pour concurrent un homme d'un nom historique; car le préjugé qui éloignait la noblesse militaire des emplois civils était merveilleusement tombé; il n'en est pas dont on doive moins craindre le retour. Quand la septennalité vint, les députés prirent une part prépondérante dans la distribution des emplois; mais comme un assez grand nombre de ces solliciteurs exigeans appartenait à la congrégation et que les autres en étaient les complaisans, elle n'y perdit rien. Vous croyez sans doute voir le parti royaliste bien indemnisé de ses longues souffrances; il le fut un peu sans doute,

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