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proie à ses désordres et à ses alarmes, la France, catholique ou protestante, s'est jetée dans les bras de la religion chrétienne, disant : « Nous périssons; sauvez-nous; exercez votre action; >> reprenez votre empire; faites tout ce qui sera nécessaire pour

» nous sauver. »

La France, ajoutait M. Guizot, ne peut être sauvée que par le christianisme. Mais à quelle condition? par quels moyens ? Par la résurrection, la propagation, l'action soutenue de la foi chrétienne, de l'espérance chrétienne, de la charité chrétienne. Ce qui nous manque, disait-il, c'est un point fixe qui soit en même temps un point d'appui et un point d'arrêt, un point d'appui pour l'action, un point d'arrêt dans le mouvement. « Nous flottons dans le vide, au gré tantôt des vents qui viennent du monde, tantôt des vents qui viennent de notre âme, sans base, sans digue, sans limite. La religion chrétienne donne ce point fixe qui nous manque et auquel nous aspirons. Les diverses Eglises chrétiennes ne le placent pas toutes au même lieu et ne l'organisent pas sous la même forme, mais toutes le possèdent et s'y réfèrent. Pour nous protestants, il est dans les livres saints, dans cette parole que nous n'avons pas écrite et que nous ne pouvons effacer. Là sont la loi et l'autorité surhumaines et surnaturelles ; là nous nous appuyons et nous nous arrêtons. Là est le point fixe que nous avons à offrir à la société. »

Il manque encore aux âmes un autre principe de vie et d'ordre moral, l'espérance. « Regardez autour de vous et peut-être en vous-mêmes, disait l'éloquent orateur : l'abattement des esprits et des cœurs est général; tant de mécomptes dans le passé! tant de ténèbres sur l'avenir! Le doute du découragement et cette inquiétude tantôt agitée, tantôt apathique, mais toujours stérile que le doute enfante, c'est le mal de notre temps, même parmi les honnêtes gens.

» Le christianisme seul a le remède à ce mal. Dans les sociétés païennes, le découragement pouvait être fondé; elles épuisaient rapidement leur vie morale; quelles que fussent leur force et leur gloire, elles arrivaient bientôt au terme de ce qu'il y avait de bon et de vrai dans les principes imparfaits et impurs qui les avait d'abord fait prospérer; ainsi l'histoire nous les

montre toutes tombant les unes, en Orient, dans une immobilité apathique, les autres, en Occident, dans la décadence et la décomposition. Mais, pour les nations comme pour les individus, le christianisme a des espérances indestructibles et inépuisables, des principes éternels de régénération et de rajeunissement. Venu de Dieu pour ramener l'homme à Dieu, il est en parfaite harmonie, d'une part avec la vérité divine, de l'autre avec la nature humaine, et il a de quoi relever, rafraîchir, renouveler éternellement, si l'on peut se servir ici-bas du mot d'éternité, les peuples qui se donnent à lui. Le découragement n'est pas possible pour les chrétiens, ils ont dans leur âme des forces et devant eux des perspectives infinies. »

Enfin, il nous manque la paix intérieure, « cette paix qui prend sa source dans la confiance que se portent mutuellement les hommes et les diverses classes d'hommes, dans la sécurité morale avec laquelle ils vivent et traitent ensemble. Cette paix est difficile à maintenir au milieu de cette grande extension de liberté qui est l'un des principaux caractères de la civilisation moderne. La liberté, toutes les libertés sont des sources de dissentiment et de luttes qui deviennent aisément des excès, des désordres, des dangers. Pour supprimer l'effet, on comprime alors la cause; pour rétablir la paix, on abolit la liberté. Remède momentané et qui s'use bientôt. La liberté, et la liberté religieuse essentiellement, est devenue un des besoins permanents de notre société. La charité chrétienne est le vrai, le seul remède durable à ses inconvénients et à ses périls. Sous ce point de vue, Messieurs, la charité chrétienne a de nos jours une grande extension à prendre, une belle et salutaire mission à remplir; elle ne se borne pas seulement à vouloir et à faire du bien aux hommes dans leurs misères, elle consiste aussi dans le respect de leurs droits et de leurs sentiments; elle repousse, elle condamne toute contrainte matérielle, tout emploi de la force matérielle dans l'ordre spirituel, et par là elle porte et maintient la paix au sein de la liberté. »

Ainsi, aux yeux de l'historien philosophe, le christianisme répond aux besoins les plus impérieux de la société moderne. Hors de la foi chrétienne, aucun point fixe; hors de l'espérance

chrétienne, aucun courage; hors de la charité chrétienne, point de véritable paix.

Les grands esprits ne descendent pas à l'allusion, à la récrimination déguisée. Ce n'est qu'en remontant aux principes vitaux de la société que M. Guizot s'arrêta un instant à la situation politique nouvelle. Nous assistons, dit-il en terminant, à un étrange spectacle. « Au moment même où les libertés publibliques s'abaissent et reculent, les libertés chrétiennes se relèvent et avancent; c'est dans l'Église chrétienne que se réfugient le mouvement intellectuel et la vie libre qui se retirent du monde politique. »

Là, en effet, serait le remède, et non dans les résolutions empiriques proposées par l'esprit de parti, ou dans les combinaisons chimériques imaginées par quelques hommes d'Etat en disponibilité, plus préoccupés de leurs espérances égoïstes et de leurs rancunes personnelles que des vœux et des besoins de la France.

C'est ainsi qu'au milieu des inquiétudes si graves, causées à la fin de l'année par le déficit des récoltes et par les premiers bruits de guerre européenne, on chercha à émouvoir l'opinion publique par le bruit d'une fusion qui se serait enfin réalisée entre les deux branches de la maison de Bourbon, représentées par M. le comte de Chambord et par M. le duc de Nemours. On publia même le procès-verbal de cet acte, où ne figurait pas, il est vrai, le nom de l'une des principales parties intéressées, c'està-dire M. le comte de Paris. Mais un journal annonça que, sans vouloir engager son fils aîné, dont la majorité approchait, madame la duchesse d'Orléans serait en droit de supposer qu'aussitôt cette majorité venue, le premier soin et le premier devoir de son fils serait de se mettre aux ordres de M. le comte de Chambord.

Il faut bien le dire, ces combinaisons plus ou moins sérieuses, auxquelles il ne manquait que l'assentiment du pays, n'arrivaient pas jusqu'aux masses qui ne se passionnent que pour leurs intérêts présents et véritables.

CHAPITRE III.

RELATIONS EXTÉRIEURES.

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Rôle politique de la France à l'étranger; revirement honorable; aptitude spéciale du gouvernement napoléonien. Querelle avec la république de l'Équateur, réparation obtenue. Convention consulaire avec les ÉtatsUnis de l'Amérique du nord. Traité de commerce et de navigation avec le Portugal. Traité d'amitié, de commerce et de navigation avec le Chili, le droit des neutres et le droit de visite. Convention relative à la télégrephie électrique internationale. Conventions garantissant la réciprocité de la propriété littéraire avec le duché de Nassau, la principauté de Reuss (branche aînée), la principauté de Schwartzbourg-Rudolstadt, la Belgique, etc,

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La part prise par le gouvernement impérial aux luttes diplo matiques de la question d'Orient a été exposée par nous, dans un chapitre spécial, avec trop de détails pour que nous ayons à y revenir ici. Disons seulement quelle situation générale faisaient à la France ces complications extérieures et les menaces de guerre européenne qui venaient inquiéter, à la fin de l'année, un pays où avaient été accueillies avec tant de bonheur les espérances d'une calme et paisible prospérité.

C'était une grande épreuve pour la France que cette crise d'Orient, se déclarant quelques jours, pour ainsi dire, après l'installation d'un régime nouveau. Il s'agissait pour elle de prendre un rôle actif dans la politique du monde. On allait voir si notre pays avait su garder, au milieu de ses récentes convulsions, de son affaissement passager, assez de ressort pour compter

dans cette lutte dont le résultat serait sans doute de déplacer violemment les influences et de modifier profondément l'avenir de l'Europe.

Ce résultat, on pouvait déjà le considérer comme acquis au profit de la France. En une année, la Russie avait perdu cette position d'arbitre de l'ordre et de la conservation en Europe, que lui avaient acquise d'incontestables services. Le terrain perdu par elle, c'est la France qui l'avait gagné, et le monde avait eu le singulier spectacle d'un renversement complet des rôles entre les deux gouvernements. Sorti d'une révolution, l'Empereur des Français avait su, par une sage conduite, se faire le défenseur des droits établis; l'Empereur de Russie, pendant longtemps apôtre des institutions politiques établies, s'était changé tout à coup en un agitateur de l'Europe.

On le voit, si une guerre devait sortir des menaçantes compli cations de l'année 1853, elle ne serait pas au désavantage de notre pays. Une guerre politique était d'ailleurs depuis longtemps. le grand desideratum de la France. Depuis cinquante ans et plus, elle s'était toujours vue isolée en Europe, représentant, bon gré mal gré, le principe révolutionnaire, tandis que les autres Etats semblaient symboliser le principe d'ordre et de conservation. Or, une guerre politique devrait avoir pour premier effet de clore l'ère des guerres révolutionnaires, de replacer la France dans des conditions normales d'existence.

Mais c'était le bonheur singulier du gouvernement impérial de paraître, plus que tout autre, capable de supporter de semblables éventualités. Que fût-il advenu en effet, si, au lieu d'un gouvernement fort, indépendant, la France eût eu un gouvernement forcé de louvoyer entre les partis? La promptitude et la netteté de l'action ne s'en seraient-elles pas ressenties? Au lieu des sophismes intéressés de la presse et de la tribune, au lieu des agitations énervantes et de la diversité des opinions, l'unité de volonté, la simplicité vigoureuse de l'action : le caractère de l'établissement nouveau, peu favorable aux développements de la liberté intérieure, pérmettrait au moins à la nation de reprendre au dehors une place qu'elle avait trop longtemps abandonnée.

La seule difficulté sérieuse qu'eût rencontrée la France, en

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