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qui ne déclarent prescrite que par trois ans toute action publique ou privée à raison d'un délit? (Rés. nég.)

POURVOI DU MINISTÈRE PUBLIC.

Le 26 brumaire an 10, les gardes forestiers dresseut un procès verbal contre plusieurs habitans de la commune de Saint-Pierre d'Albigny, pris en contravention aux lois sur les forêts.

Les prévenus ne sont poursuivis qu'en l'an 12. Ils opposent une fin de non recevoir résultante de ce qu'aux termes de l'art. 8 du tit. 9 de la loi du 29 septembre 1791, toute "action en réparation d'un délit forestier est prescrite par le défaut de poursuite dans les trois mois qui ont suivi le procès verbal.

Le tribunal correctionnel de Moutiers, sans s'arrêten à cette exception, les déclare convaincus, et les condamne.

Plus heureux en appel, ils obtiennent de la Cour de justice criminelle du Mont-Blanc un arrêt qui accueille leurs moyens, infirme le jugement de première instance, et les renvoie de la plainte, attendu que la prescription est acquise.

Pourvoi en cassation de la part du procureur-général près cette Cour, pour violation des art. S et 9 du Code du 3 brumaire an 4.

Du 14 germinal an 13, ARRÊT de la Cour de cassation, section criminelle, M. Viellart président, M. Lachèse rapporteur, par lequel:

« LA COUR, cat-général; Attendu

Sur les conclusions de M. Giraud, avoque les art. 9 et 1o de la loi du 5 brumaire an 4, en établissant des règles générales pour la prescription des délits, n'ont point dérogé aux règles particulières antérieurement établies pour certains délits, notamment à l'art. 8, tit. 9, de la loi du 29 septembre 1791, et que la Cour de justice criminelle a fait une juste application de cette dernière loi en rejetant l'action intentée contre les prévenus;- REJETTE, etc. »

Nota. L'art. 643 du Code d'instruction criminelle a conTome VI.

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sacré les principes reconnus par cet arrêt ; il porte: « Les dispositions du présent chapitre (celles du chapitre 5 con<<cernant la prescription ) ne dérogent point aux lois parti«< culières relatives à la prescription des actions résultantes «de certains délits ou de certaines contraventions. »

La Cour de cassation avait déjà rendu une décision semblable le 19 floréal an 11. Voir le tom. 3 de ce recueil, pag. 465.

COUR DE CASSATION.

Les tribunaux peuvent-ils condamner un père à fournir une pension alimentaire à son fils, lors même qu'il offrirait de le recevoir, nourrir et entretenir dans sa demeure? Rés. aff.) (Cod. civ., art. 210 et 211.)

COIFFARD, C. COIFFARD.

Le père et le fils se doivent mutuellement des alimens: telle est la loi naturelle. Elle est immuable dans son principe; mais son application est susceptible d'une infinité de modifications, même d'inconvéniens. Un fils dans la force de l'âge et de la santé demande des alimens à son père. Satisfaire à sa réclamation, n'est-ce pas encourager sa paresse, favoriser peut-être même son libertinage, dépouiller le père de la modique aisance que ses veilles et son industrie lui ont acquise, pour en voir le fruit dissipé follement par des mains prodigues? Mais n'y répondre que par un refus, n'est-ce pas aussi montrer trop de dureté, livrer au désespoir un homme, sa famille entière? Eh! qui sait à quel excès ne se portera pas cet infortuné, lorsque, manquant de tout, plongé dans une misère affreuse, les premières caresses, les premiers cris de ses jeunes enfans lui demanderont le morceau de pain qui doit prolonger leur triste existence!

Il possède un état; mais cet état est-il capable de soutenir sa famille? A-t-il pu faire les avances nécessaires pour le continuer avec profit? N'a-t-il pas essuyé des pertes? N'en est-il pas résulté des deites qu'il n'a pu payer? Toutes ces considé

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rations rendaient l'application de la règle trop variée pour qué le législateur pût la déterminer d'une manière précise : il a donc laissé à la prudence du juge à statuer sur les demandes de cette nature. Il a pensé que les tribunaux, à portée d'entendre les parties, de prendre des informations certaines, pouvaient seuls apprécier le mérite de cette action et les facultés de ceux contre lesquels elles étaient dirigées : aussi n'a-t-il qu'indiqué le principe, sans entrer dans les détails de l'application.

Le Code civil porte, art. 208: Les alimens ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit. Tel est le principe. Mais si celui qui les doit justifie de son impuissance de fournir une prestation en argent, il veut qu'alors le tribunal en connaissance de cause l'admette à la donner en nature dans sa maison (art. 210); qu'il prononce également si le père ou la mère qui offre de recevoir, nourrir et entretenir, l'enfant qui réclame des alimens, doit dans ce cas être dispensé de payer la pension alimentaire (art. 211). Ce sont ces dispositions qu'il s'agissait d'appliquer dans l'espèce suivante.

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Coiffard, menuisier et père de famille, se trouvant dans le besoin, actionne son père pour qu'il ait à lui payer une pension alimentaire. Celui-ci lui répond par des offres de le recevoir chez lui et de lui faire partager sa table. Il refuse,' et poursuit sa demande judiciairement. Elle est accueillie par le tribunal de Lesparre, qui, d'après des informations, reconnaît que le fils est réellement dans un besoin pressant, que la fortune du père lui permet de venir à son secours, et' de lui payer une pension alimentaire.

Le père se pourvoit en cassation.

On a violé et faussement appliqué, a-t-ou dit pour lui, les art. 210 et 211 du Code civil. Coiffard a fourni à son fils un métier qui devait le mettre à l'abri dela pauvreté ; il a rempli strictement tous les devoirs que lui imposait la nature; il pouvait ne pas aller au delà : nourrir, élever ses enfans et les mettre

en état de gagner leur vie, c'est la seule obligation que strictement elle prescrive. Parvenu à ce terme où l'homme a physiquement acquis tous les moyens de conservation et d'existence, loin de pouvoir rien exiger de son père, il lui doit au contraire des secours, si l'âge, les infirmités, ou quelque cause que ce soit, l'ont mis hors d'état de pourvoir luimême à sa subsistance. Mais le sieur Coiffard, n'écoutant que sa tendresse, ne s'est point attaché au point où un devoir rigoureux lui permettait de s'arrêter: touché de la détresse de son fils, sans en rechercher la cause, il s'est empressé de tui offrir sa table et sa maison. N'ayant point de patrimoine, sa fortune ne lui permet pas de payer une pension aussi forte que celle à laquelle on l'a condamné. Ce qu'il possède des travaux de toute sa vie ne peut fournir, avec la plus sévère économie, que faiblement aux besoins multipliés de la vieillesse, qu'on doit toujours avoir en perspective dans l'âge de la vigueur et de la santé. Si son fils avait travaillé de même, il eût joui de la même aisance; mais puisqu'au lieu d'une vie active et laborieuse à laquelle le destinait sa naissance, il n'a pas craint de se livrer à l'oisiveté, il doit s'estimer trop heureux de trouver dans la bonté paternelle le genre de secours qui lui est présenté.

Quelle raison a-t-il de refuser? Doit-il craindre de vivre encore sous le toit qui l'a vu naître, où il a reçu le bienfait de l'éducation, où il a été formé à la profession qui devait être la base des moyens de son existence et celle de sa prospérité? Ah! sans doute il est effrayé de l'austérité de mœurs, de l'économie sévère, d'un père actif et laborieux, convaincu que tous les instans du jour doivent être utilement employés, et qu'il n'est permis d'en perdre aucun ; il redoute les remontrances de ce père respectable qui le provoquerait sans cesse au travail, et voudrait lui communiquer son ardeur, que les années n'ont point rallentie.

Si ses inclinations sont blessées par l'offre paternelle, son bonheur, celui de sa famille, est attaché à l'adoption de cette offre salutaire, dans laquelle, s'il avait le courage de consul

ter ses véritables intérêts, il ne verrait que des motifs de reconnaissance. Cette prestation pécuniaire qu'on veut forcer le sieur Coiffard à fournir se consommerait dans la maison de son fils, dont elle entretiendrait l'engourdissement et la dissipation; tandis que sous le toit paternel, à l'exemple d'un père estimable, rendu à une vie active, et contractant l'habitude d'un travail continuel, il se ménagerait les moyens de conserver et d'augmenter son léger patrimoine, de donner des établissemens à ses enfans, de jouir et de faire jouir son épouse, dans les dernières années de leur carrière, d'une aisance alors si douce et si nécessaire.

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Le tribunal de Lesparre, en accueillant la demande du sieur Coiffard fils, au lieu de favoriser la cause des mœurs, rabaissé l'autorité paternelle qu'il devait faire respecter, enhardi les projets ambitieux et indécens des enfans indociles et fainéans, et enfiu fourni au public un exemple dont les suites pourraient devenir funestes : il a conséquemment fait une fausse application des articles cités du Code civil.

Du 14 germinal an 13, ARRÊT de la Cour de cassation, section des requêtes, M. Muraire président, M. Ligier Verdigny rapporteur, par lequel:

procureur-général; ·

« LA COUR, - Sur les conclusions de M. Jourde, substitut de M. le Vu les art. 210 et 211 du Code civil; Attendu qu'il résulte évidemment de la disposition de ces deux articles que la quotité et le mode de la prestation des alimens dus, dans les cas prévus, sont laissés à la prudence du juge; —Que dans l'espèce il a été reconnu en point de fait, par le tribunal de Lesparre, qu'il y avait nécessité d'accorder une pension alimentaire au fils du demandeur en cassation; - Rejette, etc. »

Nota. Voir, tom. 4 de ce recueil, pag. 698, un arrêt de la Cour de Nismes, du 12 fructidor an 12, analogue à celui qui précède.

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