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Morny et Desmousseaux de Givré. M. Liadières, pour justifier le vote de confiance qu'il accordaît à l'administration, hit le tableau de la France telle que l'avait donnée la révolution de 1830 à la monarchie de Juillet, telle surtout que l'administration précédente l'avait livrée au cabinet du 29 octobre. Le trouble était alors dans le crédit public. Toutes nos influences étaient perdues; notre ambassadeur n'avait dépassé la frontière d'Espagne que pour assister à la chute et au renvoi de la reine Christine. L'alliance anglaise, qu'on préconisait jusqu'à lui vouloir faire le sacrifice de notre marine, était sur le point de se dissoudre. Le trésor public était grevé de quelques centaines de millions. Enfin, la flotte française rentrait précisément à Toulon, pendant que les Anglais bombardaient Beyrouth et Saint-Jean-d'Acre.

Aujourd'hui, au contraire, le calme était partout: la prospérité était sans exemple; nos influences étaient rétablies en Espagne, en Grèce, en Afrique. La France était respectée à l'étranger. Si on ne la craignait pas, à cause de sa modération, on avait appris à la respecter.

Puis, par de spirituelles citations empruntées à diverses époques de notre histoire parlementaire, M. Liadières montra ce que pensaient les unes des autres toutes ces oppositions, toutes ces minorités si diverses de principes et de but qui, aujourd'hui, cherchaient à se réunir pour écraser une majorité sérieuse, compacte, homogène.

M. Liadiéres terminait par un voté de confiance.

M. Billault rämeda la discussion à la question de majorité. Celle qu'avait obtenue le ministère était-elle suffisante? Non: il l'avouait lui-même. Dans le voté des fonds secrets, il venait provoquer une nouvelle épreuve. Or, quel fait nouveau s'était produit depuis la discussion de l'Adressé ? Quelles circonstances avaient pu changer la situation du Cabinet et faire que ceux qui naguèré votaient contre lui, pussent voter aujourd'hai pour lui?

Dans la situation meme faite au Cabinet par les Chambres et

par le pays, en face de cette méfiance continuelle à laquelle il se trouvait exposé de la part de l'opinion publique, quelle confiance pouvait-il inspirer au dehors, quelle force pouvait-il avoir dans ses négociations?

A ces accusations d'infériorité politique, M. Guizot répondit que la discussion de l'Adresse n'avait pas prouvé, comme on se plaisait à le dire, que la confiance de la majorité dans le Cabinet fût ébranlée. Dans la discussion de l'Adresse, cinq questions avaient été posées à la Chambre, cinq votes émis par elle. Dans un seul de ces votes, sur une seule question spéciale, la majorité de la Chambre s'était trouvée, non pas suivant les principes et la pratique du gouvernement constitutionnel, mais dans l'opinion même du ministère, insuffisante.

Si le ministère n'avait écouté que son penchant et son intérêt personnel, il se fût retiré alors. Il ne l'avait pas fait, parce que, tant que le parti auquel il appartenait se sentait en état de défendre la politique à laquelle il était attaché, il ne devait pas se séparer de lui. Si le parti conservateur s'était ému, le ministère n'eût pas hésité à se retirer.

Mais, d'ailleurs, tous les adversaires sérieux de l'administration avaient eu à s'expliquer sur la situation, au point de vue de leur entrée aux affaires. Ils ne pouvaient pas, ils ne voulaient pas prendre en ce moment le pouvoir. M. Barrot, M. Thiers, l'avaient dit; M. Billault seul ne l'avait pas dit. Cela ne signifiait-il pas que la représentation nationale ne se trouvait pas dans une situation vraie et simple, dans les conditions sérieuses du gouvernement représentatif? Cela signifiait que si le Cabinet succombait, il y aurait dans la Chambre deux pouvoirs: un pro tecteur et un protégé.

Ce qui se passait n'était donc, aux yeux du ministre, qu'une agitation artificielle, passagère. C'était là ce que la Chambre allait décider.

Le scrutin secret sur l'amendement donna 229 boules noires contre 205 boules blanches, et le projet fut adopté par 217 voix contre 41.

La question de cabinet n'ayant pas été posée à la Chambre des pairs, le projet fut adopté après un spirituel discours de M. Molé, et une éloquente réponse de M. le ministre des affaires étrangères (7 mars).

Une interpellation adressée par M. le comte de Montalembert, à l'occasion de la discussion du budget des dépenses, amena, de la part de M. le ministre des affaires étrangères, quelques explications importantes sur la diplomatie française dans le Liban (Chambre des pairs, 15 juillet). Nous ne remonterons pas, avec l'éloquent orateur, à l'origine de la lutte engagée entre les chrétiens maronites et les Druses: la cause de tout le mal, l'honorable pair la voyait dans l'expulsion de l'émir Béchir, chef d'une dynastie éloignée par la jalousie de l'Angleterre, comme spécialement protégée par la France. Une double administration druse et maronite avait été établie sur la demande du gouvernement français, et cependant cette garantie n'avait été qu'illusoire; l'oppression des chrétiens par les Druses n'en était devenue que plus cruelle. Non-seulement des villages avaient été brulés, des chrétiens massacrés dans la prise d'armes du 13 mai; mais des Européens mêmes, des sujets français, des prètres d'un couvent situé dans le village d'Abbey, près de Beyrouth, avaient été assassinés (voy. Turquie). Ce forfait avait été commis en présence des troupes turques. Il y avait eu une partialité révoltante de la part des fonctionnaires turcs dans le Liban, souvent même une complicité évidente dans les crimes commis par les Druses. On avait mème signalé l'agent anglais, à Beyrouth, comme ayant été le principal instigateur de l'insurrection des Druses. On ne pouvait, selon l'honorable pair, expliquer ce monstrueux appui accordé par une puissance chrétienne à ces hordes sauvages, que par la jalousie qu'inspire à l'Angleterre l'autorité séculaire de la France dans les montagnes du Liban.

Tout le mal venait, en définitive, du changement qui avait substitué l'action à cinq, conduite d'accord avec quatre puissances rivales ou étrangères, à cette action indépendante et

unique dont la France pouvait librement disposer autrefois en Qrient.

M. le ministre des affaires étrangères répondit que cette substitution d'une action combinée des cinq puissances à l'action unique et indépendante de la France, avait eu pour cause l'affaiblissement de la diplomatie française à Constantinople, affaiblissement causé lui-même par l'abandon des chrétiens de Syrie dans leur lutte contre le pacha d'Égypte.

La discussion d'un projet de loi relatif à l'emprunt grec fut une occasion pour la Chambre des députés de revenir sur la politique du Cabinet dans cette partie de l'Orient (25 avril). Le projet lui-même ne pouvait au reste donner lieu à aucun débat. M. Duvergier de Hauranne s'en réjouit, constatant, à l'honneur de la France, que, lorsqu'il s'agit de la Grèce, toutes les opinions se réunissent parmi nous, toutes les dissidences s'effacent. Si d'autres cherchent à entretenir, par des exigences intempestives, une agitation perpétuelle en Grèce, et à empêcher ainsi tout bon gouvernement de s'y établir et de s'y consolider, la France, elle, a toujours voulu ce qu'elle veut encore, que la Grèce soit libre, forte, prospère, indépendante surtout. L'histoire des efforts faits, depuis la révolution constitutionnelle de la Grèce, par le gouvernement français, le prouvait suffisamment, selon l'honorable et savant orateur. A l'époque de la formation du ministère Mavrocordatos, le ministre de France à Athènes, M. Piscatory, donna loyalement à un ministère, qu'on appelait le ministère anglais, un appui sincère et énergique. Quelques calomnies qu'on ait pu élever contre les intentions secrètes de M. le ministre de France, il n'en est pas moins évident qu'il chercha à rallier à cette administration nouvelle les partis dissidents, et à constituer au gouvernement une majorité compacte.

L'année dernière, à cette occasion, des interpellations furent adressées sur ces faits au ministère, par M. Lanjuinais. L'honorable député exposa qu'il lui semblait étrange que l'alliance anglo-française en Grèce eût abouti à un ministère exclusivement

anglais. M. le ministre des affaires étrangères répliqua alors que c'était bien assez des rivalités intérieures des partis en Grèce, et que si les trois puissances aggravaient ces rivalités par leurs propres querelles, il en résulterait une situation déplorable. M. Guizot ajouta que l'appui de la France était acquis, quels que fussent les noms propres, à tout ministère qui voudrait sincèrement la force et l'indépendance de la Grèce. Ainsi, le gouvernement français approuvait entièrement la conduite de M. Piscatory, conduite si loyale, si peu hostile à l'Angleterre.

Et pourtant un Anglais, M. Cochrane, avait pú, sans être rappelé à l'ordre, prononcer les paroles suivantes à la tribune du parlement d'Angleterre :

« J'étais en Grèce l'année dernière, et la conduite du ministre de France y était signalée par tout le monde comme honteuse et dégradante. >>

A ces paroles si inconvenantes, sir Robert Peel ne répondit que par des éloges accordés à la science de l'orateur, et par une approbation complète de la conduite de la légation anglaise. Puis, après avoir blàmé quelques actes du ministère grec, et exprimé tout son regret au sujet de la chute du ministère précédent, sir Robert Peel ajouta :

«Quant à la conduite de M. Piscatory, la Chambre m'excusera si je n'en dis rien; je ne pense pas qu'il soit dans les convenances que j'exprime publiquement mon opinion sur un agent étranger.»'

Cette réserve, à la suite de l'insultant langage de M. Cochrane, en disait assez.

Dans ces circonstances, M. Duvergier de Hauranne demandait au Cabinet sa pensée sur l'influence anglaise en Grèce, et sur la politique que la France comptait y suivre à l'avenir.

M. Duchâtel répondit que le gouvernement français entendait ne pas intervenir dans les affaires intérieures de la Grèce, et qu'il devait se borner à donner force et appui à tout ce qui pouvait consolider ce royaume.

La discussion fut fermée par le vote d'un crédit de 526,241 fr.

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