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protesté contre les envahissements du pouvoir temporel sur la liberté de conscience. Tout cela n'avait pas été dissous par ce qui venait de se passer à Rome.

Qu'y avait-il dans la question des jésuites? II y avait un grand embarras pour le gouvernement.

Il y en avait un aussi, M. de Montalembert l'avouait avec peine, il y en avait un pour la cause de la liberté religieuse. Maintenant on ne pourrait plus évoquer devant les défenseurs de la liberté de l'enseignement le fantôme du jésuitisme. Rien n'était fini, rien n'était changé : il n'y avait qu'un prétexte de moins; la question de la liberté de l'enseignement, de la liberté religieuse, restait entière.

Irait-on demander à Rome l'approbation du monopole universitaire? Cela était essentiel, sinon la lutte serait longue encore.

« Une main sur l'Évangile et l'autre sur la Charte, disait en terminant M. Montalembert, nous continuerons la lutte que nous avons engagée contre le monopole; nous vous attendons sur ce terrain-là l'année prochaine. >>

M. Guizot remonta à la tribune pour repousser les expressions si étranges employées par le préopinant: armée catholique, avant-garde, vainqueurs et vaincus. Tous ces mots, faux en eux-mêmes, étaient indignes et de l'Église dont il s'agissait, et de la Chambre devant laquelle ils avaient été prononcés.

«Non, disait M. le ministre, non, l'Église catholique n'est pas une armée campée au milieu de la France; l'Église catholique n'est point en guerre avec le gouvernement du Roi; l'Église catholique n'a point d'avant-garde en face du gouvernement; l'Église catholique est une Église française, française et universelle, qui vit en France sous la protection du gouvernement français, qui profite de ses lois, qui les respecte et qui donne à tout le monde l'exemple de les respecter. Il n'y a point de guerre entre elle et nous. Ce sont là des mots faux et trompeurs, qui ont pu traverser cette Chambre, mais qui ne doivent pas y

rester.»

On reconnaissait qu'il y avait eu dans cette affaire un embarras Ann hist. pour 1845.

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pour tout le monde, un mauvais prétexte pour tout le monde. C'était là une des raisons qui avaient déterminé la conduite dụ gouvernement du Roi. Il avait tenu à ce que personne en France ne prit la congrégation des jésuites pour l'Église catholique, à ce que l'Église catholique elle-même ne se prit pas pour la congrégation des jésuites. Le gouvernement les avait soigneusement séparées; il se félicitait que la séparation fùt accomplie.

Était-ce dire pour cela que toutes les questions fussent résolues, que tout fût fini? Non : la Chambre aurait à résoudre la question de la liberté de l'enseignement; elle aurait à tenir la promesse de la Charte. Mais elle le ferait librement, sans la présence de ce prétexte trompeur, de ce venin qui s'y mélait et qui altérait la question. Les Chambres prononceraient, et alors ceuxlà se soumettraient constitutionnellement à la loi de France, qui se soumettaient aujourd'hui spirituellement à la sagesse de la cour de Rome.

La question de la liberté religieuse fut ramenée encore à la Chambre des députés par quelques observations adressées à M. le ministre des cultes, sur l'autorisation préalable nécessaire à l'exercice public d'un culte. M. Agénor de Gasparin se plaignit de ce qu'à des demandes d'autorisation semblables, adressées, par des protestants, il avait été répondu par des refus. M. de La Rochejaquelein donna, quoique catholique, son adhésion à ces plaintes.

Le 27 avril, à l'occasion de la discussion générale sur le projet de loi relatif aux crédits supplémentaires, M. de Gasparin s'éleva de nouveau contre la manière dont l'administration entend l'article 5 de la Charte, et la prétention qu'elle maintient de soumettre l'exercice public de toute espèce de culte à une autorisation préalable.

M. le garde des sceaux profita de cette attaque pour développer, à ce sujet, le système de l'administration: liberté absolue pour tout ce qui est du domaine de la conscience; mais pour l'exercice extérieur et public d'un culte, protection et surveillance de l'autorité administrative.

Cette sage doctrine, combattue par M. de Tocqueville. fut adoptée par M. de Lafarelle, qui, au nom des députés protestants, ses coreligionnaires, déclara qu'il ne s'associait ni aux réclamations, ni aux préventions de M. de Gasparin. Elle fut, en outre, vivement appuyée par M. Dupin, dont la parole incisive signala l'accord qui s'établit entre les partisans soit catholiques, soit protestants, d'une liberté religieuse illimitée.

CHAPITRE III.

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MATIÈRES POLITIQUES. - Fonds secrets. La diplomatie française dans le Liban.-Politique du Cabinet en Grèce. Projet de loi sur l'emprunt grec. Projet de loi sur la translation du domicile politique. - Propositions : 1° pour l'abolition du vote au scrutin secret; - 2° sur les conditions d'admission et d'avancement dans les fonctions publiques; - 3o sur la responsabilité des agents du pouvoir; - 4o sur les incompatibilités; 50 sur l'adjonction des capacités ;

6o sur la liberté individuelle.

Fonds secrets. La question ministérielle se représentait encore, comme d'ordinaire, à propos du vote des fonds secrets: vote de confiance qui implique l'approbation de la politique du Cabinet. Malgré la faible majorité obtenue lors du vote de l'Adresse, le ministère ne s'était pas retiré; malgré la majorité encore plus douteuse qui avait repoussé la proposition relative aux fonctionnaires publics, malgré l'équilibre établi sur la question de la réforme postale, entre les deux parties de la Chambre, il se présentait encore au combat.

Dans l'exposé des motifs de la demande d'un crédit pour la police secrète, M. Duchâtel posa franchement la question de cabinet, et donna en ces termes l'explication de la position qu'avait acceptée le ministère, en présence des faibles majorités qui l'avaient soutenu, tant dans le vote de l'Adresse que dans d'autres votes moins importants.

<< Si les hommes qui composent le Cabinet, dit le ministre, avaient suivi leur penchant, écouté leur intérêt personnel, ils se seraient retirés; ils auraient laissé à d'autres le poids des affaires. Mais ils ont consulté avant tout leurs devoirs envers le roi et le pays, et les intérêts de la politique d'ordre et de conservation, au succès de laquelle ils ont voué leurs efforts. » ( 10 février.)

Le rapport de M. Debelleyme, remarquable par sa concision,

conclut par une adhésion formelle à la politique générale du Cabinet (18 février).

Un amendement présenté par M. Boudet (21 février) proposait une réduction de 25,000 francs sur le fonds d'un million demandé par le ministère. La question ministérielle était nettement posée.

La discussion générale fut, pour M. Lherbette, l'occasion d'adresser au ministère des interpellations sur deux destitutions récentes, celle de M. de Salvandy et celle de M. Drouin de Lhuys. L'honorable député voyait dans ces deux faits des accidents nécessaires d'une politique qui peut se résumer en deux mots: intimidation, corruption.

M. Guizot, à propos de la destitution de M. Drouin de Lhuys, directeur des affaires commerciales au ministère des affaires étrangères, exposa les principes de l'administration relativement à l'indépendance des fonctionnaires. Le gouvernement, déclara le ministre, respectait en toute occasion la liberté du vote et l'indépendance du député. Mais cette liberté, cette indépendance, devait avoir ses limites; elle devait se concilier avec tous les autres droits.

Qu'un homme, ajoutait M. Guizot, qui approuve, qui soutient la politique du Cabinet, que cet homme, sur une ou plusieurs questions spéciales, vote contre le Cabinet, cela se conçoit. Qu'un fonctionnaire qui est étranger, par ses fonctions, à la politique, qui ne tient que de loin à la direction générale des affaires, entre dans une opposition permanente, cela se conçoit encore. Mais que l'opposition porte sur le fond même de la politique du gouvernement et qu'elle émane des agents prochains, quotidiens, de cette politique qu'ils veulent renverser, c'est là une affaire de loyauté et de bon sens : cela n'est pas admissible, cela n'est pas tolérable.

Après cet incident, la discussion s'éleva aux généralités ordinaires, déjà épuisées dans la discussion de l'Adresse. Attaquée vivement par MM. Joly, de Larcy et de La Rochejaquelein, la politique générale du ministère fut défendue par MM. de

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