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messieurs, mais ce que je soutiens, c'est qu'elle est l'asile dans lequel toutes les âmes inquietes, ardentes, vont chercher la force d'association, l'influence, peut-être la domination. Dans tous les temps et dans toutes les causes il y a des esprits exagérés.

Il y a eu sous la Restauration des esprits exagérés, des royalistes plus royalistes que le roi. Il y a aujourd'hui dans l'ordre religieux des esprits exagérés, impatients de toute règle raisonnable. Je suis convaincu qu'ils viennent chercher dans la congrégation de Jésus la force d'association, de domination. C'est de là qu'ils cherchent à dominer le clergé. Eh bien, messieurs, je crois que vous allez droit à la cause du mal, lorsque vous cherchez à appliquer les tois avec mesure, mais en même temps avec fermeté à ceux qui probablement aujourd'hui sont les provocateurs du trouble auquel nous assistons. Si eu cherchant à appliquer des lois incontestables vous trouvez des difficultés, vous aurez dans les Chambres, je n'en doute pas, une adhésion forte et unanime. Nous ne sommes pas des ennemis perfides, venant vous dire : Jetez-vous dans les difficultés, pour que nous ayons le plaisir de Vous y voir.» Non, qui que vous soyez sur ce banc, le jour où, pour faire triompher les lois du pays, vous rencontrerez des difficultés graves, nous vous apporterons les moyens de les vaincre.

L'acte que je fais aujourd'hui vous prouve que si c'est une difficulté grave dont on vous charge, je consens avec mes amis à en prendre notre part, car si l'on vous qualifie d'une certaine manière, si l'on cherche à vous rendre odieux, nous serons de moitié avec vous. Il n'a pas manqué de conseillers qui nous out dit que les opinions que nous représentions devaient, en songeant à un avenir peut-être prochain, ménager de grandes influences. J'ai répondu, et mes amis ont répondu avec moi, que le désir de faire triompher les lois du pays es: le premier de nos désirs; que notre cause, dût-elle souffrir à quelque degré, dans quelque occasion, de l'energie que nous apporterons dans notre conduite, nous nous y résignerons, car, avant tout, nous voulons que les lois du pays s'exécutent, et que l'esprit sage et modéré de la révolution française triomphe de ses ennemis.

Je le déclare, en mon nom et au nom de mes amis, ce n'est pas une difficulté que nous voulons mettre sur vos bras, c'est une difficulté que nous voulons vous aider à résoudre.»

Après l'éloquent discours de M. Thiers, des explications étaient devenues nécessaires de la part du gouvernement. M. le ministre des cultes vint déclarer que lui aussi reconnaissait que le gouvernement est armé contre des associations religieuses illégales. Les lois qui régissent cette matière n'ont pu être abrogées par l'art. 5 de la Charte de 1830, et pas une des lois anciennes n'est tombée en désuétude. Bien plus, elles n'ont jamais cessé d'être appliquées; mais était-il temps de les appliquer de nouveau? Etait-il, en effet, question d'une collision sérieuse, et se

trouvait-on sous la menace d'une guerre de religion? Non; il y avait eu des imprudences commises; mais le danger ne paraissait pas tellement pressant qu'il fallût précipiter l'emploi des mesures. Le gouvernement était armé : il userait, au besoin, de son droit; mais, dans une question qui intéresse la religion du pays, il fallait laisser au gouvernement une certaine liberté, quant au choix du temps et à celui des moyens.

M. le garde des sceaux, termina en distinguant avec soin la cause des jésuites de la cause du clergé. Des hommes perfides insinuaient au clergé que toute mesure prise contre la société de Jésus serait le signal d'une persécution contre le clergé tout entier. Mais on savait bien qu'il n'en serait jamais ainsi, et si le clergé voulait continuer à se montrer pacifique et modéré, l'État, comme c'est son devoir, le protégerait et l'aiderait à développer ce sentiment religieux vif et profond qui se manifeste aujourd'hui dans le pays.

Cette réponse du gouvernement parut vague à M. de Carné ; mais les interpellations de M. Thiers avaient été si nettes et si vives, que l'honorable orateur s'efforça d'en refuter les assertions. Selon M. de Carné, l'émotion manifestée dans ces derniers temps n'était pas attribuable aux jésuites, adversaires imaginaires et peu réels; tout était venu de ce que le clergé avait pu croire qu'il existe, non dans le gouvernement, mais à côté du gouvernement, des influences qui veulent amoindrir, modifier le dogme déposé entre ses mains. De là ces méfiances mutuelles du monopole; de là ces accusations d'ultramontanisme et cet amour tout nouveau des libertés gallicanes. «Je voudrais bien savoir, ajoutait M. de Carné, si Bossuet, si Fénelon revenaient au monde, s'ils seraient avec vous dans votre force, ou avec nous dans notre faiblesse. A l'époque ou vivaient ces deux grands génies, il y avait une lutte entre les évêques et les magistrats. Bossuet, le gallican, et Fénelon, l'ultramontain, se réunissaient et disaient : «Malheur au royaume, si l'on entend jamais les libertés de l'Église gallicane comme les entendent les magistrats, et non comme les entendent les évêques, v

«Malheur à la France, s'écria, à son tour, M. Dupin, si l'on entend jamais ces libertés comme les entendent les jésuites. »> Ce n'est pas ici une question religieuse, ajouta le spirituel orateur, mais une question politique. C'est, au contraire, défendre la cause du clergé que de chercher à la séparer d'hommes imprudents qui s'attachent à l'Église pour lui nuire. Il y a ici une question politique, la question de l'existence légale et illégale des corporations dans l'État. Il y a des associations de prêtres autorisées par la loi; il y a des congrégations qui ne présentent aucun danger, et qui ne sont pas un État dans l'État; mais la société des jésuites est tout autre chose. Le jésuite n'est pas un individu; c'est un être complexe; il existe à l'état de membre de sa congrégation. Les dangers d'une association pareille sont écrits dans l'histoire : elle a son chef à l'étranger; elle reçoit sa direction de l'étranger. Pour elle, le royaume de France n'est qu'une province et la moins favorisée de toutes. Les autres Français prêtent serment d'obéissance au roi et aux lois du royaume. Le jésuite n'est plus français: il prête serment d'obéissance absolue à un supérieur étranger; il lui sacrifie son individualité; il est entre ses mains comme un cadavre, perinde ac cadaver. La société de Jésus a un caractère essentiellement politique et porte dans ses prétensions temporelles cet esprit dominateur et turbulent qui la fait redouter des souverains et des papes eux-mêmes.

Arrivant à la question de droit, M. Dupin fit observer que l'illégalité de l'existence des jésuites était devenue flagrante et appelait, par conséquent, une répression. Sous la Restauration, ils existaient, pour ainsi dire, d'une manière honteuse : aujourd'hui ils ne se cachent plus. Un procès récent (procès Affnaër, voyez la Chronique) a démontré qu'ils possèdent à Paris une maison organisée, avec son provincial, son économe, son supérieur, etc., maison qui fait les affaires de la congrégation pour la France et pour l'étranger, Voilà donc une association qui brave les lois : la violation est flagrante; il faut exécuter la loi. M. Berryer, qui, le lendemain 3 mai, prit le premier la parole, attaqua l'existence même des lois sur les congrégations,

Et d'abord, aux yeux de l'éloquent orateur, c'était l'existence publique, patente, qui avait, par la loi de 1790, cessé pour la congrégation religieuse; mais le droit de vivre libre dans une communauté, de s'unir pour suivre une ancienne règle, ce droit n'avait point été attaqué par la loi. La conséquence véritable de la loi de 1790 avait été celle-ci : à l'avenir, l'État ne reconnaîtrait plus de vœux religieux, et de pareils engagements n'investiraient plus ceux qui voudraient les contracter d'un droit, d'un caractère public. Le caractère de personnes publiques disparaissait dans les communautés religieuses, et la loi les réduisait à l'état d'individualités librement et volontairement réunies.

Quant au Concordat et aux lois organiques qu'il renferme, bien que quelques articles lui parussent surannés et inapplicables, M. Berryer prétendit que l'exécution en est aujourd'hui aussi complète que possible, et qu'il n'y a pas une congrégation religieuse en France qui ne soit soumise à la subordination la plus absolue vis-à-vis de l'ordinaire.

Arrivant à la question particulière, à la congrégation des jésuites, M. Berryer s'étonna qu'on allat exhumer des arrêts de parlement, et qu'on leur attribuat quelque autorité juridique. En résumé, l'honorable orateur ne trouvait aucune loi qui atteignît les communautés religieuses en tant que communautés. Ce droit de vivre en commun, d'une existence occulte et non patente, les jésuites le possèdent comme tous autres membres de communautés religieuses. S'ils en abusent, il faut réprimer, mais non supprimer une liberté essentielle.

Après M. Berryer, M. Hébert vint chercher à rétablir l'autorité des principes, En fait, dit le savant jurisconsulte, l'ordre des jésuites existe en France. Il y possède des meubles, des capitaux, des immeubles; il s'y livre à tout l'exercice du culte. La congrégation s'avoue elle-mème, se proclame hautement, soit dans la chaire, soit dans la presse, publie des consultations rédigées ex professo pour établir son droit d'existence. Or, celte congrégation ou toute autre qui pourrait se trouver dans une situation semblable aura-t-elle le droit de cité en ¡rance,

malgré la loi, malgré le législateur? Ou cet état de choses est bon, quoique contraire à la loi, et alors il faut changer la loi ; ou cet état est mauvais et légal, et alors il faut par une loi nouvelle interdire les congrégations; ou il est à la foi mauvais et contraire à la loi, et alors il faut l'exécuter. Telle fut l'argumentation de M. Hébert. De ces trois propositions, la dernière étant la seule véritable, à ses yeux, il n'y avait pas à hésiter, la compagnie des jésuites, portée à la lutte et à l'intolérance par l'esprit mème de ses institutions, hostile à la liberté des cultes, s'est montrée partout et toujours l'adversaire le plus dangereux et le plus permanent des deux révolutions auxquelles nous devons nos libertés. Aujourd'hui cette compagnie recommence la lutte et cherche à se faire confondre avec la religion elle

même.

Cet état de choses, continua M. Hébert, est mauvais : est-il contraire aux lois? Laissant de côté les arrèts des parlements qui ne peuvent aujourd'hui avoir aucune valeur légale, bien qu'ils aient conservé une grande autorité historique, oubliant même les lois de 1780 et de 1792 qui, si elles existaient encore tout entières, interdiraient absolument l'établissement de toute congrégation religieuse, le savant magistrat trouva dans le décret de l'an XII, si injustement appelé loi de colère, la première disposition légale qui satisfait à un légitime besoin de retraite et de prière en commun. Ce décret porte que désormais aucune congrégation ne pourra être établie en France, sans ètre autorisée par la loi. Le décret de l'an XII a été confirmé par la loi de 1817 et par la loi de 1825, qui toutes deux interdisent aux congrégations religieuses le droit de recevoir, de posséder et d'acquérir. Depuis 1830, a-t on eu la peusée de modifier cet état de choses établi par une série non interrompue de lois, d'ordonnances et d'arrêts? Non-seulement la législation antérieure n'a pas été ébranlée par la Charte de 1830, mais elle a, au contraire, été confirmée par elle. L'art. 291 du Code pénal sur les associations illicites comprend dans ce nombre l'association religieuse. Si la Charte de 1830 avait détruit l'état de

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