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froideur, la guerre surgirait bientôt: mais on peut être ami sans être allié. Des rapports bienveillants ne sont pas une union intime, un accord complet, une entente cordiale.

M. Liadières fit l'éloge de l'opposition loyale que représente M. Gustave de Beaumont, et, dans de spirituelles allusions à des faits récents, la compara à cette opposition à double face qui s'attaque aux hommes et non aux choses, qui côtoie les deux partis, prète à recueillir les débris de tous les naufrages. Mieux valait cent fois l'opposition franche et sincère qui s'inquiète peu du changement des hommes, si rien ne change dans les choses. M. Liadières déclarait différer entièrement de sentiments avec cette honorable opposition, qui peut s'égarer, mais qu'au moins on reconnaît à son drapeau. Ce drapeau, c'est la haine de l'alliance anglaise, la crainte de l'abaissement du pays. L'abaissement du pays, s'écriait l'orateur. c'est là l'éternel reproche adressé par toutes les oppositions à tous les gouvernements. It a été fait au gouvernement de la Restauration comme au gouvernement de Juillet, au ministère de MM. Laffitte et Dupont de l'Eure comme au ministère du 29 octobre. M. Guizot est placé sous le coup des mèmes accusations que M. Thiers, que le patriotique Casimir Périer lui-même. Ce n'est donc pas, disait M. Liadières, ce n'est donc pas tel ou tel ministère, c'est le pouvoir même que l'on attaque.

L'orateur terminait en faisant une nouvelle allusion à la pensée d'un changement de personnes que n'accompagnerait pas un changement radical de politique.

Ces dernières paroles servirent de texte à une accusation nouvelle portée à la tribune par un éminent publiciste, M. de Tocqueville.

Changer les hommes sans changer les principes, renverser le ministère à l'aide d'une intrigue, sans préoccupation des intérêts généraux, ne serait-ce pas, disait l'orateur, imiter le ministère lui même qui une fois arrivé au pouvoir, a fait succéder aux principes les intérêts, qui s'est appliqué à éteindre le culte des opinions, des souvenirs, la vie politique elle-même, qui gagne

les hommes, non en satisfaisant leurs opinions, mais en leur donnant des faveurs, des places, des emplois, etc. Le ministère, ajoutait M. de Tocqueville, doit périr par une intrigue: il ne mourra que de la maladie qu'il a lui-même inoculée au pays.

Sortant des questions de personnes pour arriver aux grands principes de la discussion, l'orateur voyait au fond de tous les actes du ministère cette pensée que l'alliance intime, complète avec l'Angleterre, est une des nécessités absolues de notre situation politique. Qu'on appelât ce qui se passait une alliance on une entente cordiale, ou une amitié fidèle, il n'en était pas moins vrai que si le ministère prenait l'Angleterre pour pivot de notre politique extérieure, c'est qu'il était poussé par une pente irrésistible à choisir cette nation entre toutes les autres pour s'appuyer sur elle. C'est à cette idée qu'on avait sacrifié, selon l'orateur, la dignité et quelquefois l'honneur du pays. Cette idée, c'était encore celle de M. Thiers, bien que l'application fåt différente chez celui-ci du point de départ; mais, enfin, cette conformité de sentiments entre les deux hommes d'État les plus éminents que possède la France inspirait à M. de Tocqueville de graves inquiétudes.

Cette alliance, en effet, continuait l'orateur, cette alliance avec une nation qui a besoin d'être non pas puissante, mais toutepuissante, ne permet d'amitié intime avec elle qu'à la condition de renoncer aux choses dans lesquelles elle veut être toute-puissante, à la force maritime, par exemple.

L'alliance intime, disait encore l'orateur, est indispensable au gouvernement actuel. Pourquoi cela? Parce que, sans cette alliance continue, qui lui permet de s'appuyer perpétuellement sur le bras puissant de l'Angleterre, de se cacher, dans toutes les questions, derrière l'Angleterre, le gouvernement se verrait obligé de compter quelquefois sur lui-même, souvent sur la nation. Il serait forcé de s'identifier avec l'esprit de la nation, de pénétrer plus avant qu'il ne le fait dans ses passions, dans ses idées, dans ses goûts, de se préoccuper davantage de sa dignité, de sa gloire. Sans cette nécessité fatale, il faudrait tenir la na

tion en haleine, la conduire de sorte qu'elle pût, au besoin, soutenir une lutte. On n'oserait plus la laisser s'endormir dans les intérêts matériels, dans les petites considérations personnelles on serait obligé de réveiller, de ranimer son patriotisme, parce que d'un jour à l'autre on pourrait en avoir besoin. Tout cela, disait en terminant M. de Tocqueville, tout cela est remplacé aujourd'hui par l'alliance anglaise.

M. Agenor de Gasparin acceptait, au contraire, non pas l'alliance anglaise, il n'y avait pas lieu à alliance, mais l'amitié avec l'Angleterre comme la base de la politique conservatrice. Suivant l'honorable député, il n'y avait pas une majorité conservatrice et une ou plusieurs oppositions; il n'y avait, il ne pouvait y avoir que deux partis, le parti de la peur et le parti de la guerre. Vis-à-vis de l'Angleterre, n'était-ce pas provoquer la guerre que de suspecter toutes ses intentions, que de supposer qu'elle est inspirée par un profond machiavélisme dans tous ses actes? M. de Gasparin, lui, comme le ministère, voulait la paix; et parce qu'il voulait la paix, il voulait l'alliance avec l'Angleterre, seule alliance, disait l'orateur en terminant, qui puisse mener à fin les réformes et les œuvres les plus utiles au bonheur du monde.

M. Marie vint à son tour attaquer l'alliance anglaise, et M. de Peyramont monta ensuite à la tribune. Le savant magistrat déplaça la discussion en s'attaquant à l'opposition elle-même. Quelle était son attitude? Depuis quelques années, les questions de politique extérieure s'étaient substituées dans les débats des Chambres, et bientôt après dans les préoccupations publiques, aux questions d'organisation et de politique intérieure. M. de Peyramont voyait là un heureux symptôme de l'état de prospérité et de calme du pays, puisque les partis ne trouvaient plus de griefs suffisants sur ce terrain. Mais les illusions produites par les reproches de l'opposition sur des questions de politique intérieure sont peu redoutables, parce qu'elles sont courtes et quela preuve se fait trop vite contre des accusations semblables. Mais, sur des questions de politique extérieure, non-seulement le sentiment est plus facile à exalter, à égarer, mais la réalité Ann. hist. pour 1845.

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est moins prochaine, et il est plus difficile de ramener ceux qu'on égare. La masse, à qui l'on répète sans cesse que la France est abaissée, que la prépondérance diminue à l'étranger, la masse, qui n'a aucun moyen de vérification, finit par s'attacher à cette illusion, de manière qu'il soit difficile de l'en arracher. Et ce n'est pas là encore le plus grand danger, ajoutait l'orateur. Il y a un danger plus grand encore, lorsque des questions de cette nature deviennent la pâture des partis. Lorsque les luttes des partis qui ont pour objet le déplacement du pouvoir se rencontrent sur ce terrain, ces questions perdent leur véritable nature. Aux préoccupations naturelles qu'elles font naître dans le pays se substituent les passions violentes qui ont pour but le pouvoir. C'est ainsi que toutes les questions avaient été envenimées, la question du droit de visite, celle de Tahiti, celle du Maroc. Et au fond, disait en terminant M. de Peyramont, que voulaient ceux qui avaient précédé le ministère du 29 octobre; que voulaient ceux qui aspiraient à lui succéder? L'alliance anglaise comme lui. Telle avait été au moins la déclaration de celui qu'on s'accordait à reconnaître le compétiteur le plus sérieux du ministère (allusion au discours de M. Molé, voy. plus haut).

Tout le monde voulait l'alliance anglaise, et le seul reproche qu'on adressat au ministère, c'était de compromettre cette alliance. Étrange reproche, et que, selon l'orateur, réfutait suffisamment chacun des actes du ministère.

Le discours de M. de Peyramont avait fait descendre la discussion des généralités dans les particularités de la situation présente. M. Thiers, souvent cité par l'honorable député, dans sa revue des compétiteurs du pouvoir, monta à la tribune pour désavouer sa candidature, et profita de l'occasion pour examiner les actes de ce ministère auquel on cherchait un successeur. Trois de ces actes, trois fautes, faisaient ressortir clairement là marche du Cabinet. M. Thiers se proposa d'étudier ces trois actes en comparant la marche du gouvernement dans les trois questions: le Maroc, Tahiti, le droit de visite.

Et d'abord le Maroc. Une guerre brillante, mais inévitable,

malgré tout ce qu'on avait fait pour l'éviter; un traité sans garanties. On s'excusait par les conséquences de la politique française à l'égard du Maroc; on disait que conquérir encore serait une faute grave, un grave danger. Oui, ce serait une faute, mais il ne fallait pas pour cela se désarmer. Quel moyen de coercition avait-on contre cette puissance, en cas de mauvais voisinage? Une bataille glorieuse comme celle d'Isly? Mais un pareil fait d'armes reste sans résultats, quand il est exécuté par une armée régulière contre des barbares. Un bombardement comme celui de Tanger ou de Mogador? Mais un acte semblable n'atteint que des Maures qui n'inspirent aucun intérêt aux populations de l'intérieur, que des juifs et des chrétiens qu'elles détestent. Détruire les villes du littoral marocain, c'est atteindre si peu les Marocains, qu'ils viennent les piller eux-mêmes. Iĺ fallait donc que le traité entraînât une punition pour le Maroc. Il fallait détruire dans le Maroc cette idée, que la France ne peut rien contre lui. On avait voulu, disait-on, rendre Abd-erRhaman plus fort: non; on avait voulu en finir. Il y avait pour cela deux raisons sérieuses: l'une, l'état où nous avaient laissés nos succès d'Isly et de Mogador; l'autre, la crainte de complica tions avec l'Angleterre. En effet, on avait fait une pointe brillante dans le Maroc, mais rien n'était prêt pour une seconde campagne. A Mogador, la garnison de l'ilot était inquiétée; la marine manquait de vivres, et il n'y avait pas de troupes de débarquement; situation étonnante, du reste, pour une flotte sortie à peine depuis un mois de nos ports. Mais était-ce là lá vraie raison qui avait fait brusquer le traité? Non; car la saison interrompait les opérations, et ce qu'on n'avait pas fait de préparatifs, on pouvait le faire dans l'intervalle qui allait s'écouler avant que la reprise des opérations fut possible.

Mais ce n'était pas là la vraie raison, selon M. Thiers. On avait craint des complications avec l'Angleterre. Autre raison considérable! Et pourtant on se trouvait, à l'égard de cette puissance, dans une position unique pour poursuivre contre le Maroc les satisfactions auxquelles on avait droit. On avait averti l'Angle

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