Page images
PDF
EPUB

de séparation de l'Église et de l'État, constitue le mariage civil, leur était de fait interdite. Cette situation étant intolérable, il fut accordé aux catholiques dissidents de faire bénir leurs mariages par des ministres évangéliques, et il fut permis à leurs prètres de baptiser et d'inhumer, à la condition de faire porter les actes de naissance et de décès sur les registres de l'Église évangélique. C'était là un calcul ingénieux de propagande au profit de l'unité évangélique, rêve constant du gouvernement prussien.

Mais alors se révéla la tendance philosophique de la confession nouvelle. Les principes du radicalisme, du communisme, de la fraternité, se firent jour à travers les professions de foi des Amis des lumières, et l'agitation allemande prit son véritable caractère social.

La lutte se déplaçait donc, et, au lieu d'ètre maintenant entre les catholiques et les dissidents, elle se trouvait être entre les socialistes rationnalistes et les gouvernements établis, qu'ils fussent protestants ou catholiques. Les événements de Leipzig, arrivés à la suite de l'interdiction de la société des Amis des lumières, donnèrent l'éveil aux gouvernements (voy. plus bas, Saxe royale). Ronge et Czerky reçurent la défense de prêcher ailleurs que dans leurs districts respectifs, et déjà eux-mêmes se trouvaient de bien loin dépassés. Le mouvement religieux, qui s'était renfermé jusque-là dans les classes inférieures du pays, commença à gagner les rangs les plus élevés, surtout en Prusse. Une manifestation éclatante eut lieu contre les piétistes de la part des magistrats municipaux de Berlin. Le parti piétiste, représenté dans le conseil royal par MM. Thiele et Eichorn, était accusé de toutes les mesures intolérantes, comme la prescription de l'observation rigoureuse du dimanche, les pratiques religieuses in posées par la force aux malades, le refus de la bénédiction nuptiale aux personnes divorcées. Depuis quelque temps aussi l'invasion des piétistes les plus zélés dans toutes les places des consistoires avait excité des murmures. Les magistrats de Berlin se rendirent donc l'organe du sentiment public, en adressant au roi une lettre dans laquelle ils s'élevaient ou

vertement contre le parti piétiste et où ils attaquaient personnellement MM. Thiele et Eichorn.

En l'absence du roi, M. Thiele avait cru pouvoir étouffer cette affaire en gardant l'adresse dans ses mains. Mais cette manœuvre n'eut aucun succès. La chose parvint aux oreilles du roi, et les magistrats, mandés pour faire des excuses, forcèrent Sa Majesté à entendre la lecture de leur adresse. Cette lecture terminée, le roi demanda aux bourgmestres de quel droit ils se mêlaient des affaires religieuses, déclarant qu'il ne pouvait admettre leur compétence en pareille matière. A lui seul, disaitil, appartenait la direction des affaires religieuses, et les magistrats de Berlin, la ville la plus irréligieuse de la monarchie, étaient moins aptes que tous autres à prononcer sur de pareilles questions. «Sous mon aïeul, ajoutait le roi, Berlin comptait 40,000 habitants et 50 prédicateurs; aujourd'hui la population est de 500,000 âmes, et vous n'avez pas songé à augmenter le nombre des prédicateurs ; vous n'avez pas construit une église. Est-ce là faire preuve d'un grand zèle pour la religion? » Quant aux piétistes, continuait Sa Majesté, ces hommes sages et fidèles à leur Dieu et à leur roi, ce n'était pas aux magistrats de Berlin à les attaquer; le roi ne reconnaissait pas ce droit aux partisans déclarés des nouveaux catholiques, ces hommes qui avaient violé tous leurs serments envers leur Église.

Telle fut l'entrevue des magistrats de Berlin et du roi de Prusse. En vain un ministre recommanda à ceux-ci le secret sur ce qui s'était passé. De retour à l'hôtel de ville, où ils furent reçus avec enthousiasme, les magistrats communiquèrent les détails de l'entrevue au reste du conseil municipal. Les conseillers municipaux déclarèrent qu'ils acceptaient entièrement la solidarité de la conduite que les magistrats avaient tenue dans cette circonstance. (Voy. Doc. hist., partie non offic.)

Enfin, à Dresde, la question fut jugée définitivement et contrairement aux espérances des novateurs. Il fut décidé que la nouvelle Église n'était pas et ne pouvait pas être une société religieuse nouvelle et légalement établie.

Le rapport de la commission ecclésiastique extraordinaire nommée par la première chambre adopta les conclusions suivantes: 1o la commission n'élevait aucune objection contre le concours d'églises protestantes aux catholiques allemands; mais elle s'en rapportait, sur ce point, au gouvernement et aux autorités locales; 2o les baptêmes, les mariages, la communion, la participation des ecclésiastiques aux enterrements, étaient accordés; mais les registres protestants resteraient seuls valables, ceux des néo-catholiques n'auraient aucune valeur; 3° les théologiens qui auraient subi un examen devant un autre rit ecclésiastique d'un État chrétien pourraient seuls ètre investis de fonctions ecclésiastiques; 4° toutes ces mesures seraient considérées comme intérimaires; c'est pourquoi il était décidé que les néo-catholiques n'appartenaient point à une nouvelle Église. L'État les considérait comme voulant sortir de leur Église, et leur laissait la jouissance des droits civils et politiques, à condition qu'ils payeraient les droits perçus jusqu'à ce jour par l'Église catholique.

Telle était, à la fin de l'année, la situation de ce mouvement nouveau qui, accepté d'abord par les gouvernements, avait fini par leur inspirer des craintes sérieuses, et qui, sous un progrès religieux, cachait toute une révolution sociale.

A côté du mouvement néo-catholique, se développe de plus en plus en Allemagne le néo-judaïsme. Si, dans le Hanovre, le parti réformateur est encore en minorité, à Berlin, l'union réformatrice prend de la prépondérance. Une liturgie nouvelle a été introduite, qui semble rapprocher l'élément juif de l'élément chrétien. La tradition rabbinique disparaît tous les jours devant des tendances plus éclairées. Les réformateurs ont, en général, pour but de tuer la lettre et de faire triompher l'esprit, d'inspirer à leurs coréligionnaires des sentiments moraux, de nationaliser le culte mosaïque dans le pays qui est devenu leur patrie, et enfin, d'obtenir pour les leurs les mèmes droits politiques et sociaux dont jouissent les chrétiens, en Allemagne, à l'exclusion des israélites. On ne peut donc qu'applaudir à ce mouvement,

en faveur duquel se prononcent hautement les hommes d'élite de la société israélite en France.

AUTRICHE.

Dans l'Autriche même, commencent à germer les idées de réforme et de liberté. Déjà, en 1844, les états de la basse Autriche s'étaient plaints de la position qui leur était faite. La chancellerie avait répondu :

«En ce qui concerne les questions d'impôts, les vœux des états seront toujours pris en considération; mais la chancellerie se réserve de n'attacher que l'importance qui lui semblera convenable aux vœux concernant les questions politiques. »

Peu satisfaits de cette réponse, les états rédigèrent, cette année, un mémoire qu'une députation fut chargée de remettre à l'empereur. La chancellerie fit observer qu'il aurait fallu suivre la marche naturelle, et faire parvenir le mémoire par le maréchal de la diète. Les états adoptèrent donc, à l'unanimité, un mémoire contenant leurs griefs, le peu de compte fait de leurs représentations, l'interdiction de la publicité des débats, et l'infidélité des soi-disant comptes rendus de la Gazette d'Augsbourg.

PRUSSE.

Les discours d'ouverture des états provinciaux n'avaient renfermé aucune allusion à l'important sujet de la constitution : le programme des questions sur lesquelles les états étaient appelés à délibérer était des plus insignifiants.

Bien plus, une circulaire du ministre de l'intérieur, M. le comte d'Arnim, adressée aux autorités supérieures de la censure, leur recommanda d'exclure des journaux toute pétition illégale. Or, d'après la définition du ministre, fondée sur une loi de 1823 et sur un arrêté de février 1843, toutes les pétitions qui ont trait aux intérêts généraux du royaume, toutes celles qui demandent la liberté de la presse, ou une représentation générale de la nation à Berlin, toutes celles, en un mot, qui

sortent du cercle étroit des intérêts locaux, sont entachées d'illégalité; là publicité des journaux leur est, par conséquent, interdite, et les états n'ont pas à s'en occuper.

La diète provinciale de Silésie fut ouverte, le 15 février, par le maréchal de la diète, prince Adolphe de Hohenlohe-Ingelsingen. Le prince adressa aux députés le discours suivant:

«Le nuage qui, depuis l'année 1841, s'était élevé entre les habitants de Breslau et le roi s'est heureusement dissipé. Il vous est permis d'espérer que le roi accordera, lors de la session prochaine (1847), la constitution d'états généraux que vous désirez si vivement. Le roi est convaincu que la situation exige non-seulement, mais favorise même ce projet.» Les députés répondirent qu'ils regrettaient, à la vérité, que la pétition qu'ils avaient adressée au roi, en 1841, pour obtenir une constitution d'états généraux, eût troublé l'harmonie entre eux et le souverain, mais qu'ils croyaient cependant avoir fait usage d'un droit que nul ne saurait leur contester.

Dans les recès des diètes provinciales des états de Posen et de la Silésie, les vœux relatifs aux intérêts provinciaux ou locaux, les demandes d'améliorations matérielles furent accueillies d'une manière favorable. Le roi donnait son assentiment à quelques propositions et promettait d'en prendre quelques autres en considération. Mais quelques-unes de ces suppliques touchaient à des intérêts plus graves et d'un ordre plus général. Ainsi les états de Posen exprimaient le vœu d'une loi fondamentale. Le roi répondit que ce vœu n'était pas motivé par l'intérêt particulier de la province, et que d'ailleurs il y avait déjà été répondu par un vœu formel dans la déclaration royale du 12 mars 1843. Les États demandaient encore que les noms des orateurs fussent, à l'avenir, indiqués dans les procès-verbaux des diètes, que les magistrats fussent déclarés inamovibles, et qu'il fût interdit de fonder des majorats. Un refus royal accueillit ces demandes, comme aussi celle de la publication des délibérations des conseils municipaux, et le vœu incessamment renouvelé de la liberté de la presse.

« PreviousContinue »