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reproches adressés par la gauche à l'administration. La circulaire invitait l'opposition tout entière à se réunir et à resserrer par des rapports plus fréquents les liens qui unissent ses diverses fractions. On atteindrait ce résultat par la création d'un comité central composé de membres de la Chambre des députés et par la correspondance de ce comité avec des comités locaux de département, d'arrondissement. On appelait l'attention de l'opposition sur les résultats de la loi des patentes et sur les effets de loi nouvelle qui a subordonné le droit de translation du domicile politique à la possession d'une taxe foncière de 25 francs dans le département.

La grande, l'éternelle accusation portée contre le gouvernement représentatif, c'est celle de corruption. Cette année, plus encore qu'à l'ordinaire, cette accusation avait été portée à la tribune. Sans nier que la corruption existe en France, au moins peut-on dire avec orgueil qu'en comparant nos mœurs parlementaires à celles de l'Angleterre et de l'Amérique, nous pouvons être fiers de la pureté de ces mœurs. C'est à cet ordre d'idées que s'attacha M. Guizot, dans un admirable discours aux électeurs des cantons de Saint-Pierre-sur-Dives et de Mézidon, qu'il représente dans le sein du conseil général du Calvados. Ce discours a trop d'importance pour tous les partis, pour que nous hésitions à en reproduire les passages les plus éloquents. Rappelant à la pensée de ses auditeurs les luttes de la tribune auxquelles il avait pris une si grande part dans cette session, M. le ministre ajoutait :

Ces luttes si vives, messieurs, quelquefois si rudes, je ne m'en suis jamais plaint, je ne m'en plaindrai jamais. C'est la condition de la vie publique dans un pays libre. Des hommes que le monde honore, et à côté desquels je tiendrais à grand honneur que mon nom fût un jour placé, ont été tout aussi attaqués, tout aussi injuriés, tout aussi calomniés que moi. Ils n'en ont pas moins continué à servir leur pays; ils n'en sont pas moins restés entourés de son regret. Nous n'avons pas droit de prétendre à une tâche plus commode, et le but que nous poursuivons vaut bien les épreuves de la route qu'il faut parcourir pour l'atteindre.

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D'ailleurs, messieurs, si je suis attaqué, je suis soutenu. Cette réunion qui m'entoure, l'esprit qui y règne, les sentiments qu'elle me témoigne, n'est-ce pas là un grand encouragement, un fort appui? Est-ce au milieu

de vous, messieurs, et en un tel moment que je pourrais penser à élever quelque plainte, à laisser entrevoir quelque fatigue? Et au centre même de la vie politique, dans les grandes assemblées qui ont l'honneur de représenter le pays, l'adhésion qu'a obtenue la politique que je sers, la fidélité, la fermeté avec lesquelles, tout récemment encore et dans les moments les plus difficiles, le parti conservateur a soutenú cette politique, ne permettent pas à un homme de cœur le moindre découragement, le moindre murmure. Certes, il y a là de quoi supporter, de quoi surmonter bien des attaques.

Le dirai-je, messieurs? je trouve qu'on est envers l'opposition, envers la presse, envers les journaux, à la fois trop exigeant et trop timide. On leur demande une impartialité, une modération, une justice que ne comportent guère nos situations réciproques et la nature de notre gouvernement. Ils ont leurs passions, nous avons les nôtres. Acceptons, tolérons notre liberté mutuelle au lieu de nous en plaindre. Plus j'ai vécu de la vie publique et pratiqué le régime constitutionnel, plus je me suis convaincu que la liberté de la discussion, la liberté de la presse, avaient des écarts à peu près inséparables de leur existence. Je ne crois pas ces écarts plus excessifs, parmi nous et de nos jours, qu'ils n'ont été ailleurs et dans d'autres temps; et s'il est juste, s'il est indispensable de les réprimer quand ils touchent à ces choses sacrées qui doivent être au-dessus de toute atteinte, subissons-les sans émotion et de bonne grâce dans le cours habituel de nos travaux et de nos combats. C'est là une part du mouvement, de l'activité de la vie politique, et il en résulte, à tout prendre, beaucoup plus de bien que de mal.

Mais, en même temps que j'accepte franchement et sans me plaindre la liberté de la presse politique, ses écarts, ses injustices, ses rigueurs, je regarde comme une nécessité et comme un devoir de conserver avec elle la plus complète indépendance; de ne me laisser conduire ni par ses avis, ni par le besoin de ses éloges, ni par la crainte de ses attaques. Je m'applique en toute occasion à ne tenir compte que des choses mêmes, des vrais intérêts de mon pays, tels que ma raison les voit et les juge, et je ne me préoccupe point de ce que diront de moi les journaux. Il n'y a de politique digne et sensée qu'à cette condition.

«Permettez-moi, messieurs, de vous engager à en faire autant. Vous qui approuvez mes principes et partagez mes convictions, vous mes amis politiques, acceptez franchement la liberté de la presse, lisez les journaux sans vous irriter ni vous plaindre de leur rudesse, de leur violence; mais gardez avec eux la pleine indépendance de votre pensée; jugez les hommes politiques, non d'après ce qu'ils en disent, mais d'après la connaissance personnelle que vous avez de leur caractère, de leurs antécédents. Appréciez les actes politiques, non d'après le tableau qu'on en fait dans les journaux, mais d'après leurs résultats dans le pays et pour le pays. N'ayez point de colère, point d'humeur contre tout ce mouvement, tout ce bruit que la presse élėve incessamment autour de nous ; mais n'ayez confiance que dans les faits, dans votre propre jugement. Ainsi, seulement, vous ne serez les dupes ni les jouets

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de personne, et vous parviendrez, avec un peu de sang-froid et de patience, à voir les choses et les hommes selon la vérité.

Faisons, messieurs, en ce moment même, un essai de cette méthode. Oublions toute la polémique dont la politique que j'ai l'honneur de soutenir a été et est tous les jours l'objet. Considérons cette politique non dans ce qu'on en dit pour l'attaquer ou pour la défendre, mais dans les faits déjà accomplis par elle, dans ses résultats généraux, acquis, évidents. Que vouliez-vous tous, que voulait la France en 1830? Repousser une agression inique, insensée, contre nos lois et nos libertés; assurer la juste part du pays dans son gouvernement et sa dignité dans le monde; mettre au dedans notre régime constitutionnel et au dehors notre honneur hors de page; faire à la fois, par nécessité et non par caprice, un acte obligé et décisif, au dedans de souveraineté, au dehors d'indépendance nationale, et en même temps ne pas rentrer dans la carrière des révolutions intérieures et des guerres extérieures; maintenir l'ordre en sauvant la liberté; maintenir la paix en disposant seuls, bien seuls, de notre gouvernement et de notre pays. N'était-ce pas là, mes sieurs, je vous le demande, en 1830, je ne dirai pas l'intention réfléchie et raisonnée, mais le vœu spontané, l'instinct vrai, le sentiment général de vous tous qui assistez à cette réunion, de notre arrondissement, de notre département, de la France entière?

«Eh bien, messieurs, quinze ans se sont écoulés depuis ces grands jours. Nous ne sommes pas d'hier, nous avons droit de parler d'expérience acquise et de faits accomplis. Qu'est-il arrivé ? qu'a-t-il été fait depuis 1830?

« Au dedans, le gouvernement représentatif, le régime constitutionnel, se sont déployés, se déploient tous les jours librement et largement; le pays prend part régulièrement et efficacement à ses propres affaires; les grands pouvoirs institués par la Charte marchent d'accord entre eux. C'est là vraiment le gouvernement constitutionnel, la monarchie selon la Charte.

Les libertés publiques sont chaque jour pratiquées, prouvées, développées. Vous assistez aux débats des Chambres; croyez-vous qu'il manque quelque chose à la liberté de la tribune? Vous lisez les journaux; la liberté de la presse vous paraît-elle opprimée ? Vous faites de fréquentes élections; vous apercevez-vous qu'elles soient l'œuvre de la corruption et de la violence? Parce que je vous ai aidés quelquefois à réparer vos églises, à construire vos presbytères et vos écoles, à assurer une carrière à vos enfants, avez-vous cessé de voter librement et consciencieusement? Vous sentez-vous des hommes corrompus? N'avez-vous pas au contraire le sentiment, la certitude que vous profitez, que vous jouissez avec une sécurité entière de toutes vos libertés et de leurs fruits?

Et au dehors, ne voyez-vous pas clairement, certainement, que le but du grand acte de 1830 est bien réellement atteint, que le gouvernement de notre pays est non-seulement parfaitement indépendant en Europe, mais que l'Europe, gouvernements et peuples, lui porte une grande considération, et, en toute circonstance, compte sérieusement et convenablement avec lui? Les grandes questions auxquelles notre honorable président faisait allusion tout à l'heure, et la manière dont elles ont été récemment résolues, n'ontelles pas fourni une preuve convaincante de la juste part d'influence qui nous

appartient, et des justes égards que rencontrent au dehors nos intérêts, nos idées et nos vœux?

Et ces États constitutionnels qui se sont formés autour de nous, que l'Europe a respectés comme nous, qui se sont établis, qui s'affermissent chaque jour à la faveur du mouvement imprimé et de l'ordre maintenu par nous, qui, en fondant ou multipliant leurs institutions, s'appliquent à les rapprocher des nôtres, la Belgique, l'Espagne, la Grèce, ne sont-ce pas là autant de preuves vivantes de l'action, de l'influence, et je crois pouvoir dire avec un légitime orgueil de l'ascendant mérité que la France et son gouvernement exercent au dehors, au profit d'une politique libérale et modérée, qui sait comprendre à la fois les besoins nouveaux des hommes et les conditions éternelles de l'ordre social?

Et tout cela s'est accompli, tout cela s'accomplit chaque jour, messieurs, sans violence, sans guerre. Nous avons réussi à consommer une révolution, à fonder un gouvernement nouveau, au dedans par la légalité, au dehors par la paix. A la grandeur des résultats se joignent la moderation et la légitimité des moyens.

Voilà, messieurs, dans leur ensemble et leurs traits essentiels, les œuvres de la politique conservatrice que nous pratiquons. Voilà les faits tels qu'ils apparaîtraient à un spectateur nouveau qui serait appelé pour la première fois à les considérer.

Je n'hésite pas à le dire, messieurs, et je le dis avec un orgueil juste et permis, car c'est de notre pays lui-même et de notre gouvernement tout entier que je parle, il y a là de quoi être satisfait et fier. Oui, messieurs, ces grands faits, ces grands résultats, beaux et honorables en eux-mèmes, utiles et féconds pour nos enfants comme pour nous-mêmes, qui ont déjà valu au temps présent et qui vaudront au temps à venir tant de sécurité, de liberté, de prospérité, tout cela est l'œuvre du pays et de son gouvernement fermement unis et marchant ensemble dans la voie régulière de nos insti tutions.

C'est au Roi, messieurs, c'est à sa sagesse, à son dévouement éclairé et inépuisable pour la France, que sont dus les premiers hommages de la reconnaissance publique. Et la sagesse et le dévouement du Roi sont d'autant plus précieux, qu'il les inculque et les inspire tous les jours à cette noble famille royale, à ces princes qui ont déjà cherché et trouvé la gloire dans le service de la France. Que notre attachement, que notre dévouement, messieurs, soit le juste prix du dévouement royal; que notre ferme concours soutienne et facilite la sagesse royale. Persévérons, de concert avec elle, dans notre politique de paix et de conservation. L'esprit de suite est la premiére nécessité des gouvernements, et la plus grande difficulté des gouvernements libres. Que le parti conservateur en donne l'exemple, et nos plus simples, comme nos plus grands intérêts, toutes les familles dans leur niodeste existence, comme l'État dans ses glorieuses destinées, en retireront les mêmes fruits et le même honneur..

On se rappelle quel scandale avait excité, depuis deux ans, la question de l'enseignement, et comment la lutte, établie d'a

bord entre l'Université et l'Église, s'était vue bientôt transportée entre l'Église et l'Etat. Par les rapports réitérés des procureurs généraux du royaume, par les indiscrétions d'une controverse irritante, par des aveux publics qui ressemblaient à des provocations, enfin, par une évidence incontestable, le gouvernement avait acquis la certitude que la société des jésuites se réorganisait par toute la France, et que plus de vingt-deux maisons de cet ordre avaient été reconstituées. Les lois du royaume prohibant formellement la corporation des jésuites, le gouvernement était tenu de faire respecter ces lois; mais, mù par un sentiment de conciliation qu'on lui reprocha comme une faiblesse, il voulut, avant d'en venir à l'exercice rigoureux de ses droits, épuiser les voies de la persuasion.

Une négociation fut donc engagée avec le chef de l'Église, et cette négociation fut confiée à un des membres du conseil royal de l'instruction publique, M. Rossi, qui fut envoyé à Rome pour réclamer du saint-siége la clôture des établissements des jésuites en France, des chapelles et des noviciats, et la dispersion de ceux des membres de l'ordre qui s'étaient réunis pour vivre en commun. Il eut à demander, en outre, que ceux d'entre eux qui voudraient continuer à résider individuellement dans le royaume rentrassent dans la catégorie du clergé ordinaire, et fussent soumis à l'autorité des évêques et des curés.

Cette négociation rencontra de nombreuses et grandes difficultés (voy. plus bas États de l'Église); mais, enfin, toutes les demandes faites par le négociateur lui furent accordées, et le supérieur des maisons de jésuites en France reçut de Rome l'ordre de se conformer aux intentions du saint-siége.

On ne pouvait que se féliciter de cette solution pacifique donnée à une question si irritante, et le gouvernement, en recourant à l'intervention du saint-siége, avait montré une fois de plus qu'il est sincèrement attaché à la cause de l'ordre et de la religion.

Deux modifications ministérielles assez importantes eurent lieu cette année : la dernière, dans l'ordre de date, fut celle qui,

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