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de S. M. le roi de Prusse, n'en examina pas moins si le gouvernement français avait dû accepter l'arbitrage, et si cet acte ne portait aucune atteinte à notre souveraineté sur le territoire du Sénégal.

Pour résoudre cette question, la commission avait eu recours aux titres mêmes de notre souveraineté coloniale; ces titres sont consignés dans l'article 9 du traité du 3 septembre 1783, sous la réserve portée à l'article 11 suivant. Voici les textes de ces deux articles:

Art. 9. Le roi de la Grande-Bretagne cède en toute propriété et garantit à Sa Majesté Très-Chrétienne la rivière du Sénégal et ses dépendances, avec les forts de Saint-Louis, Podor, Galam, Arguin et Portendick, et Sa Majesté Britannique restitue à la France l'île de Gorée, laquelle sera rendue dans l'état où elle se trouvait lorsque la conquête en a été faite.

Art. 11. . . . . . Quant à la traite de la gomme, les Anglais auront la liberté de la faire depuis l'embouchure de la rivière Saint-Jean jusqu'à la baie et fort de Portendick inclusivement. Bien entendu qu'ils ne pourront faire dans la rivière de Saint-Jean, sur la côte, ainsi que dans la baie de Portendick, aucun établissement permanent de quelque nature qu'il puisse être..

Selon la commission, le roi de la Grande-Bretagne, en cédant en toute propriété, en garantissant au roi de France la rivière du Sénégal et ses dépendances, avec les forts de SaintLouis, de Podor, de Galam, d'Arguin et de Portendick, accédait évidemment à la conséquence la plus immédiate de ce droit de propriété et de cette garantie, c'est-à-dire à l'entier et plein usage de tous les droits nécessaires à la conservation même de la propriété: or, au premier rang de ces droits, est celui de faire la guerre et d'user des moyens de guerre qu'autorise le droit des gens. L'exercice de ce droit ne peut être entravé par une réserve de simple utilité commerciale, telle que celle qui est mentionnée à l'article 11 du traité de 1783.

Mais l'exercice du droit le mieux défini est soumis à des formes et à des règles qui en protégent l'usage et en préviennent l'abus; la stricte observation de ces règles n'est nulle part plus nécessaire qu'en matière de blocus. En se refusant à toute espèce de transaction sur les principes fondamentaux du droit

maritime, et sur les droits inhérents à notre souveraineté du Sénégal, le gouvernement français avait loyalement reconnu que si, par suite des irrégularités qui avaient précédé, accompagné ou suivi l'établissement et la notification du blocus de Portendick, un préjudice réel avait été apporté à des négociants anglais faisant sur cette côte un commerce régulier, des indemnités étaient dues.

C'est dans cette limite que l'arbitrage avait été déféré à S. M. le roi de Prusse. Les navires auxquels avaient été accordées des indemnités étaient ceux qui avaient été brusquement expulsés du mouillage de Portendick, lorsqu'ils s'y livraient, en juillet 1834, aux opérations réservées par l'article 11 du traité de 1783, ou qui avaient été interceptés, en 1835, par un blocus non notifié. La restriction du droit à indemnité à ces cas spéciaux expliquait l'énorme différence qui existait entre le chiffre des réclamations anglaises et celui des indemnités accordées.

Les relations commerciales des négociants français de notre colonie de Bourbon furent troublées et compromises dans l'île de Madagascar par une funeste collision, suivie d'une expédition malheureuse.

Des traitants français et anglais, établis à Tamatave, sur la côte est de Madagascar, où ils avaient à grands frais créé plusieurs établissements, se livraient paisiblement à leur commerce, protégés par des lois spéciales qui les concernaient. Ces commerçants étaient d'autant plus rassurés sur les intentions amicales de la reine Ranavalo, que le grand juge de Tamatave les avait félicités publiquement, au nom de Ranavalo-Manjaka, de leur conduite et de leur fidélité à remplir leurs engagements envers les Hovas. Mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que ces paroles flatteuses cachaient un piége; bientôt les Hovas devinrent exigeants, et l'idée leur vint de chasser tous les blancs établis chez eux.

Le 13 de mai, il fut signifié aux commerçants anglais et français qu'ils eussent à quitter le territoire malgache, à moins qu'ils

ne consentissent à se soumettre à l'épreuve du tanguin ou poi son, lorsqu'ils en seraient requis, ou à être vendus comme esclaves en cas de délit, et à ne plus abandonner la grande terre de Madagascar. En vain les commerçants cherchèrent à ramener ces forcenés par la douceur, les invitant à faire connaître les griefs qu'on avait contre eux: les Hovas, sourds à leurs remontrances, leur déclarèrent qu'en les chassant, ils s'approprieraient tout ce qu'ils possédaient dans l'ile, ne leur laissant que quinze jours pour terminer leurs affaires. Depuis ce moment, ils furent abreuves d'humiliations, et menacés de la prison si, le 1er juin, ils n'avaient pas quitté le sol malgache, comme s'il était matériellement possible d'opérer dans un si court délai une liquidation commerciale.

Ce n'était pas la première fois que les Hovas avaient conçu le dessein d'expulser les traitants de leur territoire. Déjà, depuis 1834, ces derniers ne pouvaient faire le commerce avec les étrangers que par l'entremise des Hovas. Plusieurs d'entre eux avaient reçu l'ordre de sortir du pays; on leur défendait de voyager dans l'intérieur de l'ile; leurs établissements étaient quelquefois incendiés; on avait été jusqu'à interdire aux blancs de s'établir sur la côte orientale; c'étaient des officiers hovas qui traitaient directement avec les capitaines de navire.

Leur position devenait de jour en jour plus intolérable, et cette politique s'était continuée jusqu'au jour où elle avait éclaté violemment et avait amené de sanglants résultats.

A la nouvelle des menaces qui pesaient sur nos résidents de Tamatave, M. Romain Desfossés, commandant de la station navale de Bourbon et de Madagascar, s'empressa de faire partir la Zélée pour Tamatave, avec ordre au capitaine Fiéreck de se børner à couvrir de la protection du pavillon français les Européens qui lui demanderaient asile et assistance, quelle que fût la nation à laquelle ils appartiendraient; lui-même partit le lende main sur le Berceau. Déjà se trouvait en rade de Tamatave la corvette anglaise le Conway. Le capitaine de ce dernier navire, conjointement avec le capitaine Fiereck, avait essayé, sans

résultat, d'obtenir un sursis du second chef ou grand juge hova : le décret d'expulsion lancé par la reine était exécutoire sur-lechamp, sous peine de mort pour tout agent hova qui chercherait à l'éluder.

Dans ces circonstances, M. Romain Desfossés fit parvenir deux lettres, l'une au gouverneur de Tamatave, l'autre à la reine Ranavalo. En attendant le résultat de ces démarches, des officiers français et anglais furent envoyés à terre pour recueillir les traitants ainsi que tous les objets transportables qu'ils voulaient embarquer; mais ils ne purent mettre le pied sur la plage, que gardaient de nombreux détachements d'Hovas.

Il fallait renoncer à résoudre pacifiquement ces difficultés : on se prépara à l'attaque du fort. Ce fort, bâti en pierre, était protégé par une double enceinte en terre, plus élevée que son parapet, et qui en était séparée par un fossé de 10 mètres environ de largeur sur 6 mètres de profondeur. Les traitants européens, n'ayant jamais pu voir de près ces travaux de défense, n'en avaient aucune idée; ils firent seulement connaître que la garnison de Tamatave se composait d'un millier d'hommes, dont 400 Hovas de troupes régulières, et 600 Betsimisaracs ou Bétanimènes auxiliaires.

Le 15, après la réception d'une insolente épître de Razakafidy, commandant gouverneur de Tamatave, en réponse à la protestation des deux chefs anglais et français, le Berceau et le Conway ouvrirent leur feu sur le fort principal, tandis que la Zélée, placée en tête de la ligne, dirigeait le sien sur la batterie rasante du sud. Le feu des forts y répondit immédiatement, assez bien dirigé par un renégat espagnol.

Un quart d'heure à peine s'était écoulé, que les obus de la petite escadre avaient occasionné un violent incendie dans l'intérieur et les alentours de la batterie hova du nord, qui, à partir de ce moment, fut abandonnée.

A trois heures et demie, un grand nombre d'obus ayant éclaté dans les deux forts, on pensa qu'il était temps de jeter des détachements à terre. 100 marins et 68 soldats du Berceau, 40

matelots et 30 soldats de la Zélée, 80 matelots et soldats de marine du Conway descendirent se former sur la plage. Sous les ordres du lieutenant Fiéreck, capitaine de la Zélée, et du premier lieutenant du Conway, les 300 hommes de débarquement s'élancèrent vers l'ennemi, qui n'avait pas osé sortir de ses retranchements. La batterie rasante du sud fut enlevée et ses canons encloués, malgré la résistance des Hovas, qui furent refoulés dans le fort principal.

Là, dans le fossé qui séparait les deux enceintes, commença une lutte opiniâtre corps à corps, dans laquelle Français et Anglais rivalisèrent de dévouement et de résolution. Le drapeau de Ranavalo, abattu deux fois par le feu de nos bâtiments, était suspendu à une gaule, au bord du rempart. L'élève de 1re classe Le François de Grainville et quelques matelots anglais et français, parvinrent, malgré une vive fusillade des Hovas, à saisir ce pavillon, qui fut partagé entre les combattants des deux nations.

Quarante minutes s'étaient écoulées depuis que les troupes de débarquement occupaient l'enceinte extérieure et le fossé du fort principal: les Hovas s'étaient retirés dans leurs casemates; on manquait des moyens matériels indispensables pour y pénétrer après eux, car les obusiers de montagne du Berceau ne pouvaient servir, les étoupilles ayant été mouillées. Presque toutes les cartouches étaient épuisées. Les Hovas, d'ailleurs, n'osaient plus se montrer à ciel découvert; ils avaient fait des pertes considérables; et, bien que la destruction complète de leur artillerie fût le but primitif de l'entreprise, et que ce but ne fût pas atteint, on dut se retirer sans que M. Romain Desfossés voulût consentir à brûler la ville.

Les Français avaient perdu, dans ce combat, 19 hommes, et 40 avaient été blessés.

Que ferait-on après cette réparation évidemment incomplète? La France se concerterait-elle de nouveau avec l'Angleterre pour tirer de Ranavalo une vengeance plus éclatante et assurer le libre exercice du commerce dans ces parages inhospitaAnn. hist. pour 1845.

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