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L'année qui commençait pour la France semblait apporter l'assurance d'une prospérité sans nuages. Echappé aux menaces d'une crise européenne, le pays pouvait, grâce au maintien de la paix, s'avancer d'un pas plus sûr dans la route du progrès. Au dedans, l'ordre n'était plus troublé depuis longtemps, et la confiance générale secondait les développements de la fortune publique. L'industrie, à peine née, enfantait déjà des miracles, et la faveur publique s'attachait à ces voies de communication si rapide qui sont appelées à décupler la puissance et la richesse des États. Peut-être y avait-il un danger réel dans l'exagération de ces efforts? Peut-être y avait-il quelque imprudence à commencer partout à la fois ces travaux extraordinaires qui devaient engager pour longtemps et soumettre à des événements imprévus le crédit national? Mais enfin, rien alors ne justifiait ces sinistres prévisions, et la situation financière avait paru si forte, que le gouvernement, en présence de Ann. hist. pour 1815.

l'aggravation constante des dépenses publiques, n'avait pas jugé nécessaire d'épuiser les ressources de l'emprunt.

Au milieu de cet état prospère, deux points importants de politique générale avaient failli cependant mettre en péril cette paix dont l'administration du 29 octobre semble avoir fait son étude constante et sa gloire la plus réelle. La question de Tahiti n'était pas terminée encore, lorsque les Chambres se séparèrent. A la nouvelle du désaveu de M. Dupetit-Thouars, la Chambre des députés, on se le rappelle, s'était émue, et cette émotion avait paru être un reflet de l'émotion publique. A la suite de la discussion qui s'était engagée à ce sujet, et où, selon l'opposition, la nécessité du désaveu n'avait pas été suffisamment établie, un amendement, frappant d'un blâme direct et immédiat la résolution prise par le Cabinet, avait été présenté par M. Ducos. Cet amendement n'avait pas été adopté, parce que M. Guizot était venu démontrer à la Chambre qu'elle n'était pas en mesure de juger la conduite du Cabinet avec connaissance de cause. « C'est une affaire qui commence, avait-il dit; attendez qu'elle soit finie avant de prononcer. »

Rien n'était plus juste, et la Chambre s'abstint de condamner dans une cause qui n'était pas instruite. Elle attendit.

Aujourd'hui, les débats allaient se reproduire devant elle, compliqués de nouveaux incidents, le bláme infligé à M. d'Aubigny et l'indemnité promise au missionnaire Pritchard.

L'affaire du Maroc avait commencé et fini dans l'intervalle même des deux sessions. C'était une question neuve pour le parlement. L'évacuation de l'île de Mogador, avant la ratification du traité et contrairement au texte même de ce traité, serait-elle jugée par les Chambres comme elle l'avait été par une partie notable de l'opinion publique, et la représentation nationale verrait-elle entre les deux solutions de ces difficultés la connexité fâcheuse que nous signalions l'année dernière ?

Telle était la situation du Cabinet. Fort par la paix, fort par l'alliance avec l'Angleterre, dont il en a fait la base, il devait chanceler toutes les fois que cette harmonie serait, fût-ce un

instant, troublée, toutes les fois qu'une complication extérieure viendrait menacer la stabilité de cette alliance.

Qu'il bravat l'impopularité sur certains faits où peut s'égarer facilement l'esprit national, il n'y avait là, sans doute, rien de blåmable; mais que la recherche constante de la paix lui fit compromettre la paix elle-même, il y avait là peut-être un danger véritable pour la France et pour lui.

Dans ces deux questions, se résumait donc la situation politique, et dans le jugement qu'en porterait la représentation nationale, pouvait se résumer l'avenir aussi du ministère.

L'année politique s'ouvrit, le 26 décembre, par le discours royal prononcé devant les deux Chambres réunies. Sa Majesté rappelait qu'au moment où la dernière session avait été close, des complications qui pouvaient devenir graves étaient survenues entre la France et l'Angleterre. Le gouvernement du Roi s'était vu engagé avec celui de la reine de la Grande-Bretagne dans des discussions qui pouvaient faire craindre que les rapports des deux États n'en fussent altérés. Sa Majesté ajoutait qu'un mutuel esprit de bon vouloir et d'équité avait maintenu entre la France et l'Angleterre cet heureux accord qui garantit le repos du monde.

« Dans la visite que j'ai faite à la reine de la Grande-Bretagne, pour lui témoigner le prix que j'attache à l'intimité qui nous unit et à l'amitié réci❤ proque dont elle m'a donné tant de marques, j'ai été entouré des manifestations les plus satisfaisantes pour la France et pour moi. J'ai recueilli dans les sentiments qui m'ont été exprimés de nouveaux gages de la longue durée de cette paix générale qui assure à notre patrie, au dehors, une situation digne et forte; au dedans, une prospérité toujours croissante, et la jouissance tranquille de ses libertés constitutionnelles. »

Ce tableau fait par le chef de l'Etat de l'heureuse reprise des bons rapports entre les deux nations ne pouvait faire oublier que ces rapports avaient paru cesser un instant, et on se rappelait, ici avec peine, là avec amertume, que, l'an dernier, le discours royal contenait cette phrase si vite démentie par les événements:

Nous pouvons jouir avec sécurité de ces biens de la paix, car elle n'a jamais été plus assurée. La sincère amitié qui m'unit à la reine de la GrandeBretagne, et la cordiale amitié qui existe entre mon gouvernement et le sien, me confirment dans cette confiance.»

Six mois après cette déclaration si formelle, des complications qui pouvaient devenir graves mettaient en question cette paix qui n'avait jamais paru mieux assurée. Or, ces complications, c'étaient, à Tahiti, la juste expulsion, à la brutalité des faits près, du missionnaire Pritchard, et la juste satisfaction que la France avait dû demander à l'empereur du Maroc.

Si deux actes aussi légitimes avaient suffi pour engager les deux gouvernements dans des discussions dangereuses, où était donc la sécurité de la paix, et quel événement de si peu d'importance pourrait ne pas jeter l'Europe dans les tristes nécessités de la guerre?

L'esprit de bon- vouloir et d'équité avait-il été mutuel? C'est ce que niait l'opposition. La part des concessions avait-elle été la même des deux côtés? Elle se refusait à le croire. C'est ce que le Ministère allait avoir à démontrer.

Ce n'étaient pas là les seuls reproches adressés à l'administration, à propos des discours mis dans la bouche de Sa Majesté. Les rapports de la France avec le reste du monde n'y étaient caractérisés que par cette phrase:

«Mes relations avec toutes les puissances étrangères continuent d'être pacifiques et amicales. »

Ainsi, disait-on, le gouvernement passait sous silence les négociations qui avaient dû s'engager entre la France et la Grande-Bretagne relativement au droit de visite, et il n'était pas encore question de modifier les traités de 1831 et de 1833, et de replacer, conformément au vou exprimé par la Chambre, la marine française sous la surveillance exclusive de son pavillon.

L'année dernière, le roi parlait, et avec une honorable fermeté, de la liberté de l'enseignement. Il n'en était pas dit un mot cette année.

Il n'était pas non plus fait mention de la conversion, bien que cette mesure eût été, de la part de la commission du budget, l'objet d'un vœu explicite.

Cette fois encore, le discours royal proclamait l'équilibre établi dans le budget entre les recettes et les dépenses. Que cet

équilibre fùt apparent ou réel, il semblait qu'il n'y eût rien à craindre pour la situation générale des finances, et c'était là peut-être une satisfaction peu importante donnée à l'opinion publique.

Une phrase qui ne pouvait être accueillie qu'avec joie, comme l'expression sincère d'un fait incontestable, c'était celle qui avait trait au progrès de l'activité nationale et à l'état prospère du pays.

Les deux derniers paragraphes étaient relatifs au mariage de M. le duc d'Aumale et à la part personnelle que prennent le roi et ses enfants à tous les travaux, à tous les dangers de la France. (Voyez le texte de ce discours aux Documents historiques.)

En résumé, ce discours si concis sur les questions les plus importantes semblait avoir été rédigé dans le désir de donner le moins de prise possible à la discussion. On verra qu'elle n'en fut pas moins vive.

Le premier indice des dispositions de la Chambre fut la faible majorité obtenue par M. Sauzet, dans le vote pour la présidence (27 décembre). Un premier tour de scrutin donna, sur 331 votants: majorité absolue 166; 164 voix pour M. Sauzet, 84 pour M. Dupin, et 63 pour M. Odilon Barrot. Au second tour de scrutin, M. Sauzet fut nommé par 177 voix contre 129 réunies sur M. Dupin.

Le scrutin pour la nomination du vice-président fut encore plus significatif. Deux candidats conservateurs, MM. de Salvandy et Bignon, et un des candidats portés par l'opposition, M. Dufaure, furent élus au premier tour de scrutin: MM. de Salvandy et Bignon par 172 voix, M. Dufaure par 153; majorité absolue, 152 sur 303 votants. Pour la quatrième place, les voix se partagèrent entre M. Debelleyme, candidat conservateur, et M. Billault, candidat de l'opposition. Le premier obtint, au premier tour de scrutin, 150 voix, au second, 145; le second réunit, au premier tour de scrutin, 146 voix, au second, 150.

Un scrutin de ballottage, fait le 29 décembre, donna la majorité à M. Debelleyme. Mais cette majorité n'était pas une

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