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peut-être une des voies les plus sûres et les meilleures pour parvenir à d'heureuses innovations. Dans tous les cas, on trouverait l'avantage d'approfondir les grands principes de la législation, dans ce parallèle d'institutions différentes.

Certes ce cadre est vaste. Cependant la commission n'a pas la prétention de tracer un cercle dont vous ne puissiez sortir, ni surtout d'avoir détaillé tous les sujets et toutes les questions qui devront vous occuper. Elle n'a voulu qu'indiquer les différens ordres d'idées auxquels il lui a semblé convenable de ramener les travaux de la conférence projetée.

Du reste, chacun de vous pourra, suivant son goût, ses souvenirs, ses notes, ses réflexions particulières, se créer un thême qu'il traitera à sà manière, ou même indiquer des sujets de travail à ses confrères.

Quant au mode de réunion il sera simple.

A chaque séance, un ou deux membres se chargeront d'offrir un travail pour la séance suivante. Quand ce travail sera prêt, l'auteur convoquera ses confrères pour l'entendre. Chacun lui soumettra ensuite ses avis ; censurant sans amertume ce qu'il croira convenable de supprimer ou de retoucher; louant sans flatterie ce qui lui paraîtra digne d'éloges : Et c'est ainsi que, nous efforçant de concourir au bien de l'ordre, nous aurons la double satisfaction d'être utiles, et de resserrer entre nous, par d'agréables communications, les deux liens de la confraternité.

SECTION XVII.

SUR LA MANIÈRE D'EXERCER LES DIFFÉRENTES PARTIES DE LA PROFESSION D'AVOCAT, ET EN PARTICULIER SUR LES CITATIONS.

(Sixième lettre de CAMUS.)

La lettre dont vous m'avez honoré, monsieur et cher confrère, m'annonce tout ce que le public est en droit d'attendre de vous. Vous me parlez des lois, non-seulement en

homme instruit, mais en homme passionné : il est impossible de ne pas réussir dans une profession que l'on embrasse avec tant d'ardeur. Un seul mot de votre lettre m'a fait de la peine, c'est l'endroit où vous me demandez des avis: il vous appartient à vous d'en donner aux autres. Je n'ai écrit que trop, lorsqu'il s'est agi de vous engager à embrasser la profession d'avocat. Vous voulez que je vous dise de quelle manière il faut traiter les différentes parties qui dépendent de notre profession : en vérité, c'est pure habitude de me demander encore des conseils; vous n'en avez nul besoin.

Le travail d'un avocat peut être distingué en plusieurs parties c'est ou un plaidoyer, ou un mémoire, ou une consultation, ou des écritures, ou un arbitrage. Chacun de ces genres se rapproche sous certains rapports, il s'éloigne sous d'autres ; et tous se différencient à raison des objets qui sont à traiter, aussi bien qu'à raison de la forme : elle ne saurait être la même dans un plaidoyer et dans une consultation.

Le plaidoyer est un discours prononcé à l'audience pour le soutien d'une cause ; quelquefois il est suivi d'une réplique, c'est-à-dire, d'un second discours destiné à combattre les moyens de l'adversaire. Le plaidoyer de celui qui n'attaque point, mais qui se défend, et qui par cette raison ne parle qu'après son adversaire, doit ordinairement contenir les deux parties, le plaidoyer proprement dit et la réplique, dans un seul et même discours.

re

L'âme de tout plaidoyer est l'éloquence, mais, surtout, cette éloquence solide qui consiste plus dans la force du raisonnement, que dans les fleurs de l'élocution. Ses qualités essentielles sont la clarté et la concision. Rien ne saurait suppléer au défaut de clarté. Il n'est pas possible qu'un auditeur, qui hésite sur le sens des mots qu'il a entendus, vienne sur ses pas, et écoute une seconde fois ce qu'une prononciation rapide a promptement entraîné. L'impression doit se faire sur l'esprit du juge, à l'instant où la parole sort de la bouche de l'avocat : autrement, ce qu'il a dit est perdu; et, loin de servir à la cause, il peut lui nuire.

La concision n'est pas moins importante. Comparez, mon cher confrère, votre état lorsque vous lisez, avec ce même état lorsque vous entendez parler. Quand vous lisez, vous êtes en même temps le juge et le maître de votre attention. Elle commence à se fatiguer, vous fermez le livre, que vous reprendrez dans un moment plus favorable: pareillement si, dans le cours de votre lecture, il se rencontre un endroit qui vous semble ou diffus, ou prolixe, vous le parcourez rapidement, et vous allez plus loin à l'objet qui vous intéresse. Rien de ceci n'a lieu quand on est réduit à la fonction d'auditeur. C'est donc à celui qui parle à employer tous ses soins pour ne fatiguer l'attention du juge, ni par un discours dont la durée soit trop longue, ni par des dissertations trop étendues. La mesure de l'attention est nécessairement bornée; et, lorsqu'une fois elle est remplie, tout ce que l'on ajoute, bon comme mauvais, s'écoule et se perd. Un client peu instruit dans les affaires s'imagine que sa défense ne saurait être trop ample. Dans le récit du fait, les moindres particularités lui paraissent importantes, parce qu'elles l'intéressent dans le détail des moyens, les plus faibles raisonnemens lui semblent décisifs, parce qu'ils sont à son avantage. Mettez-vous à la place du juge; considérez ce qu'il sait, ce qui lui est familier, ce qu'il sera porté à croire par les impressions dont il peut être affecté; ne vous appesantissez pas sur des faits dont il est instruit, ne l'ennuyez point en l'instruisant de ce qu'il connaît; mais faites usage de ces notions sur lesquelles il ne s'élève point de doutes dans son esprit, efforcez-vous de lui présenter vos moyens comme n'étant que l'application des principes sur lesquels il n'hésite pas.

Distinguez ensuite, mon cher confrère, les audiences où vous avez à plaider. Il en est de solennelles, dans lesquelles vous avez à parler au public en même temps qu'aux juges. Votre discours, préparé avec soin, doit être alors plus orné; mais n'oubliez jamais que le style diffus, la superfluité des raisonnemens, le luxe des paroles, pour user de ce terme, ne sont point des ornemens, mais des vices. Dans d'autres audiences, l'unique préparation doit consister à s'être instruit

parfaitement de l'affaire qu'on va plaider, à l'avoir envisagée sous toutes les faces dont elle est susceptible: les moyens, les raisonnemens, l'art, en un mot, que l'on emploiera, doivent être l'effet de la réflexion du moment. Présentez rapidement le fait; voyez les circonstances qui font impression; tâchez de les rappeler adroiteinent dans la suite de votre discours; oubliez les autres. De même par rapport aux moyens : tâtez, si je peux parler ainsi, l'esprit du juge. Vous avez annoncé un moyen : il n'a pas fait impression; passez promptement à un second ; et si le premier ne doit pas être négligé, qu'il ne reparaisse que sous une forme absolument différente de celle qu'il avait. Au contraire, voyez-vous que l'on soit frappé du moyen que vous développez? insistez-y, portez votre raisonnement jusqu'à l'évidence; et, au moment où la conviction est opérée, cessez de parler : que le juge prononce, tandis qu'il est plein des idées qui l'ont

ému.

Le genre d'éloquence que vous employez ne doit pas moins varier, selon les sujets que vous avez à traiter. Vous défendez un citoyen que l'on calomnie: parlez pour lui avec la fierté et la grandeur d'âme qui appartient à un homme dont la conduite est irréprochable; terrassez la calomnie en vous élevant au-dessus d'elle; rendez votre adversaire vil comme le mensonge qu'il a eu la bassesse d'employer. Demandez-vous une grâce? intéressez la compassion, la pitié, mais évitez de vous rendre méprisable. Un adversaire que vous avez eu le malheur de blesser, par légèreté plutôt que par envie de nuire, aggrave-t-il vos torts pour obtenir une vengeance plus sévère? vous avez deux armes à employer contre lui: le ridicule, dont il s'approche lui-même, en exagérant des fautes légères; le sang-froid, par lequel vous glacerez bientôt les esprits qu'il a échauffés contre vous. C'est dans des causes de ce genre que les ressources de l'art oratoire peuvent être employées avec plus de succès : usez-en, mais rejetez ces ressources communes, ces figures triviales, dont l'effet est nul sur l'esprit des personnes éclairées.

Ne s'agit-il plus d'une question de fait, mais d'un point

:

de droit digne de fixer l'attention des juges? que les faits et leurs circonstances s'expliquent en un mot n'en parlez qu'autant qu'il est nécessaire pour poser exactement les termes du problème à résoudre, puis attirez toute l'attention du juge sur la démonstration de la solution que vous proposez. C'est alors qu'il faut de la gravité sans pesanteur, de la science sans érudition; discutez et ne dissertez point; montrez le vrai, sans qu'il paraisse qu'on ait été obligé de le chercher; enfin, que par la manière même dont vous vous exprimez, il semble qu'il n'y a pas une de vos preuves qui ne puisse, au besoin, être soutenue de nouveaux raisonnemens plus pressans que ceux que vous avez développés.

Je passe à la composition des Mémoires. Loisel nous a conservé le nom de celui qui introduisit au palais l'usage des mémoires ou factums: ce fut un avocat nommé de la Vergne, gendre de M. le premier président Lemaître, qui vivait du temps de Pasquier. Aujourd'hui l'usage des mémoires est devenu très-commun : il est peu d'affaires importantes où l'on n'en imprime; mais leur objet varie selon les circonstances, et la forme qu'on doit leur donner varie aussi, soit selon ces mêmes circonstances, soit selon la nature de l'affaire que l'on doit traiter.

Quelquefois un mémoire a pour objet de faire connaître au public une affaire importante, dont l'instruction est secrète; de justifier, par exemple, un accusé. Il faut alors plus de détails; le mémoire doit contenir le récit entier des faits; il doit développer tous les moyens. Les mémoires que l'on distribuera dans une affaire qui a été plaidée publiquement seront plus courts: ce seront des précis et des sommaires; leur objet unique est de rappeler à l'esprit des juges les principaux points de la défense qu'ils ont entendue, et l'on ne doit pas leur faire l'injure de croire qu'il soit nécessaire de leur répéter par écrit tout ce que l'on a dit de vive-voix. Il est d'abord à propos de considérer pour quelles personnes on écrit. C'est pour des hommes instruits, dont tous les momens sont partagés entre les différentes fonctions de la magistrature: quoi de plus raisonnable que de respecter leurs

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