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nos traditions

devoir que mon honorable prédécesseur a su remplir avec tant d'assiduité et de dévouement.

Ce serait une erreur de cro`re que l'on sort des écoles de droit avec toutes les connaissances nécessaires à l'avocat. Sans doute, on y apprend tous les élémens de la science, et trop d'éloges ne sauraient être accordés aux savans professeurs qui en déduisent les préceptes dans leurs leçons, et qui les fixent dans leurs doctes écrits. Honneur surtout à ceux d'entre eux qui, s'affranchissant d'une marche trop routinière, savent quitter les gloses pour s'attacher aux textes, remonter aux sources, interroger l'histoire, user de critique, et emprunter à l'esprit du siècle une activité inconnue à leurs devanciers! Mais en rendant un juste hommage aux profondeurs de la théorie, on ne niera pas qu'il reste à l'homme des écoles à se rendrecapable d'appliquer ses abstractions aux affaires de la société.

S'il veut être avocat, juge, arbitre, homme utile à ses concitoyens; s'il veut consulter, plaider, bien juger, tracer des conventions, diriger une procédure, faire valoir un droit; de nouveaux exercices lui sont nécessaires pour donner à ses premières études tout le développement pratique que comporte la profession d'avocat.

L'orateur romain, que j'essaie ici de traduire, distinguait, avec une sorte d'orgueil quelque peu aristocratique, deux espèces de jurisprudence: l'une, pleine d'humilité et de simplesse, à l'usage des moindres citoyens, villageoise pour ainsi dire, et qu'on pourrait appeler, dans le langage moderne, la jurisprudence de la petite propriété; l'autre, au contraire, élevée, sublime, applicable aux plus grands intérêts de la cité, et digne d'être cultivée par les plus nobles esprits; celle-ci, comme la nature elle-même, immense, universelle, dont il faut aller puiser les élémens, non dans l'édit du préteur, mais dans les intimités de la philosophie; source féconde, qui, une fois découverte, nous laisse apercevoir sans peine l'origine de toutes les lois et le fondement de tous les droits (1).

(1) Una, humilis, simplex, et ut ita dicam, villicana, ad viliorem

C'est sans doute à cette jurisprudence qu'il faut appliquer la définition qu'en ont tracée les jurisconsultes romaius, lorsque, pour en donner la plus haute idée, ils l'ont appelée avec une sorte d'emphase, divin arum atque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia: vaste science, en effet, qui s'applique à tout ce que les lois ont pour objet de régler; à tous les droits, à tous les devoirs, à toutes les obligations; à tout ce qui, sur la terre, peut s'appeler juste ou injuste.

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S'il y a deux espèces de jurisprudence, il y a aussi deux classes de légistes les uns n'aspirent qu'à se rendre capables de la direction ou de la défense des intérêts privés ; d'autres veulent réaliser, dans toute son étendue, l'idée qu'on se fait du véritable jurisconsulte. Pour ceux-ci, de nouvelles études, des études plus relevées et plus complètes sont indispensables. Si tel est le but que vous voulez atteindre, ne vous contentez pas d'être licenciés en droit : étudiez encore la philosophie, l'histoire et la haute littérature; vous le pouvez facilement aujourd'hui que ces cours sont professés, près de vous, par des hommes aussi honorables par l'élévation de leur caractère, que distingués par l'éminence de leur talent (1).

Etudiez la philosophie; non cette scholastique obscure et futile qui, se comprenant à peine elle-même, ne peut que bien difficilement se communiquer à ses adeptes; mais cette philosophie morale et pratique (2) qu'anime et que rehausse le sentiment religieux, qui est fondée sur la nature et l'orga

usum plebis comparata: altera verò, excelsa, digna quæ à maximis ingeniis coleretur; uempè, ut ipsa natura, universalis, ingens: que non à prætoris edicto, sed ex intimà philosophià haurienda esset; et undė, semel explicatà, fons legum et juris inveniri facilė posset..... Et ailleurs..... Quid enim est tantùm quantum jus civitatis? Quid autem tam exiguum, quàm est munus hoc eorum, qui consuluntar, quanquam est populo necessarium? De legibus, lib. I.

(1) MM. Villemain, Guizot, et Cousin adjoint de M. Royer-Collar 1. (2)..... Justitiæ sacerdotes..... veram philosophiam, non simulatam affectantes. Loi Ire., ff. De justitiá et jure.

nisation de l'homme, sa dignité propre, la connaissance éclairée de ses droits, et la conscience intime de ses devoirs, envers Dieu, envers la patrie, envers les autres hommes; cette philosophie que nous irions chercher encore à l'école de Platon et de Socrate, ou dans les offices de Cicéron, si elle n'avait pas trouvé son complément et sa sanction dans un livre plus parfait.

La littérature que je désire voir cultiver à l'avocat n'est point cette littérature bizarre et forcée qui, méprisanț tous les modèles et dédaignant toutes les règles, se morfond à rechercher des effets extraordinaires, sous prétexte d'atteindre à de nouvelles beautés qu'elle est encore à produire! mais j'entends parler de cette littérature forte et raisonnable qui a pour base le naturel et le vrai, et qui, appliquée à l'art oratoire, se fonde sur l'imitation libre des grands écrivains que le suffrage des siècles éclairés a recommandés à notre juste admiration. C'est là et dans l'étude de la nature que vous irez chercher les grandes pensées, les belles images, les généreuses inspirations, et cette connaissance du cœur humain indispensable pour en déduire toutes les combinaisons et tous les mouvemens qui peuvent assurer le triomphe de la justice et de la vérité.

L'histoire, en tout temps et surtout à l'époque où nous nous trouvons, doit être l'objet des méditations de l'homme qui veut être orateur et publiciste. Voyez Cicéron : au Forum comme au Sénat, jamais il n'est plus fort, plus entraînant, plus beau, que lorsque s'interrompant tout à coup au milieu d'une discussion, d'une preuve, il appelle en témoignage la vie ou les maximes de quelqu'un de ces grands hommes qui avaient fait la gloire de Rome aux plus beaux jours de sa prospérité! Et Démosthène, fut-il jamais plus éloquent, plus sublime que dans sa harangue de la couronne, lorsqu'ayant à se justifier du reproche que lui adressait Eschine d'avoir conseillé des guerres fécondes en désastres, il adjura les mânes des guerriers morts à Marathon, à Salamine, à Platée, et leur demanda si la Grèce n'avait eu de couronnes que pour les victorieux, et si elle n'en avait pas aussi décerné à la va

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leur malheureuse et au patriotisme déçu dans ses plus légitimes espérances? Mais cette étude aussi doit recevoir une direction particulière appliquée à notre profession. Sans négliger la connaissance des faits, l'avocat doit principalement s'attacher à l'historique des institutions: il faut savoir en rechercher l'origine, découvrir les élémens de leur formation, les suivre dans leur perfectionnement et les observer jusque dans leur déclin. C'est au jurisconsulte qu'il convient, suivant le conseil de Montesquieu, « d'éclairer les lois par l'histoire, et l'histoire par les lois.» Ayez donc toujours deux livres ouverts sous vos yeux, et conférez-les soigneuse ment le livre des faits dans lequel vous chercherez à démêler le vrai d'avec ce que les apparences ont souvent de trompeur; et le livre des lois que vous n'isolerez jamais des circonstances contemporaines qui ont influé sur les actes de la législation.

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Approfondissez l'histoire de votre pays, de cette France si belle et presque toujours malheureuse, pour avoir été livrée aux factions et mal gouvernée. Lisez tant que vous le pourrez les relations et les actes des états généraux et les ordonnances rendues à leur sollicitation. Feuilletez les registres du Parlement (1): là, vous trouverez, en parcourant les harangues de nos grands magistrats, des discours inspirés par le patriotisme le plus pur et le plus éclairé; des morceaux dignes de l'antiquité, dans ce qu'elle eut de plus vertueux et de plus grand; et vous resterez convaincus de la vérité de ce qu'a dit un illustre écrivain : « Qu'en France, c'est la liberté qui est » ancienne et le despotisme qui est moderne. » C'est là que vous verrez, dans ce qui retrace le mieux leur image, puisqu'on y trouve l'empreinte de leur génie, les harangues de

(1) Outre les minutes originales, qui reposent aux Archives judiciaires et les recueils partiels qu'on a publiés, il en existe plusieurs copies fort belles dans les bibliothéques particulières, où il est toujours possible de les consulter. (Celles de M. Delessert, de M. Boissyd'Anglas, de monseigneur le duc d'Orléans, confiée à la garde de M. Casimir Delavigne.) M. Delessert m'a promis de donner son exemplaire à notre bibliothèque.

L'Hôpital, de Servin, d'Omer Talon; là, vous rencontrerez les noms glorieux des Lavaquerie et des Molé; des de Harlay et de Malesherbes.....; Malesherbes, organe imposant des sages et véridiques remontrances de la magistrature, quand son prince était sur le trône; et le consolateur assidu de ce roi malheureux (1) dans une prison où le secours du barreau n'a point manqué à la plus illustre des infortunes.....

Relisez aussi, croyez-moi, nos vieux jurisconsultes : ils sont trop négligés. Gardons-nous de les oublier, et de les laisser tomber en désuétude. Au mérite d'un style qui, dans sa franchise, a souvent toute l'énergie et la précision des langues anciennes à la naïveté qui n'exclut pas la finesse, et qui place plusieurs d'entre eux, tels que Loysel et Pasquier, sur la ligne de Montaigne et d'Amyot, ils joignent la solidité des principes, la rectitude des raisonnemens, une érudition, j'en conviens, excessive alors, comme elle est trop faible à présent; mais, en tout, une connaissance approfondie des sujets qu'ils traitent, et une source féconde pour quiconque y saura puiser avec discernement. Dans cette partie de vos études, ne craignez pas de vous égarer en rebroussant chemin. Pour arriver aux mines d'or, il faut percer les entrailles de la terre. De même, traversez, s'il le faut, plusieurs siècles, et pénétrez jusqu'aux temps où écrivaient Bodin, Coquille, Loyseau et Dumoulin.

Bodin, il est vrai, malhabile à la plaidoirie et même à la consultation, mais savant publiciste, député indépendant aux états de Blois, et qui sut sacrifier à son devoir la faveur dont il jouissait à la cour de Henri II. Ce jurisconsulte connaissait à fond l'ancienne constitution de la monarchie

(2) On lit sur le monument élevé à Malesherbes dans la grande salle du Palais de Justice, cette inscription, qu'on prétend avoir été composée par Louis XVIII :

STRENUÈ SEMPER FIDELIS,

REGI SUO

IN SOLIO VERITATEM,
PRESIDIUM IN CARCERE,

ATTULIT.

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