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Cet historien de notre ordre nous montre les avocats tels qu'ils furent dans des temps bien anciens, et tels néanmoins qu'il importera t qu'ils fussent encore aujourd'hui. Vous y verrez leurs habitudes et leurs occupations décrites avec une attrayante simplicité; comment ils passaient leurs après-díners, se réunissant entre eux pour deviser sur les objets qui intéressaient leurs études et leur profession; comment les jeunes y donnaient leur avis, et recevaient la leçon des anciens.

Les avocats vivaient principalement entre eux, et dans l'intin.ité de quelques magistrats sans morgue, mais non pas sans vertu et sans amour de la science, qui venaient se mêler à ces doctes entretiens dont la solidité rappelle ces graves dialogues que nous a transmis l'antiquité.

Dans cette vie commune et plus rapprochée, moins dissipée que celle d'aujourd'hui, on voyait se resserrer incessamment les liens de cette confraternité si justement célébrée au milieu de vous par un de mes prédécesseurs (1); doux 'sentiment, où chacun se trouve à l'aise, et qui a tant de charmes pour ceux qui savent s'y abandonner avec confiance, sans détour et sans vanité.

C'est la confraternité, Messieurs, qui nous impose le touchant devoir de jeter un dernier regard sur la tombe de ceux de nos confrères que la mort nous a ravis, et de payer un juste tribut d'éloges à ceux qui ont marqué leur passage au milieu de nous par une exacte observation des règles de leur profession. Tel fut notre confrère Gautier, mort si jeune encore et si plein d'une dévorante activité. Je retracerais devant vous en cet instant les principaux traits d'une vie digne d'être racontée, si en me faisant, à la demande de sa famille, l'éditeur de l'ouvrage posthume qu'il nous a laissé sous le titre modeste d'Etudes du droit commercial, je ne lui avais déjà payé ce tribut de l'amitié.

Tel apparut encore au milieu de nous notre jeune confrère Vulpian, si tôt enlevé à sa profession, qu'il honorait également par les qualités de son cœur et par son talent! Spiri

(x) M. Thévenin, bâtonnier en 1827.

tuel auteur d'ouvrages et d'écrits qui faisaient déjà pressentir jusqu'où son mérite aurait pu s'élever; Vulpian aimé et regretté de tous!

Nous confondrons dans les mêmes regrets Mérilhou (Xavier), dont l'émulation active marchait sur les traces d'un frère que les libertés publiques comptent au rang de leurs plus fermes défenseurs.

Je voudrais enfin vous retracer la vie si pure, si pleine de bonnes œuvres et de belles actions de M. Billecocq, mort après avoir fourni une noble carrière, laissant parmi nous un parfum de vertu qui rend l'ordre entier veuf de sa perte et père adoptif du plus jeune de ses fils. Ce parfait avocat nous a donné de beaux exemples et de bons écrits; il a été parmi nous le meilleur des confrères et le modèle des bâtonniers! On peut inscrire sur sa tombe, Vir bonus! - Ah! qu'il eut raison de choisir pour sujet d'un des discours qu'il vous adressait la confiance que l'avocat doit avoir dans ses anciens! Comme ses paroles sont empreintes d'un caractère de bienveillance, de justice, je dirai presque d'onction propre à inspirer le sentiment qu'il veut recommander! Relisez ce discours, Messieurs, abandonnez-vous aux paternelles inspirations qu'il contient; aimez vos anciens; sachez vous confier à eux : c'est un heureux moyen d'instruction pour ceux qui manquent d'expérience, et qui sentent tout le prix d'une bonne direction, d'un sage conseil et d'un généreux appui.

Je l'ai éprouvé à l'entrée de ma carrière, en m'attachant, dès que je l'ai pu, aux chefs de mon Ordre, à ceux dont la supériorité, objet de mon respect et de ma timide émulation, m'admit aux avantages d'une collaboration où j'ai trouvé instruction solide, avis sincères, heureux encouragemens. Ferey, Poirier, Delacroix-Frainville, qui tour à tour fûtes mes guides, et que j'aurais voulu prendre pour modèles, recevez ici l'hommage de ma reconnaissance! Elle vous serait acquise saus partage, si je ne devais la reporter d'abord sur un père qui fut mon premier et pendant long-temps mon seul maître (1).

(1) Charles-André Dupin, reçu avocat au Parlement de Paris en 1778, trois fois député de la Nièvre.

J'en dois aussi l'expression vivement sentie à cet autre jurisconsulte qui m'honorait de sa bienveillante amitié, dont j'ose à peine me vanter d'avoir été pendant huit ans le collègue (tant ce titre laissa toujours de distance en nous), dans un Conseil (1) où son premier mouvement était toujours de plaider contre son illustre client, pour ne se rendre qu'après avoir épuisé toutes les objections. A ces traits vous reconnaissez M. Henrion de Pansey, ce vieillard vénérable, dès long-temps appelé le Nestor de la magistrature française; le seul dans ces temps modernes qui n'ait redouté la comparaison avec aucun ancien; ami de nos institutions, et qui savait les défendre; digne organe de nos lois, leur plus sage et leur plus fidèle interprète; jadis avocat en exercice; n'ayant toutefois plaidé qu'une seule cause, mais ce fut une cause de liberté (2)! Admirateur de Dumoulin, docte abréviateur de son Traité des fiefs, et son panégyriste dans un discours prononcé devant une assemblée pareille à celle que nous tenons aujourd'hui (3). C'est dans l'éloge de ce grand jurisconsulte qu'on trouve ce magnifique portrait de l'avocat, tracé dans une seule phrase que l'auteur m'a souvent récitée comme celle qu'il était le plus fier d'avoir écrite : « Libre des >> entraves qui captivent les autres hommes; trop fier our » avoir des protecteurs, trop obscur pour avoir des protégés ; » sans esclaves et sans maîtres, ce serait l'homme dans sa dignité originelle, si un tel homme existait encore sur la

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» terre. >>>

Cette haute estime que M. Heurion de Pansey accordait aux avocats, l'amitié qu'il avait conservée pour plusieurs d'en

(1) Le Conseil d'apanage de S. A. R. Mgr. le duc d'Orléans, dont M. Henrion de Pansey était président.

(2) Celle d'un pauvre nègre esclave, que son maître avait amené en France en négligeant d'accomplir les formalités commandées alors par les lois pour le maintien de l'esclavage en terre franche. L'arrêt prononça la mise en liberté. Annales du barreau, tome VI.

(3) A l'ouverture des Conférences, après la rentrée de 1772. Ces assemblées se tenaient alors les samedis. Voyez cet éloge en tête du Traité des fiefs, analysé par M. Henrion, 1773, in-4.

tre cux; ce puissant encouragement qu'il accordait aux plus jeunes, versant pour eux tous les trésors de son immense érudition, avec une sûreté de mémoire et une précision dans les dates qu'il a conservées jusqu'au dernier moment; tant d'avantages que les plus habiles trouvaient dans le commerce aimable de cet homme supérieur, nous ramènent, à titre de réciprocité, à vous rappeler tout le respect que nous devons à nos magistrats.

Un de nos plus vieux auteurs français, Jean Desmares, qui écrivait en 1372, et qui nous a laissé, sous le titre de Décisions, une suite d'adages et d'aphorismes du Palais, a mis au nombre de ses maximes, que li advocats doivent acquérir el garder l'amour du judge. En effet, tous gagnent dans cet heureux retour d'égards, de bienveillance mutuelle et de sentimens affectueux; les hommes s'en trouvent bien, et les affaires aussi. Cette intimité réciproque existait surtout autrefois entre les avocats et messieurs les gens du roi. Ceux-ci s'honoraient d'être portés en tête de notre tableau, et le barreau conservera long-temps le souvenir de cet avocat géné ral (1), qui prétendait obligcamment ne s'appeler ainsi que parce qu'il était, disait-il, le général des avocats.

Cet accord si désirable, que nous nous efforcerons toujours de soigneusement entretenir entre la magistrature et le barreau ; ce respect profond dont nous faisons si hautement profession pour elle, n'ont jamais empêché les avocats de faire valoir leurs prérogatives et de soutenir leurs droits avec vigueur quand ils les ont cru violés ou méconnus. Témoin l'émotion qui saisit l'Ordre tout entier à l'apparition d'un article de l'ordonnance de Blois qui blessait leur délicatesse, et qui donna lieu au Dialogue des avocats, de Loysel; témoin encore la juste plainte que le bâtonnier, assisté d'une députation des anciens, alla porter au président de Thou, pour une insulte que ce magistrat s'était permise à l'audience contre Me. Charles Dumoulin, et dont ce grand magistrat n'hésita point à leur faire ré

(1) Antoine L. Séguier, père de M. le premier président.

paration (1). Enfin, jusque dans ces derniers temps, nous trouvons la preuve que l'ordre des avocats a toujours su réclamer contre ce qui lui faisait grief, sans s'écarter en rien de la vénération dont il demeure inviolablement pénétré pour les magistrats. C'est ainsi que le parlement savait quelquefois résister au trône même, sans cesser de demeurer dans les bornes du respect et de la fidélité.

Mes chers confrères, aimons notre état, c'est le moyen le plus assuré d'y réussir et de s'y trouver heureux. Efforçonsnous d'honorer notre profession, et pour cela ne craignons pas de nous en former une trop haute idée. Jamais nous ne dirons rien d'elle qui puisse égaler ce qu'en ont dit avant nous les plus illustres magistrats, d'Aguesseau surtout. Ce sentiment ne peut pas nous être imputé à vanité; car il n'engendre pour nous que des obligations. Exalter cette noble profession, c'est dire que nous ne pouvons que bien difficilement atteindre à tout ce qu'elle impose de devoirs et de sacrifices, à tout ce qu'elle exige de capacité, d'application et de dévouement. Du reste, si le barreau moderne reste inférieur à l'ancien, ce sera notre faute; car les grandes occasions de bien faire et de bien dire ne nous aurons pas manqué!.... De nos jours, en effet, l'état d'avocat a acquis plus d'importance encore par le développement de nos institutions, par l'établissement du gouvernement représentatif, la publicité des débats judiciaires soutenue de la liberté de la presse, et cette tribune nationale dont le labeur, en variant seulement les formes de la discussion et du langage, n'est pour nous qu'une

(1) Dumoulin plaidait d'une manière peu agréable, au point que le premier président de Thou, fatigué de l'entendre lui dit un jour : Taisez-vous, Me. Dumoulin, vous êtes un ignorant. L'ordre dès avocats ressentit vivement cette injure, et il fut arrêté que le bâtonnier, avec une députation des anciens, irait s'en plaindre à M. le premier président. Admis à son audience, le bâtonnier lui dit avec toute la gravité du temps: Læsisti hominem doctiorem quàm unquàm eris. - Cela est vrai, dit avec autant de franchise que de modestie M. de Thou, j'ai eu tort; je ne connaissais pas tout le mérite de M. Charles Dumoulin..

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