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française, et il a consigné, dans les six livres de sa République, des faits, des maximes et des recherches que l'on consultera toujours avec fruit.

Guy Coquille de Nivernais, son collègue aux mêmes états, animé du même amour de la patrie, jurisconsulte exact et profond, que d'Aguesseau n'appelle jamais que le judicieux Coquille; auteur également remarquable, soit qu'il explique les origines de notre droit dans ses Institutes coutumières, soit qu'il éclaircisse plusieurs points importans de notre histoire politique et de notre droit public, soit qu'il expose dans un traité ex professo les Libertés de l'église gallicane défendues par lui au milieu des fureurs de la Ligue (1), soit qu'il annote et commente les édits et ordonnances rendus à la demande des états généraux auxquels il avait assisté (2).

Loyseau, si profond, si net en traitant les matières les plus abstraites du droit; historien et publiciste autant que jurisconsulte, dans son Traité des Offices et des Seigneu

(1) Ce traité lui avait été dérobé de son vivant, et on ne le re⚫ trouva que vers le milieu du dix-septième siècle.» (Biog. univ.) (2) Comme rapporteur des Cahiers du tiers-état aux seconds états de Blois, Coquille avait rassemblé des matériaux précieux que Guillaume Joly, éditeur de ses œuvres, a malheureusement retranchés de son édition: Estant, dit cet éditeur, dans sa préface, des matières d'estat qui sont au-dessus de la portée de notre jugement, nous › avons pensé qu'il valait mieux supercéder..... Il en est résulté que ces manuscrits se sont perdus. Cette perte est d'autant plus à regretter que, dans l'avertissement placé en tête de ses œuvres posthumes, imprimées in-4o, en 1650, on lit que probablement Coquille - n'avait pas omis d'observer plusieurs choses secrètes et dignes d'être scues, et particulièrement les artifices que l'on apporta auxdits Es• tats, afin d'éluder l'effet pour lequel ils avaient été assemblés. » — Et en effet, Coquille a laissé percer dans une de ses épigrammes latines, le chagrin que lai causait la corruption à prix d'argent et de places, exercée au sein même des états, où plusieurs avaient fait leurs affaires au lieu de faire celles de la France.

Maxima pars terno quæ regnat in Ordine, nummos

Largita, ad summos pertigit usquè gradus.
Omnibus his Populi commissa est causa; veremur
Ne pro re populi, rem sibi quisque geral.

ries; écrivain libéral et d'un style si piquant dans l'opuscule où il attaque, par le ridicule, le criant abus des justices de village, et des juges guétrés des seigneurs, avec une verve et une liberté d'expressions qu'on n'eût pas tolérées du temps de nos tribunaux de district.

Ayrault, lieutenant criminel au présidial d'Angers, contemporain des immolations de la Saint-Barthélemy, écrivait sous Charles IX, mais avec indépendance, avec amour de l'humanité, respect pour le malheur et pour la défense des accusés. « Dénier cette défense, dit-il, serait un crime. La donner, mais non pas libre, c'est tyrannie. » Qu'a-t-on dit de mieux depuis cinquante ans?

Enfin, étudiez Dumoulin, le plus grand de tous les jurisconsultes français, non-seulement par sa profonde dialectique et son immense érudition, mais aussi par l'élévation et la force de son caractère; ayant pris pour devise veritas vincit, luttant corps à corps avec une constance inébranlable en faveur de l'ordre civil et politique contre les entreprises des ultramontains; défendant le roi et le royaume contre l'invasion du concile de Trente; résistant, comme à un impôt illégal, aux tarifs et aux exactions de la cour de Rome; bien supérieur en cela au timide Cujas, qui, pour éluder de répondre sur ces matières épineuses, disait prudemment à ceux qui le consultaient à ce sujet : Nil hoc ad Edictum prætoris, cela ne tient pas à l'édit du préteur. Dumoulin, il est vrai, fut quelque temps calomnié et persécuté; (calomnie et persécution sont les compagnes inséparables du génie!) mais sa gloire, achetée même à ce prix, n'en est demeurée que plus éclatante aux yeux de la postérité; et, même de son vivant, il mérita cet éloge que fit de lui le conuétable de Montmorenci, en le présentant au roi Henri II: «Sire, ce que votre majesté n'a pu faire et exécuter avec trente mille hommes, de forcer le pape Jules à lui demander la paix, ce petit » homme (car Dumoulin était de petite stature), l'a achevé » avec son petit livret. » C'est son commentaire sur l'Edit des petites dates, qui avait porté la conviction dans tous les esprits contre les abus et les malversations qui se pratiquaient

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alors dans la chancellerie romaine. Doit-on s'étonner après cela que les livres de ce jurisconsulte aient été mis à l'index? Le souvenir de ce trait historique me fait insister auprès de vous sur la nécessité de reprendre une étude jadis fort cultivée, et qui, depuis, a malheureusement cessé de faire partie de l'enseignement universitaire je veux parler du droit canonique. Sans doute il ne s'agit plus des matières bénéficiales, dont la connaissance serait aujourd'hui sans utilité. Mais ce qu'aucun avocat ne doit ignorer, ce qu'il ne lui suffirait pas de savoir imparfaitement, ce sout les principes sur la nature, le gouvernement, la hiérarchie de l'Eglise et sa discipline; l'histoire des usurpations toujours croissantes de la cour de Rome, et l'histoire corrélative des obstacles et des barrières que nos pères y ont apportés. Il faut qu'il connaisse ce que la loi civile ne saurait entreprendre sans porter atteinte à la liberté religieuse; et réciproquement qu'il sache bien ce qu'un roi, eût-il la piété de saint Louis, s'il a en même temps sa sagesse et sa fermeté, ne saurait négliger ui souffrir sans manquer à sa propre dignité, à l'indépendance de sa couronne, et à la protection qu'il doit à ses sujets. Ces principes importans, souvent controversés, rarement bien connus, doivent être étudiés, médités à l'égal de nos autres lois politiques sur lesquelles ils exercent tant d'influence. Une connaissance exacte du droit sera toujours le meilleur moyen de confondre l'usurpation, et de lui résister avec succès.

Je sais qu'une philosophie, qui en cela se montre avec trop de présomption, et dont, toutefois, je ne prétends point inédire, croit suffire seule à repousser les attaques de l'ordre ecclésiastique contre l'ordre civil, et à maintenir la paix des religions dans l'état; mais en cela évidemment elle s'abuse. Les argumens purement philosophiques, irrésistibles aux yeux des philosophes, n'ont pas la même puissance sur les hommes qui, par conviction, par habitude, ou même par respect humain, tiennent davantage aux croyances et aux pratiques de leur culte. L'ignorance ou la mauvaise foi accusent bientôt la philosophie d'athéisme, et ses seules doctrines ne font point autorité. En effet, je n'appelle autorité que ce qui

est capable de faire impression sur l'esprit de ceux que l'on prétend convaincre. Or, tel est l'avantage que procure la doctrine toute faite des libertés de l'Eglise gallicane. Ces libertés ne sont pas une invention moderne; elles sont aussi anciennes que le christianisme parmi nous elles ne constituent pas un privilége ou une exception, elles ne sont qu'un vestige de ce qui, dans l'origine, formait le droit commun de la chrétienté: elles ont pour elles la sanction du temps et celle des plus grands rois et des plus grands hommes que la France ait produits. Loin d'être opposées à la religion, elles en font en quelque sorte partie. Sachez donc les connaître, afin de pouvoir les invoquer. Les tartufes ne pourront point vous appeler athées, ni même hérétiques, quand, démasquant l'hypocrisie et résistant à des entreprises menaçantes pour notre liberté et pour notre régime intérieur, vous pourrez dire à vos adversaires : Ce n'est pas un ennemi de la religion qui s'exprime ainsi, c'est Arnault et Pascal, c'est Nicole et Bossuet, c'est toute l'Eglise gallicane de 1682, qui vous dit: «Conservez ces fortes maximes de nos pères, que l'Eglise a trouvées dans la tradition universelle. »

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Sur cette ligne imposante, vous rencontrerez les plus saintes lois du royaume, tous les actes de la magistrature française, les réquisitoires des avocats généraux; vous marchez avec la puissance qui s'attache à cinq siècles de précédens! Dans cette carrière, tel d'entre vous peut se montrer encore comme autrefois Pithou, Loysel et Pasquier, et réveiller parmi ses juges, avec l'ancien esprit parlementaire, le désir d'en continuer les nobles traditions. Entrez donc dans cette étude, je vous y convie. Elle est d'ailleurs pleine d'attrait, puisqu'elle se lie aux faits les plus curieux de notre histoire, aux questions les plus élevées de notre droit public, à celles qui influent le plus puissamment sur la marche politique des affaires, et sur la constitution de l'état.

Connaissez à fond la législation criminelle, afin de ne pas risquer, dans une défense mal présentée, la considération de votre Ordre, votre propre réputation et le sort de l'accusé, qui a cru prendre un avocat..... Cherchez dans cette

étude les moyens de venger l'innocent, de soutenir le faible, d'adoucir le sort des malheureux : le criminel même a droit à votre pitié. Apportez à cette partie de votre profession tout le zèle que comporte le devoir de votre état, mais aussi toute la circonspection que peuvent réclamer les circonstances. C'est dans votre intérêt que je vous en avertis ; qu'un dévouement, louable dans son principe, ne dégénère point en une folle témérité! En matière politique surtout, ne vous exposez point à être mal compris!.... Que sous la robe du défenseur on sente toujours battre le cœur du citoyen! Patronage difficile, mais bien honorable. Source, hélas! trop féconde de calomnies, de censures, et quelquefois d'inimitiés! mais qui laisse après soi des souvenirs et des consolations. Regardez en arrière, et jugez. Les accusations passionnées.........., les condamnations de circonstance....., ont bien souvent entraîné des remords! La défense, jamais!

Aux études supplémentaires que je viens de vous recommander, il faut joindre, si je puis m'exprimer ainsi, l'école d'application. Soyez assidus aux audiences, surtout aux audiences solennelles, et à toutes celles où vous saurez que de graves questions doivent être agitées. Formez-vous à l'exercice de la parole, en vous attachant, à mesure que vous vous en sentirez capables, à ces réunions particulières de jeunes avocats, où, devant un tribunal simulé, et dans des causes fictives, vous essaierez vos forces contre des rivaux de votre âge. Enfin, venez à nos conférences ; elles sont instituées pour vous apprenez à discuter nettement et brièvement, comme aussi à délibérer et à rédiger ces consultations que nous sommes en possession de donner aux indigens, en y apportant tout à la fois cette sollicitude-qu'attend de nous le malheureux qui implore notre patronage, et cette attention que nous devons mettre à ce que nos consultations ne servent point à entretenir de vaines illusions.

Enfin, Messieurs, profitez de vos années de stage pour étudier les règles de notre profession, pour en prendre les mœurs, pour en recueillir les traditions. Vous les trouverez en partie retracées dans le dialogue des Avocats, de Loysel,

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